Le Mans : Ententes et Mésententes – Acte 4 : L’Entente Sarthe réunit désormais 10 clubs sarthois, pour un total de 2000 licenciés, unissant des clubs aux pratiques et aspirations très contrastées, entre le mastodonte, le LMA, et le lilliputien Sarthe Running, très actif du côté de l’élite dans la foulée d’Anouar Assila, tous drivés par des dissidents d’Endurance 72.
2000 licenciés, unis sous une même bannière, les petits clubs sarthois déboulent aux côtés d’un mastodonte, le LMA fort de 1300 membres. Record battu cette saison, m’annonce en souriant Jean Claude Raison, son président, l’une des chevilles ouvrières du projet d’union. Alors pourquoi a-t-il tant œuvré pour porter sur les fronts baptismaux ce gaillard ? Sa réponse tient en deux mots : « Les jeunes ». Jean-Claude Raison n’a pas oublié sa déception des interrégionaux de cross 2015 à constater que les cadets sarthois n’iraient pas au France, avec seulement 2 qualifiés à Athlé 72, et 2 autres à Endurance 72. Il en a conçu une ambition claire, regrouper tous les jeunes talents dans une seule équipe, et les amener au très haut niveau, en facilitant la si délicate transition des cadets-juniors.
Le credo est tout nouveau pour le LMA, connu pour son orientation loisirs, hors stade, et surtout marche nordique avec 550 pratiquants, il est même le 1er club français dans cette discipline. Jean-Claude Raison a participé à la création du club il y a 25 ans, il en a ensuite été le salarié, entraîneur en fond et demi-fond, et est devenu le Président il y a trois ans. Cette nouvelle casquette l’a poussé à une remise en question. Les choses roulent pourtant comme sur des roulettes pour le LMA, avec son budget de 200.000 euros, ses 5 salariés-entraîneurs, qui interviennent en prestataires extérieurs dans les EHPAD, et structures scolaires. Et Jean-Claude Raison admet : « Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de l’entente pour nous développer. » Mais il s’avoue à la recherche d’une mutualisation des officiels et entraîneurs, dans les disciplines techniques et d’athlétisme pur pour renforcer un staff comptant 60 coachs au LMA.
Le Président s’attaque à un gros challenge, il espère que ce « Grand Club » apportera de la sérénité pour dépasser les querelles de clochers. Sa voix se brouille et son visage se ferme à évoquer les attaques vécues à titre personnel de manière forte avec Endurance 72, club phare du Mans pour le haut niveau, et dont il regrette le refus d’adhérer à l’Entente. Il connaît bien la structure, pour y avoir été plusieurs années entraîneur salarié, et il souligne : « J’ai acquis là-bas une belle expérience sur l’entraînement. »
Jean-Claude Raison fait partie des nombreux transfuges d’Endurance 72. Athlètes, dirigeants, entraîneurs, tous les leaders ont transité par le club créé par Dominique Chauvelier dans les années 98-99. Et tous ou presque se sont envolés vers d’autres cieux…
Philippe Simier, vice président d’Endurance 72, créateur de Sarthe Running
Autre cas d’école, avec Philippe Simier, 15 ans sous le maillot Endurance 72. Ce professeur d’informatique y a même été un vice-président très actif, puis a claqué la porte pour créer en novembre 2014 « Sarthe Running », club FFA depuis septembre 2015, et désormais membre de l’Entente.
Un départ qu’il veut justifier par de simples dissensions d’orientations : « Il y avait un manque de reconnaissance pour le 2ème groupe de compétiteurs ». D’où une grande frustration chez ces athlètes qu’il situe entre les niveaux R2 et IR1, régionaux et interrégionaux, lassés d’être laissés au second plan derrière l’équipe 1ère, et en particulier pour les stages. Mais on se doute bien que ce ne sont pas quelques stages non proposés qui ont créé l’embrasement qu’a connu Endurance 72 tout au long de l’année 2015, avec des péripéties et rebondissements dans lesquels seuls les ultra-initiés peuvent se retrouver…
Rémy Parisseaux est l’homme qui a mis le feu aux poudres en portant des accusations d’escroquerie contre la présidence d’Endurance 72. Puis l’assureur manceau a lui aussi tourné les talons au club, s’est uni avec Philippe Simier et le duo dissident a drainé derrière lui 60 coureurs, surtout sur route, et pour moitié des vétérans dans la nouvelle structure.
Le recrutement de Mohamed Moustaoui fait jaser
En quelques mois, « Sarthe Running » a déjà beaucoup fait parler de lui. Il est pourtant le club le plus jeune, et le lilliputien de l’Entente. Mais il est également celui avec les meilleurs athlètes masculins. Anouar Assila, Abraham Nyonkhuru, l’ont intégré dès sa création, encore deux transfuges d’Endurance 72. Tout récemment, c’est le recrutement de Mohamed Moustaoui a fait jaser. Le Marocain, précédemment licencié à Alès, avait fait les gros titres au Mans début 2014, avec son forfait de dernière minute pour le Cross Ouest France, juste au moment où un important contrôle anti-dopage était programmé.
Philippe Simier connaît bien l’épisode, mais même s’il est lui-même délégué anti-dopage, il estime que tout n’est pas clair, et tout en admettant que cette arrivée a posé questions au sein de son propre club, il coupe court à mes questions en assénant froidement : « J’ai pris des risques. Il faut prendre des risques dans la vie ! » L’engagement financier de Rémy Parisseaux à travers son assurance Allianz a permis d’assumer ce recrutement.
Je sens le néo-président flatté qu’un tel athlète, sélectionné au Mondial 2009-2011, aux JO 2012, ait décidé de porter les couleurs de son club. Il s’en étonne même : « Il nous a contactés début septembre. Puis plus rien pendant 3 mois. Et il est revenu vers nous. On pensait qu’il avait trouvé un club plus intéressant. »
Mohamed Moustaoui recruté par Anouar Assila
En réalité, le choix de Mohamed Moustaoui doit tout à ses liens privilégiés avec Anouar Assila, ils se connaissent depuis 2004. Celui-ci n’en fait pas mystère lorsque nous le rencontrons en centre ville du Mans : « Après le problème du Cross Ouest France, il ne voulait plus signer avec un club français. Mais il a accepté de venir avec moi. »
Anouar Assila l’a embarqué avec lui à Sarthe Running, qu’il rejoint après plusieurs mois de tensions avec Endurance 72, son club depuis cinq ans. En quelques mois, les choses se sont envenimées, entre l’athlète et le président Pernet, auquel il reproche un manque de transparence financière, à l’identique de Philippe Simier et Rémy Parisseaux.
Dans ce tumulte, les réseaux sociaux ont fait leurs dégâts, et Anouar Assila a, lui aussi, préféré se détourner : « Je suis parti pour être tranquille dans ma tête ! » Ce n’est pas la première fois que l’ex-Marocain opère un tel virage. Il n’avait que 18 ans quand il s’est retrouvé confronté à un drôle de choix : changer d’entraîneur ou être exclu du centre d’entraînement de Rabat qu’il avait intégré à 15 ans. Et Hassan Lahssini, alors également entraîné au Centre, se rappelle parfaitement de ce tout petit athlète, dont le grand talent s’était dévoilé dès les années cadets, 3ème sur 3000 m au Mondial en 1999, derrière Kenenisa Bekele.
Mais le bel avenir promis s’assombrit avec les pressions qu’il reçoit de la part de Abdelkader Kada, l’entraîneur de Hicham El Guerrouj, bien décidé à récupérer dans son giron les meilleurs athlètes du centre. Anouar Assila prend tout son temps pour nous raconter en détails son refus d’accepter l’ultimatum donné début 2002, pour ne pas trahir l’entraîneur de ses débuts, puis sa décision radicale, comme pour sept autres jeunes athlètes, avec pour lui, l’exil en France, à Orléans, où Driss Jarboui devient son guide, et Christian Roggemans, son président au club ECO, son soutien précieux, qui lui obtient ses papiers. Puis il nous détaille sa rencontre avec son épouse, Morgane, ses études de comptabilité, qui conduisent le couple au Mans. Il y tiendra longtemps un restaurant, face à la gare, juste à côté de celui d’Abdelatif Meftah, tout en élevant ses quatre enfants.
Aujourd’hui, à 32 ans, il peut se targuer de deux 4ème place au France de cross, court en 2010, et long en 2012, d’un record sur 10 km de 29’30’’, sur semi de 1h04’47’’, et sur marathon de 2h19’. Toutefois sa carrière n’a pas tout à fait atteint le niveau attendu dans ses jeunes années. Pourquoi ? Anouar explique : « Moi, je voulais me placer avec les grands. Mais j’ai eu deux opérations au tibia. J’ai été bloqué par les opérations. C’est la chance qui n’était pas avec moi. Un proverbe arabe dit « Toi tu veux. Moi je veux. Mais c’est le Bon Dieu qui décide… »
Anouar Assila, l’envie d’un Grand Club
Les hasards de la vie lui ont fait retrouver dans la capitale sarthoise Laurent Boquillet, qu’il avait connu à Rabat, il était alors le manager d’Hicham El Guerrouj. Et le projet de l’Entente l’a de suite séduit : « J’ai promis à Boquillet de porter le Grand Club ». Un temps, il tissa même les contacts pour attirer à ses côtés et à celui d’Abraham Nyonkuru d’autres athlètes de bon niveau, mais les contraintes financières ont stoppé l’initiative. Il s’est alors mis au service de Sarthe Running qui pour l’heure a limité ses ambitions à trois athlètes d’élite, avec l’espoir d’un 4ème recrutement à venir, qui pourrait être Noureddine Ariri. A 20 ans, il vaut 3’44 » sur 1500 m et n’est autre que le beau-frère de Mohamed Moustaoui. Il vit d’ailleurs dans la maison d’Allonnes que celui-ci a achetée.
Car Anouar Assila ne le dissimule pas, et pas plus Philippe Simier : leur objectif est bien de rivaliser avec les meilleurs clubs français. Une démarche à laquelle Jean-Claude Raison adhère également. Mais pour lui, l’objectif doit s’aborder avec beaucoup de précautions, et il renouvelle son refus du recrutement d’athlètes de haut niveau, pour afficher fort l’idée d’une élite se bâtissant à partir des jeunes sarthois formés au sein du grand club… Et il me souffle avec force : « Je vais veiller à ce qu’on n’aille pas dans tous les sens. »
- Texte : Odile Baudrier
- Photos : Gilles Bertrand
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