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Analyse : du 1500 mètres au marathon, l’exception Morhad Amdouni

Du 1500 mètres au marathon : le chemin est (très) long et la réussite …pas forcément au bout. C’est la conclusion de la passionnante étude réalisée par Jean Claude Vollmer, qui a analysé des centaines de performances, pour mieux comprendre les résultats sur marathon de Morhad Amdouni, qui apparaissent finalement très atypiques en comparaison des autres demi-fondeurs reconvertis en marathonien. Le travail de l’entraîneur est dévoilé quelques jours après que le Français ait annoncé son forfait pour le Mondial de Doha, après avoir passé quelques semaines au Qatar, pour y suivre un protocole de soins médicaux pour blessure en parallèle de sa préparation pour le marathon.

Etude réalisée par Jean Claude Vollmer

La première question est : qui sont ces demi -fondeurs, spécialistes sur 1500 mètres, partis tenter l’aventure du marathon ?

La deuxième question est : qui a réussi à devenir performant sur marathon et dans quelle temporalité ?

Pour tenter de répondre à ces problématiques, une étude portant sur les 500 meilleurs performers mondiaux Tous Temps sur 1500 m à la date du 30 /07 /2019 a été réalisée. (Soit des chronos entre 3 :36.07 à 3 :26.0) . Parmi ces 500 coureurs combien ont tenté (sans nécessairement avoir réussi) l’aventure du marathon ? Sur ces 500 mpm tous temps, ils sont exactement 57 (*) à présenter une performance sur marathon soit 11,4 %.

Parmi les coureurs présents dans la liste des 500 mpm sur 1500 m, certains sont prioritairement d’excellents coureurs de 5000 m / 10000 m qui sont venus, accessoirement, disputer avec talent des courses de 1500 m. Les critères retenus pour définir ces coureurs comme coureurs plus spécifiquement 1500 m ou 5000 m/10000 m ou accessoirement 3000 m steeple sont les suivants :

  • Participations et résultats (sur la durée) lors des grandes compétitions internationales (1500m, 5000 m, 10000 m, 3000 m steeple)
  • Comparaison des performances réalisées à la ranking liste de l’IAAF : est-ce que sa performance sur 1500 m est meilleure que celle sur 5000 m ou 10000 m ou 3000 m steeple.

Exemples : Mo Farah est classé dans la catégorie des coureurs 5000 m /10000 m : 4 x champion olympique, 6 x champion du monde et cela malgré son 3 :28.81 au 1500 m, alors que Bernard Lagat est classé dans les coureurs de 1500 m (3ème à Sydney sur 1500 m, 2ème à Athènes et 2ème MPM sur 1500 m) malgré ses titres de champion du monde du 5000 m.

22 coureurs profil 5000 m /10000 m figurent donc parmi les 500 mpm sur 1500 m. En enlevant ces coureurs profil 5000 m /10000 m, ils ne sont plus que 35 coureurs à avoir tenté l’aventure du marathon soit 7 % des 500 mpm sur 1500 m – VOIR ENCADRE 1

Ce chiffre très faible démontre à lui seul, le fossé (physique, physiologique …) qui sépare les 2 épreuves et confirme leur spécificité.

Mais regardons plus précisément le niveau de performance de ces 35 coureurs. Remontons le classement du 500ème au bilan mondial au classé 1er au bilan :

Classement : 500ème à 401 sur 1500 m :

  • H.P. Nabein (All.) 3 :35 98 en 1986 (1 :46.03 sur 800 m en 1982) et 2h14.16 sur marathon (10 ans plus tard en 1996.)
  • M. Silva (Por.) 3 :35 .76 en 1991 (1 :46.69 en 1991) et 2h29.48 en 2001 (10 ans)
  • P. Hanneck (Zim.) 3 :35.76 en 1991 (1 :47.28 en 1991) et 2h20.12 en 2003 (10 ans)
  • N. McCormick (GB.) 3 :35.74 en 1990 et 2h27.35 en 2018 (13 ans)
  • Z. Ozturk (Tur.) 3 :35.68 en 1990 et 2h23.07 en 2001 (11ans)
  • J.M. Koskei (Ken.) 3 :35.66 en 2000 et 2h14.02 en 2007 (7ans)
  • E. Maranga (Ken.) 3 :35.62 en 1998 et 2h21.36 en 2005 (7ans) 

Classement : 400ème à 301 sur 1500 m :

  • L. Kipkoskei (Ken.) : 3 :35.48 en 1998 et 2h19.20 en 2006 (8 ans)
  • A. Selmouni (Mar.) : 3 :35.48 en 2003 et 2h16.06 en 2017 (14 ans)
  • J.B. Rankin (USA) : 3 :35.26 en 2005 (1 :47.01 en 2008) et 2h34.29 en 2010 (5ans)
  • C. Kangogo (Ken.) 3 :35.26 en 2012 et 2h2h15.00 en 2010 (- 2ans)
  • G. Jennings (USA) : 3 :35.21 en 2000 et 2h19.32 en 2005 (5ans)
  • B. Cheboiywo (Ken.) : 3 :35.20 en 2005 et 2h21.40 en 2008 (3 ans)
  • A. Gonzalex (Fra.) : 3 :35.07 en 1979 (1 :47.0 en 1981) et 2h12.52 en 1988 (9ans)
  • P.K. Biwott (Ken.) :3 :34.81 en 2001 (1 :45.36 en 1999) et 2h14.01 en 2006 (4ans)

Classement : 300ème à 201 sur 1500 m :

  • E. Limo (Ken.) :3 :34.4 en 1999 et 2h22.18 en 2006 (7 ans)
  • L.Feitera (Por.) : 3 :34.20 en 2001 et 2h11.57 en 2009 (8 ans)
  • M. Amdouni (Fra.) : 3 :34.05 en 2015 (1 :47.2 en 2015) et 2h09.14 en 2019 (4 ans)
  • R. Dixon (NZ) : 3 :33.89 en 1974 (1 :47.6 en 1973) et 2h08.59 en 1983 (9 ans)
  • D. Wolde (Eth.) : 3 :33.82 en 2012 (1 :48.92 en 2010) et 2h06.18 en 2019 (7ans)
  • D. Kiplak (Ken.) : 3 :33.73 en 2002 et 2h25.01 en 2008 (6ans)

Classement : 200ème à 101 sur 1500 m :

  • F. Carvalho (Fra.) : 3 :33.47 en 2013 (1 :47.44 en 2009) et 2h12.53 (6ans)
  • C.K. Cheruyot (Ken.) : 3 :33.07 en 1986 (1 :46.48 en 1986) et 2h15.27 en 2003 (17 ans)
  • M. Kigen (Ken.) : 3 :32.84 en 1996 (1 :47.04 en 1996) et 2h10.12 en 2009 (13 ans)
  • E. Dubus (Fra.) : 3 :32.37 en 1995 et 2h24.41 en 2004 (9 ans)
  • V. Shabunin (Rus.) 3 :32.28 en 2000 (1 :46.82 en 1994) et 2h18.52 en 2012 (12 ans)

Classement : 100ème à 1er sur 1500 m :

  • S.K. Simotwo (Ken.)  3 :31.67 en 2006 (1 :45.5 en 2005) et 2h08.49 en 2015(9 ans)
  • B. Seurei (Bah.) 3 :31.61 en 2012 (1 :45.67 en 2012) et 2h07 .37 en 2018 (6ans)
  • W. Kemei (Ken.) 3 :31.40 en 1995 (1 :47.44 en 1992) et 2h20.58 en 2004 (9ans)
  • B. Kipkirui (Ken.) 3 :30.61 en 2001 et 2h17.24 en 2007 (6 ans)
  • R. Estevez (Esp.) : 3 :30.57 en 1999 (1 :46.9 en 1996) et 2h33.44 en 2018 (17 ans)
  • C. Cheboi (Ken.) 3 :30.34 en 2015 et 2h10.59 en 2019 (4ans)
  • R. Silva (Por.) 3 :30.07 en 2002 (1 :44.91 en 2002) et 2h12.16 en 2013 (11ans)
  • D.K. Komen (Ken.) : 3 :29.04 en 2006 (1 :47.4 en 2006) et 2h14.20 en 2015 (9 ans)
  •  B. Lagat (USA) : 3 :26.24 en 2001 (1 :46.0 en 2003) et 2h12.10 en 2019 (18 ans)

On a donc :

  • 2 coureurs qui ont réalisé plus de 2h30
  • 3 coureurs qui ont fait moins de 2h30 et plus de 2h25
  • 7 coureurs à moins de 2h25 et plus de 2h20
  • 6 coureurs à moins de 2h20 et plus de 2h15
  • 9 coureurs à moins de 2h15 et plus de 2h12
  • 3 coureurs à moins de 2h12 et supérieur à 2h10
  • 3 coureurs à moins de 2h10 et supérieur à 2h08
  • 2 coureurs à moins de 2h08

Quels constats peut-on faire ?

1er constat :

 Ce n’est pas parce qu’on court vite sur 1500 m et même sur 5000 m qu’on va être en mesure de réaliser des performances de qualité sur marathon.  On constate à la lecture des bilans que très souvent la réussite chronométrique est loin d’être au rendez vous 

Parmi ces 35 coureurs, il y a bien sûr des coureurs qui se sont lancés sur marathon souvent longtemps après la fin de leur carrière ; par défi, par jeu donc sans ambition chronométrique en raison d’un entraînement très réduit comparé à leur entraînement d’avant.

Sont répertoriés dans cette catégorie des coureurs qui présentent une performance réalisée sur marathon 8 à 10 ans et même largement plus après la réalisation de leur meilleure performance sur 1500 m sans avoir participé à des compétitions pendant cette période sur des 10 km ou d’autres distances (15 km, 10 miles 20 km, semi).

On peut dans cette catégorie citer : E. Dubus l’ancien recordman de France du 1500 m (3 ;32.37), Mc Cormick (3 :35.74), le portugais M. Silva (3 :35.74) ou R. Estevez (3 :30.57) ….

La plupart de ces coureurs ne font d’ailleurs qu’une tentative car ils comprennent très vite que le marathon n’est vraiment pas leur truc.

2ème constat :

On se retrouve donc finalement avec un très faible nombre de coureurs (14 précisément) ayant réalisé une performance inférieure à 2h15, ce qui représente d’ailleurs une performance toute relative, modeste même dans un contexte international.

Seuls 9 coureurs sont descendus sous les 2h12, performance qui correspond à une 1949ème place au bilan mondial tous temps et ils ne sont que 5 à avoir réalisé moins de 2h10 au marathon performance qui correspond à la 966ème place au bilan mondial tous temps du marathon (en date du 27 juin 2019).

Ces 5 coureurs qui ont pour nom, M. Amdouni (2h09.14), R. Dixon (2h08.59) S.K. Simotwo (2h08.49), B. Seurei (2h07.37) et D. Wolde (2h06.18) méritent qu’on s’attarde un peu sur leur carrière.

Profil et carrière de ces 5 coureurs pointés sous les 2h10

S.K. Simotwo (Ken.) :   s’il a couru dans des compétitions scolaires comme tous les jeunes kenyans il ne s’est véritablement lancé dans la course à pied qu’à l’âge de 22 ans (2002) en rejoignant les rangs de la police, obtenant des résultats notables dès 2003 (3 :36.17). Il est champion du Kenya sur 800 m en 1 :45.5 à Nairobi (en 2005). Ses meilleures années sur 1500 m seront 2005 (3 :31.85), 2006 (3 :31.67 son record) et 2007 (3 :31.89) avant de progressivement régresser au fil des années (3 :39.28 en 2011, année de son seul 5000 m en 13 :36.01). Il se lance sur route un seul résultat sur semi-marathon à Ivry sur Seine en 2012 avec 1h02.05. Il va disparaître des radars jusqu’en 2015 avec une première tentative sur marathon en 2h14.42 soit 9 ans après sa meilleure performance sur 1500 m. Cette même année 2015, il réalisera son meilleur chrono avec 2h08.49 lors de son second marathon. En 2016 il participe à 2 marathons (2h10.15 et 2h10.22) et n’apparaît plus depuis dans les classements de l’IAAF.

B. Seurei (Bah.) : Originaire des plateaux kenyans, il débute tardivement à 22 ans avec le steeple (8 :37.4 en 2006) puis termine 4 ème des sélections kenyanes sur 5000 m (13 :33.0) en 2008. Sans performance en 2009, il réalise 1 :47.02 sur 800 m en 2010 puis 1 :45.79 et 3 :34.67 en 2011. 2012 sera sa meilleure année avec 1 :45.67 sur 800 m et 3 :31.61 sur 1500 m. Il prend la nationalité du Bahreïn en 2013 et alors que ses chronos sur 1500 m régressent (3 :33.04 en 2013 et, 3 :34.24 en 2014, 3 :35.14 en 2015 et 3 :35.28 en 2016, il se lance en 2017 sur son premier marathon avec un chrono de 2h16.25 alors qu’il court encore sur 1500 m (3 :35.23). En 2018, il va participer à 3 marathons réalisant 2h11.27, puis 2h12.50 avant d’établir sa meilleure performance à Valence en 2h07.37. En 2019, il a fait respectivement 2h08.08 et 2h16.23.

D.Wolde (Eth.) : Le meilleur sur le plan chronométrique de ce groupe de moins de 2h10 avec son chrono de 2h06.18. Coureur au talent précoce (3 :41.25 à 16 ans 3ème aux championnats du monde cadets, 3 :36.74 à 18 ans), il va réaliser sa meilleure performance sur 1500 m à l’âge de 21 ans avec 3 :33.82 en 2012. Dès 2012, il va parallèlement à la piste faire de la route (10 km en 28 :45 et semi (60 :46) venant sur la course Marseille Cassis en 2012 et 2013. Coureur au registre très large il va se lancer sur marathon dès 2014 (2h10.42 sur marathon pour son 1 er et parallèlement 13 :17.04 sur 5000 m). Il va encore conjuguer piste (3 :35.87 sur 1500 m) et marathon (2h10.04) en 2015. Bizarrement il ne va plus faire de route en 2016 (3 :33.98) et 2017 (13 :10.13) pour revenir sur marathon en 2018 avec un modeste 2h23.27 mais un bon chrono sur 5000 m en 13 :10.65. C’est cette année 2019 après un marathon hivernal en 2h11.11 qu’il va établir sa meilleure performance à Prague en 2h06.18.

Le plus connu de tous ces coureurs est incontestablement Rodney (Rod) Dixon.

R. Dixon (NZ) : Il a été médaillé de bronze du 1500 mètres des J.O. de 1972 à Munich, 4 ème dans la célèbre course des Jeux du Commonwealthen 1974 à Christchurch (3 :33.89) au cours de laquelle F. Bayi avait battu le record du monde de Jim Ryun. C’est un coureur extrêmement polyvalent (1 :47.7, 2 :17.2, 3 :33.89, 7 :41.0, 13 :13.27, 8 :29.0 au 3000 steeple, 28 :35.68, 2h08.59, cross -country).   Il va monter sur 5000 m (meilleure performance 13 : 17.27) et une 4ème place lors des JO de 1976, (13 :17.37 en 1978, 13 :18.64). La Nouvelle Zélande ayant boycotté les jeux de Moscou en 1980 il va se lancer sur route en 1981 avec un semi -marathon en 1h02.02 puis un premier marathon en 1982 (2h11.21). Pour son 2ème marathon, il signera une victoire prestigieuse au marathon de New York en 1983 avec son meilleur chrono 2h08.53 et une 10ème lors du marathon des J.O. de Los Angeles en 1984. Il met fin à sa carrière en1986 avec un marathon en 2h14.48.

L’histoire de Dixon ressemble fort à celle du regretté Jacky Boxberger (6ème de la finale olympique du 1500 m à Mexico en 1968 et qui terminera sa carrière sur marathon (avec 2 victoires au marathon de Paris en 1983 et 1985 (2h10.49 son meilleur temps) et une participation au marathon olympique de 1984 à Los Angeles. Comme Rod Dixon, il passe par le 5000 m (13 :23.66 Record de France) et sera comme Rod Dixon (3ème au monde cross en 1973 et 1982) excellent en cross -country.

La présence d’un français dans ce top 5 assez unique est une invitation à étudier ce cas.

Morhad Amdouni (Fra.) : il obtient des performances de qualité dès sa 2ème année de pratique en cadets (3 :52.98 -8 :24.4 et les titres de champion de France en cross et sur 3000 m. Il poursuit sa progression en juniors 1 (2ème aux France) et sera sélectionné pour les championnats du monde juniors à Pékin (10ème en série sur 1500 m) puis aux Europe de cross (12ème). En deuxième année juniors, il est double champion de France en cross et sur 1500 m puis sacré aux Europe sur 5000 m et en cross. En 2008, 1ère année espoir il stagne sur le plan chronométrique mais sera présent sur les podiums nationaux en cross (3 ème) et 2ème au 1500m.

2009 : c’est l’année de l’explosion chronométrique avec une progression fulgurante inédite dans cette proportion sur 3000 m (7 :37.5 qui est toujours le record d’Europe) et 5000 m (13 :14.19) Qualifié à 21 ans pour ses premiers championnats du monde à Berlin, il termine 8ème de sa série sur 5000 m (13 :29.64).

Cette année prodigieuse sera suivie d’une année 2010 quasi blanche avec une 3ème place aux France sur 5000 m et un chrono loin de son standard 2009 (13 :45.49). Il va renaître de ses cendres en fin d’année 2010 avec une 5ème place aux Europe de cross qui sera suivie d’une première place aux France de cross après un duel épique avec Hassan Chahdi mais s’ensuivra un nouveau trou pendant l’été.

Fin 2011, il sera 7ème aux Europe de cross et entamera la saison hivernale 2012 avec un très bon chrono sur 3000 m indoor en 7 :47.88 puis Amdouni, à part une apparition modeste par année sur 10 km, disparaît en raison de multiples blessures puis revient au premier plan en 2015 après une éclipse de 3 ans.

Son bilan en 2015 : 1 :47.02, 3 :34.05, une victoire sur 5000 m en coupe d’Europe et une 9ème place en demi-finale sur 1500 m aux championnats du monde de Pékin.

En 2016, il remonte sur 5000 m (13 :22.64) gagne les France et se lance dans un défi en tentant doublé 1500 m /5000 m. 13ème en finale du 1500 m, il échouera au pied du podium sur 5000 m pour quelques centièmes. Pas de Jeux Olympiques pour Amdouni qui montre en fin de saison son potentiel pour les longues distances avec une victoire aux 20 kilomètres de Paris en 59.19.

Las, une nouvelle fois une blessure va fortement contrarier sa saison pourtant lancée sur des bases monstrueuses en salle avec un chrono extraordinaire de 13 :11.18 sur les talons de Mo Farah.

2018 sera enfin une belle année : champion de France de cross puis 2ème de la coupe d’Europe sur 10000 m (27 :36.80), sa blessure consécutive à cette épreuve ne l’empêchant pas de devenir champion d’Europe sur 10000 m et de finir 3ème sur 5000 m.

Depuis une succession de blessures plus moins graves l’ont empêché de participer à des compétitions en dehors de son entrée tonitruante au marathon de Paris. Mais une nouvelle fois Amdouni a dû changer ses plans à cause d’une blessure et a fait le choix de courir le marathon à Doha.

La carrière d’Amdouni est donc depuis de nombreuses années une succession de hauts, parfois de très hauts niveaux de performance, suivies de plus ou moins longues périodes creuses.

Comment se situe Amdouni dans le club des 5

Si on compare carrière et évolution des performances de ces 5 coureurs, on constate que M. Amdouni se distingue de plusieurs manières, en effet parmi les 5 coureurs, M. Amdouni est celui qui a réalisé et de loin la meilleure performance pour son premier marathon.

  1er marathon 2ème 3ème 4ème 5 ème 6 ème
             
Amdouni 2h09.14          
Simotwo 2h14.42 2h08.49        
Seurei 2h16.25 2h11.27 2h12.50 2h07.37    
Dixon 2h11.21 2h08.53 2h12.57      
Wolde 2h10.42 Ab. 2h10.04 2h23.27 2h11.11 2h06.18

Réussir et faire une performance notable pour son premier marathon est loin d’être une évidence. Pour preuve, parmi les 20 meilleurs mondiaux tous temps dans cette discipline, ils sont nombreux à ne pas avoir été performants pour leur 1er marathon et Ils sont 10 parmi les 20 meilleurs tous temps à avoir une performance supérieure à celle réalisée par M. Amdouni pour sa première tentative dans un marathon loin d’être le plus rapide. Voir ENCADRE 2

Le deuxième élément distinctif dans la performance d’Amdouni est celui de la temporalité, c’est-à-dire de la durée qui sépare la réalisation de sa meilleure performance sur 1500 m et de celle sur marathon.

    Durée entre MPM 1500 m et MPM marathon
  Age réalisation MP 1500 m Durée Age réalisation MP Marathon
       
Amdouni 26 ans 4 ans 31 ans
Simotwo 26 ans 9 ans 35 ans
Seurei 28 ans 6 ans 34 ans
Dixon 24 ans 9 ans 33 ans
Wolde 20 ans 8 ans 28 ans

Au regard du tableau, on voit que c’est Amdouni qui présente la transition la plus rapide. Celle -ci n’est que de 4 ans, entre 2015, l’année où il réalise 3 :34.05 sur 1500 m et ses 2h09.14 en 2019. Cette durée est là aussi inhabituelle car même pour des coureurs identifiés comme véritables spécialistes du 5000 m / 10000 m, ce temps de transition est, en dehors de quelques rares exceptions, plutôt conséquent pour les coureurs de 5000m /10000 m.

Il faut en moyenne 8,2 années (écart type 3,4) aux 22 coureurs 5000 m /10000 m/ 30000 m steeple performants sur 1500 m répertoriés dans cette étude entre la réalisation de leur meilleure performance sur leur distance et leur meilleure performance sur marathon.

On peut donc dire que le résultat de Morhad Amdouni à Paris est exceptionnel au vu des éléments suivants :

  • Faire 2h09.14 pour un premier marathon pour un coureur profil 1500 m
  • Le faire 4 années après avoir réalisé son meilleur chrono sur 1500 m et une année après son record sur 10000 m
  • Le faire, comme nous le verrons plus loin au débotté sans réelle préparation
  • Et élément annexe, le faire à Paris.

Morhad Amdouni apparaît donc clairement au vu de ces éléments comme un coureur hors normes.

Comment peut s’écrire son avenir sur marathon ?

Si l’on observe et qu’on se base sur les résultats des coureurs qui sont parmi les 20 meilleurs mondiaux ayant définitivement terminé leur carrière (ils sont 10), on peut observer que leur meilleur chrono se situe vers le 10ème marathon (entre 6 et 16 marathons selon les individus) de leur carrière et dans leur 5ème année de pratique sur cette distance (entre 2 et 9 saisons).

Les perspectives d’évolution d’Amdouni sur marathon semblent donc particulièrement brillantes au vu de ces analyses quand on sait qu’à Paris, il a réalisé un extraordinaire négative split (gain de de l’ordre 1 minute entre le 1 er semi – marathon (1h05.07) et le deuxième semi (1h04.07) ce qui est là aussi assez époustouflant pour une course hors championnats (non tactique) où la recherche du chrono est l’objectif premier.

Ecoutons Morhad Amdouni avant et après son marathon

Quand avant la compétition il explique son choix mûrement réfléchi, bien que gardé secret encore quelques semaines avant la course : « L’idée est de commencer sur marathon, de mettre un pied dedans, cinq ans avant les JO 2024 à Paris, je cours pour faire 20-30 km en ayant en tête bien sûr de terminer. Je veux avant tout me faire plaisir, goûter aux sensations du marathon et avoir une première idée de mon potentiel sur la distance ; l’objectif à terme est de travailler sur de long et d’avoir une base de vitesse qui me permette de passer un cap sur marathon pour représenter la France aux JO 2024 ou avant si l’occasion se présente. Pourquoi pas aux JO de Tokyo 2020 ? Si je me qualifie, que ce soit sur 10000 m ou marathon, j’irai sur la distance où j’ai le plus de chance d’avoir une médaille. » (Lepape info du 29 mars.)

Quentin Guillon dans VO² running du 14 avril 2019 nous raconte la course : « Quand le lièvre s’est écarté au 26ème, le champion d’Europe a alors accéléré…Il réalisa 30’16 entre le 30ème et le 40 ème (et même 15’04 du 35ème au 40ème du côté de Boulogne où les organismes sont mis à rude épreuve. »

Suit l’interview. A l’arrivée, Amdouni, souriait : « Je suis satisfait. Courir un marathon était pour moi un honneur. Je suis maintenant un coureur complet du 800 m au marathon. »

Son chrono surprend, dès lors que le marathon n’était pas prévu à son programme. « Je me suis décidé il n’y a pas longtemps. Je savais que j’étais capable d’être fort sûr de longues distances. J’aurais pu faire 2h07 ou 2h08. C’est le fond d’Amdouni (sic). On a connu Amdouni la mobylette (sic) je suis capable de tenir sur du long », glissait-il à la troisième personne, comme dans l’euphorie de Berlin. « Je voulais avoir le ressenti marathon. C’est de bon augure pour la suite ».

Son entraîneur à l’INSEP, Philippe Dupont, expliquait quant à lui que le natif de Porto -Vecchio avait été touché au tibia fin novembre. « C’était un début de fracture de fatigue. Il a coupé un peu en décembre, et il est vite reparti sur des séances bien chiadées et à haute intensité en vélo en aqua jogging, en elliptique. Il a une base aérobie assez étonnante : ça revient vite chez lui. Il peut faire 29’ toute l’année sur 10 km. De fin janvier à fin mars, il a fait deux sorties longues de 30 km », assure Philippe Dupont qui dit qu’un « marathon à ces allures -là,1h05 au semi, n’était pas une prise de risque » pour Amdouni. « Il pouvait encore accélérer mais il sentait un peu son mollet sur la fin ».

A la lecture de ces lignes, on croit comprendre que le marathon de Paris a été préparé en quelques semaines après une blessure sérieuse qui a contrarié longuement sa préparation hivernale.  Faire un marathon quelques semaines après une suspicion de fracture de fatigue est une stratégie surprenante et alors que la grande majorité des coureurs ressent la nécessité de faire une préparation spécifique sur 12, 16 semaines ou plus pour courir un marathon à ce niveau.  

Si Amdouni possède indéniablement une base aérobie étonnante, Les blessures récurrentes dont il souffre semblent pourtant constituer le véritable handicap pour une carrière sur marathon, discipline exigeante et donc traumatisante.  En effet à la lecture de ses résultats au cours des dernières saisons on constate que LES performances de pointe sont souvent suivies de longues périodes d’arrêts dues à des blessures et cela depuis de nombreuses saisons.

Conclusions de cette étude sur les coureurs de 1500 m – marathoniens.

On voit donc à l’analyse des bilans des 500 MPM sur 1500 m, que les coureurs de haut niveau (temps inférieur à 3 :36.0) sont en réalité très peu nombreux (5) à avoir réussi à être performant (moins de 2h10) sur marathon.

A la lecture des histoires sportives de Rodney Dixon et Jacky Boxberger, on est interpellé par la durée entre la meilleure performance sur 1500 m et leur meilleure sur marathon (9 ans :  1974 à 1983 pour Dixon et 12 ans de 1973 – son meilleur temps 3.36.8 – à 1985 pour Jacky Bamberger.

Le passage réussi du 1500 m au marathon serait donc celui du temps long.

Passer du 1500 au marathon c’est se transformer à plus ou moins longue échéance mais c’est aussi une transformation quasi irrémédiable. Même pour un coureur de 5000 m /10000 m le passage sur marathon est loin d’être évident, comme le démontrent les cas de Haile Gebrselassie et Mo Farah (encadré 3), qui sont pourtant parmi les plus grands de l’histoire des longues distances. Il ne pourra qu’être bien plus difficile encore pour le coureur de 1500 m.

Les bilans confirment une réalité physiologique qui s’impose : on ne peut pas être à la fois aussi performant sur 3: 30 d’effort et sur un temps d’effort qui dure plus de 2h alors que ce n’est déjà pas le cas entre un temps d’effort sur 13 ‘ (5000 m) ou sur 27 ‘ (10000 m) et la durée d’un marathon. Tous les bons coureurs de 10000 m ne deviennent pas systématiquement d’excellents marathoniens.

Les réponses aux deux questions posées en préambule

La réponse à la première question trouve un écho dans le profil du coureur. Les chiffres montrent qu’être très rapide semble même être rédhibitoire pour performer à haut niveau sur marathon. C’est tout simplement une histoire de fibres – fibres rapides et fibres lentes – qui rend impossible d’être performant à un très haut niveau sur des disciplines aussi éloignées.

D’après l’étude sur les 500 meilleurs performers, le niveau le plus élevé recensé sur 800 m est la performance de S.K. Simotwo avec 1 :45.5. A noter que parmi les 100 premiers du bilan mondial sur marathon (de 2h01.39 à 2h06.27), il n’y a que 16 à présenter une performance sur 1500 m – voir ENCADRE 4

Il faut donc se garder de croire, parce que les plus « grands » sur 5000 m/10000 m sont venus sur marathon que 5000 m /10000 m et marathon sont de même nature et accessibles sans travail spécifique.

La réponse à la 2ème question relative à la temporalité montre que qu’une véritable transformation interne du coureur est nécessaire. Monter sur la distance supérieure prend du temps et c’est encore plus vrai pour une distance comme le marathon.

Si chaque coureur de 1500 m est capable de faire un 10 km ou même un semi sans trop de difficultés, le marathon est une autre histoire.

La transition du 1500 m vers le marathon est donc loin d’être une évidence. Temps et patience sont de rigueur.

(*) bases de références :  bilans IAAF

Les performances de Morhad Amdouni

ENCADRE 1 -Les 35 coureurs spécialistes du 1500 mètres qui ont couru sur marathon

  • S. Nyambui (Tan.) : 3 :35.8 sur 1500 m (1979) et 13 :12.29 sur 5000 m (vice-champion olympique du 5000 m en 1980) et 2h09.52 sur marathon en 1989
  • P.Koech(Ken.) : 3 :35 .67 en 1986 et 8 :05.35 sur 3000 m steeple (2ème aux JO 1988) et 2h18.02 en 1998
  • S.Hissou (Mar.) 3 :35.35 en 1996,  12 :50.80 sur 5000 m, 26 :38.08 sur 10000 m (Record du monde) et 2h12.45 en 2004
  • B. Kipruto (Ken.) 3 :35.23 en 2006 et 7 :53.64 sur 3000 sur 3000 m steeple (champion olympique en 2008) et 2h19.23 
  • Y.Alamirew (Eth.) 3 :35.09 en 2011, 12 :48.77, 27 :19.86 et 2h08.56 en 2018
  • J.Kiptoo (Ken.) 3 :35.09 en 1997 (1 :47.49 au 800 m) 13/06.12, 27 :30.04 et 2h27.20 en 2006,
  • M. Carroll (Irl.) 3 :34.91 en 2000, 13 :03.93 et 2h10.54 en 2002 
  • S.M. El Wardi (Mar.) 3 :34.85 en 2000, 13 :04.66 et 2h22.43 en 2002
  • G. Weidlinger (Aut.) 3 :34.69 en 2001, 8 :10.13 au3000 m steeple, 13 :13.44 et 2h10.47 en 2009
  • M.S. Jahwer (Ar.Sa.) 3 :34.63 en 2001, 12 :59.79 et 2h08.53 en 2011
  • Galen Rupp (USA) 3 :34.15 en 2014, 12 :58.9, 26 :44.36 et 2h06.07 en 2018
  • G.Mottram (Aus.) 3 :33.97 en 2006, 12 :55.76, 27 :24.48 et 2h28.39 en 2016
  • M.Geneti (Eth.) 3 :33.83 en 2006, 13 :00.25 et 2h04.54 en 2012 
  • H. Gebrselassie (Eth.) 3 :33.83 mais mais3 :31.78 en indoor, 12 :39.36, 26 :22.75 et 2h03.59en 2008
  • H. Bellani (Mar.) 3 :33.71 en en 2007, 12 :55.52 et 2h18.53 en 2016
  • D. Baumann (All.) 3 :33.51 en 1997, 12 :54.70, 27 :21.53 et 2h30 en 2007
  • E. Kipchoge (Ken.) 3 :33.20 en 2004, 12 :46.53, 26 :49.02 et 2h01.39 en 2018
  • H.Mekkonen (Eth.) 3 :33.14 en 2000, 12 :58.57 et 2h07.35 en 2011
  • B. Tahri (Fra.) 3 :32.73 en 2013, 8 :01.18 au 3000 m steeple et 2h16.28 en 2014
  • K. Bekele (Eth.) 3 :32.35 en 2007, 12 :35.35 et 26 :17.35 et 2h03.03 en 2016
  • J.K. Kibowen (Ken.) 3 :30.18 en 19998, 12 :54.07 et 2h11.04 en 2008 
  • Mo Farah(GBR) 3 :28.81en 2013, 12 :53.60, 26 :49.35 et 2h05.11 en 2018 .
  • Présentés par ordre de performance décroissant sur 1500 m  

ENCADRE 2 – Les 10 meilleurs marathoniens tous temps avec une performance supérieure à celle de M. Amdouni pour sa première tentative sur marathon

  • Geremew M. (2h10.20 pour une meilleure performance de 2h02.55 2 ème perf. mondiale)
  • E. Mutai (2h13.03 pour 2h03.03 5ème perf. mondiale)
  • M. Wasihun (2h10.57 pour 2h03.16 -7ème perf. Mondiale
  • H. Negasa (2h10.51 pour 2h03.40 10 ème perf. mondiale)
  • S.K. Biwott (2h11.19 pour 2h03.51 12 ème perf. mondiale)
  • A. Mengetsu (2h19.40 pour 2h04.06)
  • L. Cherono (2h09.39 pour 2h04.06)
  • S. Lemma (2h11.58 pour 2h04.08)
  • M. Kipserem (2h18.51 pour 2h04.11)
  • G. Mutai (2h26.19 pour 2h04.15

ENCADRE 3 – Gebreselassie et Mo Farah, la transition 10000 – marathon

Même un champion comme H. Gebreselassie a pu l’apprendre à ses dépens. En tentant l’aventure dès 2002 avec un chrono de 2h06.35 (qu’on peut estimer décevant vu son niveau sur 10000 m) il revient sur 10000 m pour les championnats du monde à Paris (12 :54.36, 26 :29.22 – battu par Bekele) puis aux jeux d’Athènes (12 :55.51, 26 :41.58 – 5ème) mais ne redeviendra pas le coureur qu’il était avant le passage sur marathon perdant de sa vitesse. Cet aller-retour il va à nouveau le tenter en 2007 :  2008 aux Jeux olympiques de Pékin (où il ne finira que 6 ème sur 10000 m) Après avoir plus sérieusement couru sur route en 2005 (2h06.20) et 2006 (58.55 au semi et 2h05.56) sans faire de piste, il conjugue piste (26 :52.81 et un formidable record de l’heure – 21285 mètres  mais pas de championnat du monde   et route en 2007 (2h04.26) en 2017 (26 :51.20 sur 10000 m mais seulement 7 ème à Pékin avant de battre son record en 2h03.59) apportant la preuve qu’il est impossible de jouer en même temps 10000 m et marathon. Qu’aurait pu faire Gebrselassie en restant sur exclusivement sur marathon dès 2003 ou ne tentant l’aventure qu’après 2004 ?

Être rapide sur 10000 m est un prérequis et une plus-value considérable pour la performance sur marathon mais 10000 m et marathon sont deux choses bien distinctes sur le plan physique, physiologique et dans les aspects neuro- musculaires. Cet aspect mérite une analyse bien plus approfondie que nous ne pouvons pas approfondir dans cet article.

La même mésaventure a failli arriver à Mo Farah lors de sa première tentative sur marathon en 2014, une année sans championnat majeur donc sans prise de risque avec un chrono de 2h08. 41 (chrono plutôt moyen) mais qui va nettement mieux gérer la suite de sa carrière en se consacrant alors exclusivement au 5000 m /10000 m jusqu’en 2017 avant de basculer sur marathon. Sans pouvoir l’affirmer, il est probable que Mo Farah n’a pas modifié son entraînement de manière aussi importante que Gebrselassie avait pu le faire pour adapter sa foulée à la route.

ENCADRE 4 – les 16 coureurs du top 100 mondial avec une performance sur 1500

A noter que parmi les 100 premiers du bilan mondial sur marathon (de 2h01.39 à 2h06.27), il n’y a que 16 à présenter une performance sur 1500 m. Si on enlève les extraterrestres : Farah 3 :28.81 – Gebreselassie 3 :31.76 en salle- Bekele 3 :32.35 – Kipchoge  3 :33.20, les autres coureurs à part Rupp 3 :34.15 ont des performances très modestes : Geremew (3 :47.5)* El Abassi (3 :49.2)* Tergat (3 :42.4)* Wanjiru (3 :50.28)* Saina (3 :49.72)* Goumri (3 :39.80)* Moen (3 :48.65)* Kuma (3 :48.73)* Osako (3 :40.99)* Kiptoo (3 :47.0)* A. Bekele (3 :40.83).