Le marcheur italien Alex Schwazer, champion olympique 2008, avait toujours crié au complot lorsqu’un deuxième contrôle positif lui avait été notifié en juillet 2016. Des analyses menées par la police italienne semblent cautionner maintenant cette théorie. Quelle sera la suite de cette histoire très inquiétante ?
L’affaire Schwazer a déjà fait couler beaucoup d’encre, et c’est à coup sûr très loin d’être terminé. Le deuxième contrôle positif du marcheur italien pourrait avoir été manipulé. Le site www.ilsussidiario.net apporte ces derniers jours des informations qui semblent valider la théorie bâtie par Alex Schwazer et son entraîneur Sandro Donati, affirmant que les stéroïdes anabolisants découverts en avril 2016 dans son échantillon d’urine prélevé au début de l’année 2016 avaient été introduits à son insu.
Une hypothèse apparaissant évidemment plus que farfelue et pourtant, selon le journaliste Danto Sanvito, le laboratoire du Département des Investigations Scientifiques, le RIS de Parme, qui a procédé à une analyse ADN de l’échantillon concerné aurait mis en évidence que l’urine de Schwazer a bien été manipulée. Les détails précis ne seront livrés dans un rapport officiel qu’au mois de septembre, mais d’ores et déjà, il a été dévoilé que l’urine présente une concentration effroyablement anormale de l’ADN du marcheur. Les taux annoncés sont en effet beaucoup trop élevés, avec 437 picogrammes dans l’échantillon A, 1187 picogrammes dans l’échantillon. Or une urine stockée depuis 26 mois ne devrait contenir que quelques picogrammes.
A ce stade, les raisons d’une telle anomalie ne peuvent être vraiment présentées, mais ces discordances de taux laissent accréditer l’idée d’une manipulation des échantillons, et Gerhard Brandstaetter, l’avocat d’Alex Schwazer, a souligné auprès du site www.avvenire.it que ses propres experts confirment cette situation.
35 tests anti-dopage, tous négatifs
L’affaire Schwazer sent le roussi depuis un moment. Lorsque le marcheur italien subit en 2016 ce contrôle positif, il s’agit du deuxième cas de sa carrière. Le premier avait déjà fait beaucoup de bruit, avec son annonce en juillet 2012 à quelques jours du début des Jeux Olympiques, où il se présentait en champion olympique en titre. Et aussi parce qu’Alex Schwazer avait eu alors une attitude très inédite : l’aveu public de son dopage à l’EPO.
Or pour ce deuxième contrôle, immédiatement, Alex Schwazer réfute le recours au dopage, soutenu vigoureusement par son nouvel entraîneur, Sandro Donati. Ces protestations suscitent beaucoup de questionnements de part la personnalité de Sandro Donati, connu en Italie pour être un grand pourfendeur du dopage depuis plus de dix années, et qui a accepté de collaborer avec l’ex-dopé, sous réserve qu’il se soumette à des tests anti-dopage réguliers, toutes les deux semaines, pour s’assurer de l’absence de dérapages. Les 35 tests subis, et transmis à l’Agence Mondiale Anti-Dopage, ont tous été négatifs. La nature des produits, des stéroïdes anabolisants, détectés interpellent également, leur utilisation paraissant peu appropriée pour un marcheur athlétique.
Le contexte du contrôle interroge aussi. Il s’avère que l’échantillon A prélevé le 1er janvier 2016 a fait l’objet en janvier d’une analyse par le laboratoire de Cologne, qui s’est révélée négative. Mais qu’en avril 2016, l’échantillon a été à nouveau analysé, pour aboutir à un résultat positif, avec la détection des anabolisants. Le document établi en août 2016 par le Tribunal Arbitral du Sport (*) révèle qu’en réalité, cette deuxième analyse a été demandée par l’IAAF après que la Professeur Christiane Ayotte ait estimé comme « anormal » le module stéroïdien du passeport biologique du marcheur établi à partir des divers échantillons communiqués volontairement par Alex Schwazer à l’Agence Mondiale Anti-Dopage. Et la réanalyse effectuée par le laboratoire de Cologne le 19 avril 2016 allait donc conclure à un résultat inverse, avec un échantillon positif aux stéroïdes anabolisants. Comme allait le confirmer début juillet 2016 l’analyse de l’échantillon B.
Les médecins de la fédération accusés par Schwazer, et condamnés
Toutefois le marcheur italien, comme son entraîneur, soutiennent qu’il s’agit d’une rétorsion aux aveux faits auprès de la justice italienne. Car Sandro Donati n’a accepté d’entraîner Alex Schwazer pour son retour à la compétition qu’à la condition qu’il livre à la justice italienne les informations qu’il détient sur les personnes impliquées dans son dopage.
Et ses aveux ont mis en cause des acteurs majeurs de l’athlétisme italien, Giuseppe Fischetto, médecin de la fédération, membre de la commission médicale IAAF, Pierluigi Fiorella, médecin de la Fédération, et Rita Bottiglieri, secrétaire à la Fédération. Tout ce petit monde va s’offusquer de ces accusations, mais la justice italienne a finalement tranché, très récemment, en faveur d’Alex Schwazer, en cautionnant le rôle du trio dans son dopage, avec la condamnation des deux médecins à 2 ans de prison, des amendes de 10.000 euros, et l’interdiction de la pratique de la profession médicale pendant deux ans.
Dès l’annonce du contrôle positif en juin 2016, le marcheur et son entraîneur adoptent l’idée d’un complot ourdi en vue d’atténuer la portée des accusations proférées, et de diminuer la crédibilité du témoignage de Schwazer. Le duo et les avocats s’attaquent à obtenir une réanalyse des échantillons A et B par un laboratoire italien. Il apparaît que l’IAAF et le laboratoire de Cologne font traîner les choses en longueur, et il faudra finalement une décision d’un tribunal allemand pour que les échantillons parviennent en Italie et que leur analyse jette un doute sur les manipulations qu’ils ont pu subir.
L’IAAF éclaboussée par les révélations de Seppelt et des Fancy Bears
Quelle sera la suite donnée à cette affaire ? La police scientifique italienne rendra compte en septembre au procureur de Bolzano de ses conclusions sur ce volet. Sur le plan des instances sportives, les dégâts pourraient être importants. L’IAAF apparaît d’ores et déjà éclaboussée, au vu des révélations faites en août 2017 par le journaliste allemand Hajjo Seppelt qui accuse, sur le site « sportschau.de », le Docteur Fischetto, d’avoir couvert le scandale du dopage des athlètes russes et turcs, à la demande de Lamine Diack. Car le médecin italien avait à sa disposition les éléments tangibles du dopage des athlètes de Russie et Turquie, mais n’a rien fait pour le dénoncer.
Concernant le cas de Schwazer, l’ambiguïté des uns et des autres est dévoilée par les hackers russes des Fancy Bears, qui livrent au grand jour en juillet 2017 les échanges de mails entre Giuseppe Fischetto et Thomas Capdevielle, responsable anti-dopage à l’IAAF, démontrant une collaboration entre eux contre Alex Schwazer.
Le journaliste italien Christoph Franceschini n’hésitait pas le 7 juillet 2017 sur le site « Salto.Bz » à fournir moult détails sur le rôle qu’aurait joué Thomas Capdevieille pour éviter que la demande de la justice italienne d’un test ADN sur l’échantillon positif d’Alex Schwazer puisse aboutir, et permette peut-être de démontrer une manipulation.
Mais finalement la justice italienne et la justice allemande ont fait cause commune pour que ce test ADN soit réalisé…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.
- (*) La décision du TAS N° CAS 2016/A/4707 ne figure pas, à ce jour, dans les bases de données du TAS. Elle a été diffusée par les Fancy Bears en juillet 2017 lors de la divulgation des mails entre Thomas Capdevieille et Dr Fischetto.