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Liv Westphal « j’ai l’impression d’avoir trente ans »

Chia, Europe de cross 2016 Liv Westphal
Liv Westphal

Championne d’Europe espoir à Tallinn sur 5000 m en 2015, Liv Westphal a connu une année 2016 plus compliquée sur le plan athlétique. Toujours étudiante à Boston aux Etats Unis, pour un second Master, cet automne, elle a retrouvé avec brio le chemin des cross en se classant 9ème des championnats d’Europe à seulement 20 secondes de la « première Européenne ». Rencontre un soir de Championnats d’Europe dominés par des Kenyans, bizarre non !

 

Comment dit-on en français « a paper ? ». Parfois, lorsque Liv Westphal parle, des mots d’anglais surgissent comme un pop up sur un écran. « A paper, c’est plus un ? Un mémoire non ? Un travail personnel oui, c’est ça ».

Nous étions confortablement installés dans un sofa de cuir blanc. Liv Westphal encore dans sa sueur, les jambes à peine lasses mais le corps frileux, de retour d’un cross lagunaire, vagabonde d’un cross léché par un océan de bleu, un cross à avaler le ciel d’un trait, d’une seule lampée.

Liv Westphal, c’est une frêle silhouette à peine saisissable, un petit cross et puis s’en va, un 5000 et puis s’en va pour glisser entre les doigts de l’athlé, d’une fédé, d’un système. Liv semble être hors système. Au point d’être déracinée ? Le mot ne l’offusque pas. Elle souligne « Les Etats-Unis, ce n’est pas le paradis du tout, mais les Etats-Unis, c’était la meilleure solution pour moi. Je vis mon rêve ». Un rêve d’indépendance pour cette fille unique élevée dans une famille d’intellectuels et d’universitaires, parents balluchons voyageurs eux-mêmes, des ailes lui sont poussées pour franchir les océans. Le père professeur et essayiste instigateur de la géocritique ne pouvait s’attendre à autre chose. Elle ajoute « Sans mes parents, je ne pourrais vivre ce rêve, ils savent que je n’ai pas de regrets ».

Liv Westphal vit donc à Boston depuis cinq déjà. Après avoir décroché son master en communication suite à quatre années comme Bachelor, elle soupesa l’idée de rentrer pour une année sabbatique à courir. Mais elle se ravisa car « une fois que tu es de retour en France, il est compliqué de revenir » et d’avouer «  je me suis adaptée ici, je pense y rester le plus longtemps possible ».

Elle s’est donc prise un petit appartement sur Heartbreak Hill, au kilomètre 33 du marathon de Boston. Elle s’amuse en disant « je peux même voir le marathon de ma fenêtre. Entre le kilomètre 20 et le kilomètre 35, j’en connais parfaitement le parcours ». La question de la coloc ne s’est même pas posée «j’ai besoin de vivre seule, l’étudiant américain moyen a du mal à comprendre que l’on puisse avoir besoin de huit heures de sommeil par jour. Je n’ai pas de vie sociale, mais cela fait partie de mon équilibre ».

Elle a donc repris le chemin des cours à Boston College, pour deux années et un nouveau Master en vue. Pour payer ce nouveau cursus, elle n’a pas refusé cette possibilité de donner des cours de langue et de littérature française à des étudiants inscrits en biologie, en sciences po ou en informatique. Elle est ainsi devenue « Madame Westphal ». Elle s’est achetée des robes et une trousse de maquillage «on m’avait demandé de mettre de la distance et de suite, ils m’ont vouvoyée. Avec eux, j’ai l’impression d’avoir 30 ans. Je leur apporte la culture française. Nous discutons beaucoup, c’est surtout basé sur l’expression orale, il y a un vrai dialogue, ils sont très créatifs ». Pour ces « freshman » tous nés de bonnes familles capables de payer une scolarité à 62 000 $ l’année, elle leur dit « si vous êtes tentés pour venir en France, faites-le, cela vous forgera ».

Chia Europe de cross 2016
Liv Westphal

Dans cette capitale de la Nouvelle Angleterre, Liv Westphal s’est elle aussi forgée le moral pour sortir indemne de ces longs hivers polaires à faire fuir les loups. Une jeune fille sobre, parfois presque transparente, certes indépendante mais qui n’a jamais caché les semaines de doute lorsque la France se fait loin, que l’océan crée un rempart plus élevé qu’un Cervin lui-même. Le matin, elle met BFM en sourdine. La France pleure ses malheurs, la chaîne d’infos cultive la névrose d’une société anxiogène, Liv fait le tri même si mai 2017 est déjà une préoccupation majeure pour celle qui a vécu  l’élection de Donald Trump comme une cuite comateuse au fin fond de la taïga « pour moi, cela n’était pas concevable, j’ai eu beaucoup de mal à intégrer ». Boston, plus qu’ailleurs, s’est réveillée au petit matin du 9 novembre avec la gueule de bois, la ville démocrate par excellence dans le brouillard du vin mauvais « le campus était désert. Le soir, un rassemblement pacifique a eu lieu à l’initiative des étudiants d’origine sud américaine. En principe ceci est interdit mais là ce fut toléré ».

« Je n’étais pas burn out des études » l’expression a du sens, elle n’a nullement besoin de traduction. Elle aime étudier, elle l’affirme, elle ajoute « je suis peut-être même un peu hyperactive mais cela fait partie de mon équilibre ». Liv Westphal a donc repris le chemin du campus avec un emploi du temps à forcer sur les coins entre cours à donner, les lundi, mercredi et vendredi et cours à recevoir tous les après midi, cours de pédagogie, cours de littérature anglaise notamment sur la transcription de la vie américaine dans la littérature moderne. Elle frissonne pour dire « finalement pour une littéraire, je suis plus dans l’écrit que dans la lecture». L’an passé, elle rédigeait un mémoire sur le thème « dopage et sanction à vie » une problématique développée en 60 pages pour défendre et soutenir la thèse d’une exclusion à vie dès la première infraction. L’étudiante envoya son travail au siège du WADA à Montréal en espérant obtenir un poste de contractuel en communication. La réponse n’arriva point. Juste avant de quitter les Etats-Unis pour venir disputer ces championnats d’Europe de cross, c’est sur les travaux d’écrivains francophones tels Léonora Miano prix Fémina en 2013 qu’elle se penche pour tenter d’expliquer leurs démarches à propos de la notion d’insularité « j’ai finalement envoyé mon « paper » de 15 pages juste avant de prendre l’avion». Paper ? Paper ? Ah voilà, nous y étions !

Chez Liv Westphal, il y a un côté pure conviction, il y a un côté pas flambeur, il y a un côté pas vernis à ongles, hypersensible, peut-être. Elle vit du smig sur cette terre aride du cross et de l’athlé. Elle fait ses comptes, ça pèse sur le quotidien « la séance de kiné, c’est 100 $ l’heure, c’est mon salaire qui y passe. Heureusement, je suis devenue volonter assistant coach, cela me permet de m’entraîner avec l’équipe en bénéficiant des installations. Sinon, je devrais payer 500 $ le semestre ».

Cia Europe de cross 2016 Liv Westphal
Liv Westphal

Randy Thomas est resté son entraîneur, le même qui se confiant à SPE15 l’an passé lors d’une rencontre à Boston savourait « Elle est extrêmement déterminée, elle se fixe des objectifs, et elle met tout en place pour les atteindre. Elle a un très fort mental. Liv combine un talent physique et des qualités psychologiques qui peuvent lui permettre de tirer parti de son talent. C’est une athlète exceptionnelle ». L’ancien marathonien « un dur à cuire » comme elle le définit, n’y était pas allé par quatre chemins dans les jardins de la complaisance pour qualifier le meilleur élément de son équipe évoluant en division One en championnat NCAA.

Cinq saisons de NCAA, de boue, de parquet et de tartan, sept mois sans respiration, sur le front, Liv résista. Elle plisse le front pour dire « cinq ans, ça rince ». Aujourd’hui, elle a rompu avec ce rythme, libre de courir à sa guise. Elle s’entraîne toujours avec le groupe, une nouvelle équipe dans l’apprentissage du métier, pour se souder, et ne faire qu’un comme un charpentier et son équipe accrochés aux voliges du toit. Dans ce groupe est arrivée du Colorado, Isabel Kennedy. Pourtant atteinte de la mucoviscidose, elle s’est imposée comme une leader innée avec sa joie de vivre, sa capacité à surmonter la maladie « c’est elle qui va me prendre mon record sur 10 000 m. 33’43’’, ce sera facile pour elle ».

A Chia, Liv Westphal retrouvait l’équipe de France, une année après Hyères, une année sans flammèches, une année en rase campagne des records, cinq courses en indoor, trois 5000 et un 10 000, un cross et puis le retour, enfin, après avoir soigné une vilaine blessure mal diagnostiquée. Plus que cette neuvième place convaincante, c’est l’expérience en équipe de France qui lui a été profitable. Elle s’explique « j’ai parlé avec des athlètes expérimentés et j’ai compris que j’étais encore amateur. Finalement, cela me met en confiance pour l’avenir. Les J.O. de 2020 et 2024, c’est loin, sans être loin. Il faut prendre les choses comme elles viennent. Je relativise. Je me souviens après les Europe espoirs, l’euphorie était vite retombé ».

Avant de quitter Boston, elle avait bouclé son « paper » sur l’identité insulaire après avoir salué étudiants et profs médusés que l’on puisse rejoindre cette île de Sardaigne au motif de courir chausser de fines ballerines et pointes au pied, à travers une lagune de roseaux et de trèfles où les flamands roses piochent du bec dans la vase.  Elle leur avait juste dit : «Je vous laisse car l’équipe de France a besoin de moi ».

Texte et photos Gilles Bertrand

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