Un sujet diffusé par ARD, la télévision allemande, met en cause Morhad Amdouni, pour des faits de dopage. Le documentaire réalisé par Hajo Seppelt et son équipe et consacré aux dérives du dopage au Maroc dévoile des éléments qui affirment que Morhad Amdouni a eu recours à des pratiques interdites. L’OCLAESP et l’AFLD s’intéressent à ce dossier.
Morhad Amdouni se voit sérieusement mis en cause par le reportage réalisé au Maroc par Hajo Seppelt et son équipe, qui sera diffusé ce soir sur ARD (à 16h). Au programme de cette nouvelle investigation du célèbre journaliste allemand, leader mondial de la lutte anti-dopage : le Maroc et les déviances qui y sont constatées. Une fois de plus, le Maroc se retrouve pointé du doigt, pour sa facilité à se procurer des produits dopants, et en particulier de l’EPO.
Et Morhad Amdouni apparaît faire partie des athlètes usant de telles facilités. Le texte diffusé sur le site de ARD en avant-première du reportage télé livre des éléments forts à charge contre le champion d’Europe du 10.000 mètres, et son recours aux produits interdits. Selon ARD, c’est au printemps 2017 que des échanges conduits par Whats’app (et authentifiés par les journalistes allemands) sont effectués entre Morhad Amdouni et un pourvoyeur d’EPO et d’hormone de croissance.
C’est en juillet 2018 que ces SMS auraient été remis à ARD, durant son investigation sur le terrain au Maroc. Quelques semaines seulement avant que Morhad Amdouni ne décroche son premier titre majeur, celui de Champion d’Europe du 10.000 mètres, suivi quatre jours plus tard, de la médaille de bronze sur le 5000 mètres. Un doublé très inédit pour celui qui n’avait jusqu’alors pas obtenu de podium en grands championnats, excepté le titre de champion d’Europe junior du 5000 m en 2007.
Mais la saison 2018 de Morhad Amdouni avait été marquée par les performances, avec d’entrée de jeu, le titre de champion de France de cross, survenant après plusieurs mois off, sans compétition. L’année 2017 ne l’avait vu disputer que quatre courses en salle, et un 10 km route en septembre.
UN GROS CHRONO SUR MARATHON
Toutefois, c’est surtout son chrono de 27’36’’80 sur 10.000 mètres lors de la Coupe d’Europe en mai 2018, qui frappe les esprits. Il s’agit de ses débuts sur la distance, et il n’a en réalité plus couru sur piste depuis mi-juillet 2016, et le 5000 mètres des championnats d’Europe d’Amsterdam où il n’a fini que 5ème.
Deux ans plus tard, son championnat d’Europe de Berlin, avec l’or sur le 10.000 m et le bronze sur le 5.000 m, s’inscrit ainsi en contrepied complet à celui d’Amsterdam. Mais tout aussi surprenant sera sa quasi absence de toute compétition, (excepté le 10 km d’Allonnes en novembre et des Assurances en mars), entre le 11 août 2018, date du 5000 mètres de Berlin, et le 14 avril 2019, date de son premier marathon, celui de Paris, qu’il boucle avec un gros chrono de 2h09’14’’.
Les observateurs les plus avisés ont le hoquet. Mais l’emballement médiatique autour de Clémence Calvin, suspendue provisoire, mais autorisée à courir, et auteure du record de France, étouffe quelque peu le malaise suscité par cette performance, synonyme de minima olympique, et conquise par un Morhad Amdouni, au physique très modifié.
Un chrono qui défie les règles de la physiologie, comme le démontre la très longue analyse rédigée par Jean-Claude Vollmer, autour de la transition 1500-marathon, que peu d’athlètes ont réussi, au point que Morhad Amdouni fait figure d’exception.
UNE FRACTURE DE FATIGUE ?
D’autant que le néo-marathonien soutient avoir atteint cette réussite, après quelques semaines d’entraînement seulement, en raison d’une fracture de fatigue survenue en fin d’année 2018. Ce serait pour cette raison qu’il aurait complètement disparu des compétitions durant plusieurs mois.
Le conditionnel s’impose, car d’autres informations évoquent une blessure de courte durée, en décembre, et un conflit financier avec son équipementier, Nike, d’où son refus de se présenter sur des cross, sous les couleurs de la marque américaine, en dépit des invitations reçues en sa qualité de champion de France en titre.
Mi-février, Morhad Amdouni est censé se préparer en Afrique du Sud pour un 10 km ou semi-marathon programmé pour la fin mars. Mais fin mars, après le 10 km des Foulées de l’Assurance (29’43’’), le marathon de Paris apparaît brusquement dans son viseur. Avec diverses spéculations, comme celle qu’il ne viendrait que pour un galop d’essai sur 30 kilomètres. Et ce sera finalement à la clef, le minima olympique, et la meilleure performance française de l’année….
A DOHA, POUR SE SOIGNER ET S’ENTRAINER
Les cartes se brouillent à nouveau autour de Morhad Amdouni avec, début juillet, l’annonce de son choix de disputer le marathon du Championnat du Monde de Doha en octobre. Mais là encore, une blessure, aux ischios jambiers, est invoquée pour justifier ce revirement surprenant à quelques jours seulement de la coupe d’Europe du 10.000 mètres qu’il était censé disputer. Et justifié aussi par le fait que le marathon du Mondial de Doha lui apparaît plus propice à l’obtention d’une médaille sur cette discipline.
Courant août, un autre choix de Morhad Amdouni crée sensation. Celui de partir pour Doha, à la fois pour bénéficier des soins de la très réputée clinique Aspetar, et pour effectuer sa préparation dans la forte chaleur, afin de s’y accoutumer. Les « anciens » du marathon ne dissimulent pas leur perplexité : drôle d’idée que de s’accoutumer à la chaleur en y effectuant ses sorties longues ??
Selon nos informations, ce choix a été dicté par le Docteur Mounir Chennaoui, que Moradh Amdouni consulte pour ses douleurs aux ischios jambiers, car peu satisfait du suivi effectué par le Docteur Jean Michel Serra, le médecin fédéral, qui n’aurait pas effectué le bon diagnostic pour sa fracture de fatigue de l’hiver précédent, évoquant une simple élongation, et qui aurait préconisé cette fois, les soins par PRP. C’est Mounir Chennaoui qui l’oriente vers Christophe Baudot, le médecin du PSG, club financé par le Qatar, qui l’incite à se tourner vers Aspetar.
UN STAGE VALIDE PAR LA FFA
Comment ce long stage à Doha a-t-il été accepté par la FFA ? Sans aucune réticence, si l’on en croit les réponses formulées par Patrice Gerges à mes questions posées par SMS le 27 août, ainsi qu’à Jean François Pontier, référent national du marathon, et à Philippe Dupont, son entraîneur. Le DTN sera le seul à me répondre, pour expliciter comment il avait été associé à son départ pour soins et stage au Qatar : « Morhad étant sélectionné, le Directeur des Equipes de France (Mehdi Baala) était habilité pendant mes congés à prendre des initiatives dans l’intérêt de l’Equipe de France. » Et d’asséner : « Je suis toujours favorable lorsque c’est dans l’intérêt de la santé des athlètes et de l’Equipe de France ».
Morhad Amdouni s’exilait ainsi seul, sans entraîneur, ou cadre technique, ce qui apparaissait se situer à l’opposé des recommandations formulées au printemps dernier après l’affaire Calvin, qui semblaient vouloir refuser tout stage isolé. Mais pour Patrice Gerges, les règles fixées se voyaient respectées pour une raison toute simple : « Aspetar est une structure conventionnée avec la France pour plusieurs sports. Un groupe de la FFA était parti sur site l’automne dernier afin de valider le site. Les meilleurs spécialistes mondiaux y interviennent, y compris des médecins français. »
UN ENTRAINEMENT EXPERIMENTAL DANS UN FOUR
Circulez, il n’y a rien à voir. Ou plutôt, il y a tout à voir. Car Morhad Amdouni, qui vient juste de signer un contrat avec Asics, le partenaire officiel de la FFA, se transforme à partir du 21 août, sa date de départ vers Doha, en véritable webmaster. Les relais sur son compte instagram pullulent, entre les séances de tests physiologiques, les entraînements dans l’eau, les séances de musculation, les sorties longues effectuées la nuit.
Morhad Amdouni n’en finit pas de remercier les médecins et techniciens d’ASPETAR, qui l’ont soigné, et aussi mué en cobaye pour expérimenter de nouvelles méthodes d’entraînement, comme cette sortie longue courue le 3 septembre dans un four à 40 degrés…
Ca passe ou ça casse ?? La question trouve vite sa réponse. Le 16 septembre, le marathonien effectue une sortie longue la nuit, sur la corniche, avec encore un thermomètre encore très élevé. Quatre jours plus tard, le vendredi 20 septembre, il annonce par Instagram renoncer au marathon du Mondial : « Je ne suis plus blessé. Mais je ne suis pas prêt. »
UN RETOUR RAPIDE DU QATAR
Sa sortie de piste sera laborieuse. Selon nos informations, un contact est établi avec Patrice Gerges, pour décider de la réaction officielle de la FFA sur cette absence. Le DTN s’avoue peu à l’aise dans ces aspects de communication, et passe la main à Souad Rochi, la directrice générale, qui opte pour une décision radicale : le retour immédiat de Morhad Amdouni de Doha, sans passer par la case « médias ». Pour une raison toute simple : sa présence en point presse risque de donner la « scoumoune » à toute l’Equipe de France…
Ce retour précipité, à quelques jours de l’arrivée de la presse à Doha, crée un certain malaise dans la presse, qui aurait aimé questionner Morhad Amdouni sur son expérience au Qatar, et son échec. D’autant que déjà, à la mi-août, le départ très rapide de l’athlète vers Doha n’a pas manqué de soulever des questions. Il intervient en effet alors que l’AFLD a pris d’assaut Font Romeu pendant trois jours, et multiplié les prélèvements, des athlètes français, comme étrangers. La rumeur bruisse d’un Morhad Amdouni qui aurait fui Font Romeu pour choisir Doha, pour éviter un contrôle anti-dopage.
Cependant les éléments tangibles ne plaisent pas vraiment en faveur de cette théorie. Le contrôle de Font Romeu n’a été connu que le 19 août, et seulement d’une poignée d’initiés. Certes Morhad Amdouni avait, à la fin juillet, déclaré auprès de la FFA, qu’il s’installerait à Font Romeu pour un long stage d’été, mais n’avait ensuite jamais confirmé, compte tenu de ses problèmes de blessures. Mais en réalité, au 19 août, son départ vers Doha est déjà officiellement validé par la FFA, informée par son manager Riad Ouled le vendredi 16 août.
LES CAMERAS D’ARD DANS SON ASCENSEUR
A son retour du Qatar, Morhad Amdouni a la surprise de se retrouver dans son ascenseur face à un journaliste allemand, qui, l’interroge sur ces échanges de SMS, qui prouveraient son acquisition d’EPO au printemps 2017. Comme l’explique le texte d’Hajo Seppelt, la réponse de Morhad Amdouni est sibylline : «C’est incroyable de parler de telles choses, il n’y a rien », dit-il dans l’escalier, « il n’y a rien à dire, il n’y a rien. » Quelques jours plus tard, selon nos informations, il incrimine auprès de son entourage un coup monté : il aurait été piégé par un ancien athlète, qui l’aurait incité à l’achat d’EPO.
C’est en bâtissant son sujet intitulé « Maroc, un paradis pour les tricheurs ? » que l’équipe d’Hajo Seppelt a débouché sur l’affaire Morhad Amdouni, qui s’ajoute à l’affaire Calvin, avec le même épicentre, le Maroc… Ma demande de réaction à ce reportage auprès de Morhad Amdouni est demeurée sans réponse à ce jour.
- Texte : Odile Baudrier
- Photos : Gilles Bertrand et Instagram de Morhad Amdouni