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Gabriele Rosa, « nous sommes complètement propres »

A 74 ans, le Docteur Gabriele Rosa a repris sa fonction d’entraîneur d’athlètes du Kenya, avec à nouveau la réussite grâce à Jemimah Sumgong, championne olympique à Rio après avoir remporté Londres, et Stanley Biwott, vainqueur à New York en 2015, et en 2h03’53’’ à Londres ce printemps. Un come back dans un contexte délicat avec les accusations de dopage portées cet été au Kenya contre Claudio Berardelli, son ancien entraîneur, et Federico, son fils. Mais Gabriele Rosa le clame haut et fort : en 25 ans, il n’a jamais été associé à aucune affaire de dopage, et il entend bien poursuivre son implication au Kenya, avec en ligne de mire l’espoir d’un nouveau record du monde pour les athlètes de son groupe.

Le Docteur Gabriele Rosa
Le Docteur Gabriele Rosa a retrouvé le chemin de l’entraînement, plus de 25 ans après ses débuts au Kenya

Vous êtes à nouveau entraîneur, pour Stanley Biwott et Jemimah Sumgong. Aviez-vous complètement arrêté d’entraîner et pourquoi avez-vous décidé de reprendre ?

Il y a environ 12 ans, j’avais découvert un jeune, qui pouvait devenir coach. Il s’agissait de Claudio Berardelli, un étudiant italien, je ne me rappelle plus en quoi. J’ai commencé à lui enseigner, il m’a suivi. Je ne suis pas un entraîneur professionnel, j’ai un gros centre médical en Italie, je suis un businessman, et j’aime aussi entraîner. J’ai décidé de m’occuper plus de mon business et de m’appuyer sur Berardelli. Il aimait entraîner au Kenya, il avait une girl friend au Kenya, il a décidé de rester là-bas. Pour moi, c’était une opportunité. Je l’ai suivi. Il a fait du bon travail, pas du mauvais travail, mais j’ai découvert que beaucoup trop de mes athlètes étaient blessés, et incapables de finir correctement les compétitions. Comme Stanley Biwott, Jemima Sumgong, qui est devenue championne olympique. J’étais un peu plus libre depuis deux ans. Même si je suis encore en charge de mon business, j’ai décidé de suivre directement mes athlètes, et de faire un peu de changement. L’entraînement doit changer un peu chaque année, pour voir ce qu’il est mieux de faire. J’ai commencé à aider mes athlètes, à modifier. Pour construire le programme, ils doivent courir de longues distances, mais ils ne peuvent pas pousser s’ils ne sont pas prêts. Ils peuvent parfois courir plus ou moins vite, mais ce n’est pas un problème : ils font tout ce qu’ils peuvent. J’ai augmenté les distances, les allures, ils ont commencé à progresser. Stanley Biwott a gagné New York, il a couru 2h03’51’ à Londres, Jemima Sumgong a gagné Londres et les JO. J’ai aussi beaucoup de jeunes athlètes qui vont s’améliorer. Pour le moment, ils courent en 2h06’-2h05’, ce n’est pas le top niveau, mais ils sont jeunes, ils représentent le futur. Alors maintenant, je me réjouis de faire de mon mieux, de voir mes jeunes athlètes se développer. Jusqu’à maintenant, nous avons gagné cette année 33 marathons, nous atteindrons peut-être 40 victoires. Et le plus important est qu’en 25 ans, nous avons gagné plus de 1000 marathons dans le monde, avec Boston, Londres, Tokyo, Chicago, Berlin. Nous avons battu le record du monde avec Tergat.

Alliez-vous fréquemment au Kenya pour superviser l’entraînement avant le mois de juillet où sont apparus vos problèmes avec la justice kenyane ?

Maintenant, cela va mieux. Mais je travaille avec tous les entraîneurs kenyans qui sont dans mes camps d’entraînement. Nous travaillons ensemble chaque jour. Nous nous parlons tous les 15 jours. Tous les jours, je reçois un email avec l’entraînement. J’aime savoir ce qui se passe. J’aime aussi faire progresser les coachs kenyans. La plupart ont été mes athlètes, et maintenant, ils entraînent. C’est important de voir tout ce qui a été fait au Kenya : faire progresser les athlètes, l’organisation de courses, les coachs, les managers. Car l’athlétisme au Kenya doit être national. Nous supportons en arrière, mais le Kenya doit gérer son athlétisme.

Cela signifie que vous ne voulez plus travailler avec Claudio Berardelli ?

Non, nous avons décidé de nous séparer l’année dernière. C’est peut-être mieux pour lui. C’est mieux pour moi, car je dois plus penser à l’entraînement. Il a beaucoup appris de moi. Je pense qu’il a fait des erreurs. Surtout de mettre trop de pression sur les athlètes. De cette manière, il survient plus de blessures. Les Kenyans ont beaucoup de talent, mais ils doivent utiliser ce talent pour se sentir libres. L’esprit et le corps doivent se sentir libres de faire ce qu’ils peuvent, et non pas ce qu’on les pousse à faire.

Est-ce aussi à cause des problèmes de dopage de ses athlètes ?

Le dopage n’est pas notre problème, et pas celui de Claudio. C’est un problème kenyan. Beaucoup, non pas beaucoup, mais des médecins kenyans poussent au dopage. A l’origine, les Kenyans n’aimaient même pas utiliser de l’aspirine. Maintenant, ces docteurs travaillent pour les inciter à progresser plus vite. Cela a amené des cas de dopage. Et certains chez nous. Comme Rita Jeptoo. Tout le monde sait bien que ce n’est pas notre problème. Elle a pris du dopage, et maintenant, elle est bannie pour 4 ans. Nous avons aidé la Fédération Internationale à savoir ce qui s’est passé. Maintenant, au Kenya, ils font plus attention au dopage. Ils ont fait beaucoup de bruit autour de nous. Mais nous sommes complètement propres, et en-dehors de toute situation de dopage. L’affaire de Federico et de Claudio devrait se terminer dans un mois. Et c’est mieux pour le Kenya. J’ai beaucoup de camps d’entraînement, j’ai découvert peut-être 1500 athlètes en 25 ans… Alors, c’est stupide de faire du bruit autour de ceux qui essaient de faire le meilleur pour le Kenya. Mais peut-être Rita n’est pas satisfaite, son mari n’est pas satisfait, et ils essaient de faire du bruit, mais cela ne va pas marcher !

Et maintenant allez-vous retourner au Kenya ?

En novembre.

Pour le procès de Federico ?

Pour le début d’une nouvelle saison. Après New York, on va démarrer une nouvelle saison, et on va planifier quels marathons ils vont courir. D’abord, on va terminer l’affaire de Federico, le 24 novembre. On sait déjà que cela va se terminer. Tout le monde sait maintenant ce qui s’est passé. Ce n’est pas la Fédération d’athlétisme qui nous a cherché des noises, ce sont des personnes stupides, qui ont créé des problèmes pour obtenir de l’argent. Tout le monde sait, Nike le sait. J’entraîne depuis 40 ans, je n’ai jamais été lié à un problème de dopage. Egalement en Italie, qui a été très impliquée dans le dopage il y a quelques années, je n’ai jamais été impliqué. Federico est mon fils, il connaît les règles. Il sera très bientôt complètement innocenté de cette situation.

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Cette situation a-t-elle été difficile à vivre pour votre famille cette année ?

Ce n’était pas une situation agréable ! Vous savez, vous êtes au Kenya, ils sont un peu arrogants. Le cas relève de la police, pas du sport. Si je vais dire que quelqu’un a fait quelque chose, même si ce n’est pas vrai, ils lancent une enquête. Et peu importe qui cela concerne. Je pense que j’ai cru beaucoup dans le Kenya. J’ai découvert le marathon au Kenya. Avant même que quiconque court le marathon. J’ai commencé avec Moses Tanui, puis Paul Tergat. Avant, personne n’avait appris à courir le marathon. Maintenant, environ 83% des marathoniens d’élite viennent du Kenya, pas seulement de mes athlètes, mais des autres aussi. Ils sont poussés à faire du marathon. Vous savez, l’athlétisme concerne peu de personnes, le cross compte une saison très courte, alors que le marathon se court toute l’année. Chaque dimanche, il y a beaucoup de marathons. Les jeunes coureurs peuvent disputer les petits marathons, et les TOP Elite courent les gros marathons. Il y a beaucoup d’opportunités. Cela amène aussi un progrès social et économique au Kenya. Car maintenant, beaucoup beaucoup de Kenyans courent le marathon.

Vous êtes un homme riche. Quelle est votre motivation à continuer d’entraîner ?

J’ai été un coureur. Pas un coureur doué. J’étais à l’Université en Italie, pour étudier, pour courir. Et j’aime le marathon. J’ai appelé mon centre médical « Marathon », mais il n’est pas destiné au marathon. C’était d’ailleurs une erreur, car les personnes « normales » avaient du mal à comprendre qu’il n’était pas réservé au marathon. J’ai commencé à entraîner sur marathon il y a environ 40 ans. Il y avait vraiment peu d’épreuves. New York n’a que 45 ans. On ne pensait pas au marathon alors. Maintenant, c’est un business pour mon fils, qui est également Docteur. Je ne peux pas expliquer pourquoi j’aime le marathon.

Et vous aimez aussi les Kenyans ?

Oui. Je suis venu au Kenya à cause de Moses Tanui. Il était très doué. Il était venu à mon centre médical pour des soins. Après la thérapie, il m’a demandé d’être son coach, car je connaissais beaucoup de choses sur l’entraînement. Nous avons démarré en 1991, et il est devenu Champion du Monde du 10000 m à Tokyo. J’ai démarré avec le Kenya, en pensant ils sont jeunes, ils ne sont pas capables de se développer. Mais maintenant, nous travaillons aussi avec l’Ethiopie, l’Ouganda, le Botswana, le Mali. Là où quelqu’un nous demande d’aider, nous essayons de le faire. C’est ça qui me fait plaisir !

Entre l’entraînement de Moses Tanui et celui de Stanley Biwott, y a-t-il une grande différence ?

Oui beaucoup. Moses Tanui était un top athlète sur 10.000 mètres, et il n’était pas vraiment heureux de courir le marathon. Je devais vraiment le pousser, il acceptait, et il a couru en 2h06’16’’. Mon choix était de ne pas pousser sur marathon les Top Athlètes, mais les athlètes qui n’étaient pas capables de sortir du Kenya pour la piste ou pour le cross. Il y en avait peu qui sortaient pour la piste ou le cross, alors je mettais les autres sur marathon de manière à ce que tout le monde sorte… Quand j’ai débuté au Kenya, mes méthodes d’entraînement étaient italiennes. Mais j’ai découvert que cela ne convenait pas. J’ai essayé de m’améliorer, et Tergat a battu le record du monde en 2h05’48. Mais ce n’était encore pas suffisant. Car je pense que Tergat, comme Gebreselassie, était le meilleur sur 10000 m. J’ai fait une erreur, car Tergat a battu le record du monde de 26’54’’ il y a environ 15 ans (en 2002), et il pouvait courir facilement 63’ sur le semi. Je pense qu’il a perdu environ 2 minutes, il aurait pu courir 2h03’. Car Kimetto n’est pas meilleur que Tergat. Le problème de l’entraînement est de toujours essayer de changer quelque chose. Bien sûr, vous pouvez faire ce genre de projets au Kenya. Peut-être qu’on pourrait essayer la même chose en Italie ou en France, mais il n’y a pas assez de talents pour suivre. Le problème est que maintenant, nous n’avons pas de grands talents sur marathon en France ou en Italie, et quand vous courez en 2h09’, tout le monde est heureux… J’ai eu une expérience avec Rothlin, de Suisse. Il n’était pas doué. Il avait décidé de venir s’entraîner avec mes athlètes au Kenya, et il a couru en 2h09’. Mais les athlètes n’aiment pas venir au Kenya. Vous ne pouvez pas trouver un bel hôtel, vous devez accepter de suivre les mêmes règles que les Kenyans, lever à 5 heures, entraînement à 6 heures, récupération, à nouveau entraînement. Du coup, ce n’est pas une situation facile, et peu acceptent de suivre ces règles. Ils veulent bien venir au Kenya, mais ils se retrouvent à 10 Italiens ou bien à 10 Français. Ce n’est pas la bonne démarche. Le groupe doit être mélangé pour rester avec les athlètes kenyans. Rothlin acceptait de finir dernier à l’entraînement, puis 5ème avant la fin. C’est ma suggestion, mais il y a un problème de mentalité chez les coachs européens. Ils pensent qu’ils savent tout ! Mais vous devez découvrir l’entraînement à travers le talent des athlètes. J’apprends de mes athlètes. J’enseigne, mais ils me donnent leur feedback et je change. C’est la bonne méthode pour entraîner. Et non pas d’être un entraîneur qui sait tout.

Actuellement, il y a beaucoup de coureurs en 60 minutes au semi. Cela veut-il dire que dans le futur, nous aurons beaucoup de marathoniens en 2h03’ ?

2H03’ est maintenant devenu plus facile. Car Eliud Kipchoge à Londres a couru 2h03’05’’, qui est le vrai record du monde car Berlin est plus rapide. Le record de Berlin (2h02’57’’) correspond à 2h03’30’’-2h03’40’’ : il y a environ 5 km down. Mon projet est d’obtenir à nouveau le record du monde. Je ne sais pas quand. Mais pour aller sous les 2 heures, ce sera très difficile. Le problème du marathon est que vous débutez avec du « gasoline » dans le corps, et vous utilisez le gasoline. Et c’est difficile d’avoir suffisamment de gasoline pour courir en 60 et 60, car quand vous courez plus vite, votre corps utilise beaucoup de gasoline. Le problème n’est pas celui de la vitesse, mais de savoir comment vous pouvez amener plus de gasoline dans votre corps. Si vous faites du vélo, vous pouvez manger, vous êtes assis, l’estomac n’est pas soumis aux chocs. Sur le marathon, ce n’est pas pareil…

Interview réalisée à New York par Odile Baudrier et Gilles Bertrand

Photos : Gilles Bertrand

 

Jemimah Sumgong, l’or olympique avec Federico Rosa :

http://spe15.fr/jemimah-sumgong-lor-olympique-sur-marathon-avec-federico-rosa/

Le manager italien Rosa devant la justice kenyane

http://spe15.fr/le-manager-italien-rosa-devant-la-justice-kenyane/

Federico Rosa libéré sous caution au Kenya

http://spe15.fr/federico-rosa-libere-sous-caution-au-kenya/