A 74 ans, Hubert Steinmetz entraîne toujours avec la même rigueur, la même passion, la Panda Team, nom de guerre de son groupe de demi-fond au sein de l’Unitas de Brumath. Dans ce groupe évolue Baptiste Mischler quatrième cette année aux Mondiaux juniors sur 1500 mètres. C’est le surdoué de sa génération. Etudiant à l’INSA, il épouse avec sérénité la philosophie du coach. Rencontre en Alsace à Brumath et à Mommenheim.
Baptiste a tiré le loquet. La porte s’est déverrouillée. Elle a couiné sur ses gongs en glissant vers le mur. La lumière est entrée, de plein fouet.
Ce local, un préfabriqué des années soixante, est rangé comme un vaisselier. Rien ne dépasse, pas une caisse de travers, tout est encodé, numéroté, rangé au cordeau. Baptiste se tient dans la lumière du fond, grande silhouette élancée. Il observe Hubert cheminer dans la pénombre de ce long couloir bas de plafond. Au fond, c’est le local à balais. Les balais d’Hubert, à grands poils de coco, à grands manches. Ceux qui servent à balayer cette piste d’une cendrée fine et sablonneuse comme passée au tamis. Ceux qui servent à caresser cette piste, un rituel. Baptiste lâche « moi je préfère tirer le ballet, Hubert lui le pousse ». Tous les deux passent à l’exercice. Une fine poussière se soulève, le maître est devant l’élève.
La piste de Brumath s’adosse à une jolie forêt de châtaigniers. C’est peut-être l’élément qui la distingue et la différencie de ces petits stades bordés d’immenses eucalyptus où les tribus Kalenji se disputent à grandes enjambées le bout de gras. Fermez les yeux, ouvrez les…il y a bien un petit côté Rift Valley, avec cette cendrée couleur pétales de rose fanées, cette petite tribune posée là comme un bungalow de plage, cette vieille chaise aux planches brisées où plus aucun juge n’oserait poser ses fesses, cette rambarde ceinturant le stade à la peinture granuleuse, en cloques et boursoufflée. Parfois, l’eau monte aussi haut que cette rambarde comme en 1997. Cette prairie est inondable, parfois l’eau stagne, comme au printemps 1983, deux mois d’exaspération. A la décrue les grenouilles chantent, Hubert déchante.
Nous sommes donc chez Hubert Steinmetz l’entraîneur de toujours du club alsacien l’Unitas de Brumath et coach de Baptiste Mischler. Il a lâché la présidence en 2011 mais cette piste, c’est son anneau céleste, il en est le guide comme accroché à une constellation. Pour toujours, sans doute à jamais. Il précise « elle mesure 374,5 mètres ». Pour les 400, il faut courir au quatrième couloir. On devine une marque plus sombre. Ici, on ne dit pas « cendrée » mais « rotground ». Pour le traçage, il vous dit comme s’il vous retenait par l’épaule à l’aplomb d’une falaise « c’est moi qui le fait ». Avec un appareil rudimentaire, quatre bouts de planches étroites, un clou tous les 1,22 m, l’engin est appuyé contre le mur du club house. Hubert précise « Ici aussi il y a du vandalisme, mais cet appareil, il n’a jamais été volé ». L’UB n’a jamais eu le stade qu’elle méritait, à la hauteur de ses ambitions. Les regrets peuvent être éternels.
Le Club House est à l’entrée du stade. Un autre bungalow qui, en 1997, fut lui aussi, sauvé des eaux. Hubert a déjà ouvert les volets. Il a le sens de l’accueil. L’intérieur est chaud et chaleureux, un petit côté chalet de montagne. Il y a des raisons de s’y sentir bien. Hubert regrette « il manque les rideaux que ma femme avait cousus ». Il pointe du doigt le sol « c’est la moquette que l’on a récupérée des France de cross ». C’était en 1992, le club uni derrière son leader avait relevé un tel défi. Autour du lac de Brumath, Annette Sergent y remportait son dernier titre. Au mur, des tableaux où sont encadrés chacun des records établis par les jeunes et moins jeunes du club.
Nous avons tiré deux lourdes chaises. Nous nous sommes assis à la dernière table. La salle respire les vieux meubles vernis. Hubert lâche « ici, on en faisait des soirées tartes flambées » à l’occasion des stages régionaux lorsqu’il était CTR, pour des soirées avec les caïds du coin. Souvent Fernand Kolbeck, en voisin, s’y est prêté « avec ma femmes, c’était du bonheur, elle en a rassasié, elle en a préparé des repas, des milliers. Si j’ai réussi, c’est bien grâce à elle, il faut être complémentaire, elle me calme car elle ne répond pas ».
Baptiste Mischler a lui aussi tiré une chaise, il s’est assis en face de nous. Le junior surdoué du 15, quatrième lors des Mondiaux en 2016, n’a pas l’âge pour avoir connu l’ambiance de ces soirées. Il écoute, même s’il a déjà entendu le vieux maître raconter ce que l’on nomme facilement le bon vieux temps. Il le confirme « j’aime l’humour d’Hubert. C’est pour cela qu’on s’y attache. Même si les blagues, ce sont souvent les mêmes. Il a une telle mémoire, on découvre toujours quelque chose de nouveau ».
Qui est donc Hubert Steinmetz ? Difficile entreprise de déminage dans un tel champ de vie, il le dit lui-même « j’ai eu cinq vies, ma vie privée, ma vie de prof, les fleurs, le sport » il hésite un instant, il ajoute « ma vie d’élu ». Cinq parcelles qu’il a labourées, hersées, semées, moissonnées avec une ardeur et un déterminisme hors du commun. Jeune homme, il fut donc prof de maths quatre années à Kirrwiller, il n’éprouve aucune honte à dire « j’étais un prof strict ». Bien au contraire, la rigueur, c’est le ciment de toute sa vie « la conduite sévère de ma vie, je l’ai héritée de mon père. Il était très ferme à la maison sur le plan éducatif. Un jour, un inspecteur d’académie me dit « votre classe ne réagit pas, c’est dû à votre façon de conduire la classe ». Il court un peu, modestement, 2’02’’ au 800, il se passionne déjà pour le sport, il entraîne, un peu le foot, un peu la course à pied, il glisse sur la table une photo couleur, onze mioches en culottes courtes, l’un d’eux est Léonard Specht, futur pro au Racing de Strasbourg puis aux Girondins de Bordeaux. Il découvre également les frères Conrath, Bernard le footeux, Jean le crosseux. C’est avec ce gamin surdoué mais imprévisible et déluré qu’il va construire une méthode, une philosophie « un jour, j’ai pris ma voiture, je suis allé à Aix la Chapelle. J’ai acheté un plein coffre de livres spécialisés sur l’entraînement. Il s’inspire ainsi des méthodes allemandes, elles collent bien à son caractère. Beaucoup de vitesse de base, beaucoup de foncier, de PPG, de la pliométrie à chaque séance, toute l’année et beaucoup de vitesse terminale, en Alsace, on parle même de vitesse « Steinmetz ». Mais au-delà de ces principes, il y a la philosophie Steinmetz, avec ses 15 commandements. Cela n’a rien d’apostolique mais ils ont fait le tour de l’Alsace et la réputation d’un entraîneur autant aimé que détesté. Ses colères en alsacien raisonnent jusqu’au Mont Ste Odile. Il le dit en se marrant « lorsque l’on jure en dialecte, ça a plus de portée ».
Sur le rebord de la fenêtre, Hubert Steinmetz a posé une mallette grise métallisée. Hubert et sa mallette…Baptiste a un petit sourire au coin des lèvres en regardant l’objet fétiche posé sur le rebord d’une fenêtre comme un vieux chat ensommeillé. Le coach n’y cache pas des trésors mais elle le suit depuis toujours. Il en sort le N°13 du bulletin « A vos marques » ronéotypé à la Gestetner. Année 80, Roger Thomas y écrit « la valeur d’un entraîneur, ce n’est pas ce qu’il sait, c’est ce qu’il est ». Il en sort le N°17, couverture rose, vendu à l’époque 25 francs, la bière Météor comme partenaire pour financer la brochure. On y parle du Sport Tester PE 3000, l’ancêtre du cardio-fréquencemètre. L’UBS est ainsi le premier club français à posséder l’ensemble émetteur – récepteur. C’est Hubert qui le paye de sa poche après avoir découvert l’engin lors d’une démonstration réalisée par Lasse Viren en 1983. Il en sort également un vieil article de l’Equipe publié le 11 juin 1980 lorsqu’il est nommé par Jean Poczobut, entraîneur national appelé à la rescousse d’une équipe de France en capilotade depuis l’échec cuisant des Europe d’Athènes. Christian Montaignac en est l’auteur. Hubert Steinmetz surnommé « l’inconnu », y est décrit comme un dur à cuir. Personne ne peut le contredire. Il sort enfin deux feuilles qu’il glisse sur la table, l’une est blanche et a pour titre « Les 15 commandements du bon athlète », l’autre est rose « Le carnet d’entraînement, la mémoire de votre progression ». Il n’a pas à expliquer, à argumenter, tout est écrit en gras pour appuyer le propos. Ligne 11, on peut lire « Le Cahier d’entraînement, au jour le jour, minutieusement, tu le tiendras ».
Baptise Mischler est venu justement avec son carnet d’entraînement qu’il tient religieusement comme un livre saint. L’athlète l’affirme « cela complète ma passion, c’est un journal intime, je le pense ». Le maître ajoute « c’est le témoin de la passion d’un athlète. Je le dis souvent « mais vous serez fier de le remplir, ça fait partie de votre vie. Cela oblige l’athlète à se connaître ».
Baptiste tend l’épais cahier. On feuillette les pages. Quelques observations sont notées en rouge, pour les compétitions « au début, je n’aimais pas remplir cette rubrique, mais je m’applique car l’athlé me tient à cœur. On revoit ainsi ses entraînements, ses compétitions ». Des fiches sont collées sur les pages. Elles permettent de tenir une comptabilité précises des séances Une saison défile. Pour l’an passé, voici quelques chiffres 2788 km, 7,6 km par jour, 5,1 entraînements par semaine soit 297 séances, Baptiste commente « ce sont des fiches datées 1900. Oui, c’est un peu nostalgique. C’est la même fiche qu’Hubert donne à ses athlètes depuis des générations. On rentre ainsi dans la famille des coureurs qu’il a entraînés. Je me sens dans une continuité, dans une histoire ». L’écriture est appliquée, les lignes tracées à la règle, au stylo noir. Rien de déborde, rien ne dépasse. Ces copains lui disent «t’es un malade, pourquoi tu ne fais pas cela à l’ordi ?». Mais Baptiste est imprégné, il a besoin de ce recueillement, de cette respiration intime, de ce petit coup de plume arrondi, un rituel en apesanteur, il précise « j’ai besoin de le toucher ». Les pages défilent encore. Son doigt s’arrête sur l’une des séances clef d’avant championnat de France qu’il remporte à Châteauroux, son premier, un enchaînement 300 – 600 – 400 avec 1’21’’ au 600 « ce carnet, c’est un fil conducteur pour savoir où l’on en est ».
La semaine dernière, Hubert a ramassé les cahiers Il y avait du bon et du mauvais. Il prend dans les mains celui de Baptiste, il dit « ça c’est du sérieux, il y a de la rigueur. Je dis toujours, montre moi ton cahier, je te dirai qui tu es ». Baptiste ajoute « quand on voit les beaux graphiques que Hubert réalise, on voit que le coach est aussi impliqué que nous mêmes. Mais Hubert ne nous dira jamais « t’es le meilleur ». Le maître relève le nez, cette réflexion lui plaît, il sourit pour dire « Comment gâche-t-on le talent d’un jeune ? C’est de lui dire tous les jours qu’il est le meilleur en lui jetant des fleurs. Il faut rester les pieds sur terre ».
A 74 ans, la mémoire d’Hubert Steinmetz est indéfectible, un coffre fort d’anecdotes, de noms et de performances, mais aussi de maximes, de citations, de poèmes, de phrases qu’il pioche au gré de ses lectures, de ses recherches, de ses rencontres. Il tient même des recueils de phrases qui ont balisé ses longues nuits d’insomnies, à méditer, pencher sur le vélin comme hanter par le vide. Y cherche-t-il sagesse ? Il n’a toujours pas trouvé réponse dans cette quête compulsive des mots, des rimes. Goethe est souvent là, caché dans les recoins de sa mémoire pour le bousculer « il reste toujours assez de force à chacun pour accomplir ce dont il est convaincu ».
L’heure du déjeuner est proche. Nous repoussons les chaises. Hubert n’oublie pas sa valise, Baptiste reprend son précieux carnet. Nous fermons la porte, les fantômes de l’UB peuvent dormir. Nous quittons Brumath pour rejoindre Mommenheim. Baptiste nous suit dans sa petite C3 au toit ouvrant, sur ces routes sinueuses, mi campagne, mi zone industrielle. Une table a été réservée à l’Auberge du Relais. Les propriétaires ont changé. Ce fut lorsque Hubert était maire de la commune de 2001 à 2008, le repère du Conseil Municipal, pour se rabibocher, pour ranger les couteaux, peu après les séances autour d’une Météor ou d’un petit blanc. Nous nous installons, la table est ronde, Baptiste et Hubert commandent chacun un cordon bleu maison. Des frites pour l’entraîneur, des spätzles pour l’élève en accompagnement. La serveuse apporte une bouteille de Carola, Hubert attaque « Baptiste, c’est une exception comme on en trouve deux ou trois dans une carrière. Sans lui, j’aurai sans doute levé le pied ». Un petit silence s’installe, les bruits de cuisine reprennent le dessus, il force la voix pour dire « Avec lui, j’ai un regret, celui de ne pas avoir vingt ans de moins mais nous irons ensemble jusqu’à Tokyo. Nous avons un contrat moral. Tokyo, c’est demain. Comme entraîneur, on ne peut pas se permettre de faire rater sa vie à un athlète ».
Baptiste écoute ces mots. Ils portent, ils sont profonds, ils ont de l’écho, de l’épaisseur, ils font rempart à une vie pleine qui file, vite, vite, trop vite. Baptiste est dans le présent, tout juste dans le futur, Hubert est dans le conditionnel présent, il dit « l’homme est un animal qui vit de souvenir ».
Baptiste Mischler balaye une saison comme on redresse une mèche. Il ne se ment pas « je suis un insatisfait ». Il relit cette partition « A Montbéliard, 3’43’’09, je retrouve la confiance. A Amiens, c’est la bonne course, 3’39’’58, ça me débloque ». Un Français meilleur européen en demi fond, le second sous les 3’40’’, il y a avait bien longtemps. L’entraîneur s’interpose « A Noël, je leur demande de remplir une feuille d’objectif ». Sur celle-ci, Baptiste, le matheux, étudiant modèle à l’INSA Strasbourg, écrit de sa plume ronde comme une profession de foi « 3’41’’25 ». Il précise « pour battre le record d’Alsace de Fouad Chouki ».
Dépoussiéré de toute timidité, il est déjà dans le vouloir, dans le devoir
Hubert l’enseignant se glisse dans les phrases de son élève pour expliquer encore et encore SA méthode « du cross l’hiver pour le foncier mais ce n’est pas un objectif en soi. L’objectif principal, c’est la piste car même les championnats jeunes sont importants ». L’élève qui apprend vite se raconte. Il s’attarde sur ce Mondial junior qu’il aborde avec une forte pression. Avant la finale, lors de l’échauffement, Pascal Machat le chronomètre sur 100 mètres en 11’’8 sans pointes. Les jambes tournent rond « une course, il faut la courir le jour J. J’avais les jambes qui avaient envie de partir, je bouillonnais intérieurement. Au train, je pouvais suivre les Kenyans. Je ne me savais pas capable de le faire. Je l’ai joué à 100% ». Son point fort, c’est sa vitesse terminale, il attaque au 400, un peu tôt sans doute. Hubert le coupe « on a une génération d’assistés, dans la vie, il faut savoir prendre des risques ».
Nul ne sait si Baptiste Mischler sera topographe, expert géomètre, deux métiers qu’il ambitionne ou…olympien, les deux peut être. Dépoussiéré de toute timidité, il est déjà dans le vouloir, dans le devoir. Il donne un sens à sa vie de jeune adulte. Il tamise ses mots pour expliquer son engagement auprès de l’association « Franck un rayon de soleil ». Nous le quittons, on l’attend à Dingsheim pour une photo de groupe avec les militants de cette association impliquée dans la lutte contre le cancer. Un engagement, un partage, une envie.
Renoncer à ses envies ? Hubert Steinmetz a construit sa vie dans le grand labyrinthe de mille passions. Dévorantes, obsessionnelles, épicuriennes, citoyennes, sans rien laisser sur le bas côté. Cinq vies de tourments, parfois d’apaisement. Il nous conduit chez lui. La grande rue et ces magnifiques demeures alsaciennes, autrefois fermes à tabac. Nous stoppons près d’un grand porche, ce fut la ferme familiale, nous saluons le frère. Plus bas, nous stoppons à nouveau, l’ancien élu, 35 ans au Conseil Municipal raconte « voilà, c’est là que je suis né. La sage femme vivait à cent mètres de là. Nous étions une famille de six enfants. Mon père est décédé jeune, il venait juste de construire une nouvelle étable. A son décès, c’est moi qui a mené la ferme pendant un an. Moi j’ai pris des risques à sa mort ».
Nous poursuivons notre chemin. Nous recroisons la rue principale puis nous grimpons dans une zone pavillonnaire, belles maisons des années soixante dix. Une dénote dans ce cadre joliment fleuri, arboré, soigné. Nous stoppons devant une bordée de roseaux envahissant, les volets sont clos « c’est là qu’habite Jean Conrath. On vit à cent mètres l’un de l’autre mais on ne se voit jamais. Juste pour le premier de l’an lorsque je fais ma tournée avec ma bouteille de champagne au petit matin ». Jean Conrath fut l’athlète le plus doué déniché par l’entraîneur impérial de Mommenheim, deux fois champion de France sur 5000 m, 13’33’’ sur cette distance et sélectionné olympique à Montréal en 1976. « Si j’écris mon autobiographie, la moitié sera consacré à Jean ». Hubert dit cela avec exaspération. Il pourrait en écrire un roman, il pourrait en parler des soirées durant, Jean Conrath, c’est un misérable gâchis. L’homme a joué avec la vie, la sienne et celles des autres comme lorsqu’il plastronne manager de footeux. Il échappe de peu une première fois à la justice lorsqu’il laisse sur le carreau de jeunes joueurs camerounais. Mais les juges lui font la peau lorsque l’on découvre qu’il exploite honteusement une portée de coureurs kenyans logés dans des conditions indécentes à Vendenheim près de Strasbourg. La justice sera clémente lui infligeant une peine minimale de trois mois avec sursis.
Nous sonnons à la porte, personne, nous reprenons notre chemin. Dans un virage, Hubert Steinmetz ralentit « voilà, c’est là que j’organisais le cross de Mommenhein ». Aujourd’hui, le terrain entrepose des machines agricoles. L’organisateur explique « J’avais des relations avec Jos Hermens, les Suisses, les Allemands, eux, venaient même pour la sélection pour le Mondial. Le premier gagnait 10 000 francs ». « L’Ami du Peuple », le journal catholique du coin ainsi que la Coop finançaient les dossards, les primes. Le cross à l’ancienne, le cross de plein champ que les hommes endimanchés et chapeautés n’auraient manqué sous aucun prétexte qu’il neige, qu’il vente. A la messe du dimanche, le curé libérait les fidèles en disant «rendez-vous au cross ». 5000 spectateurs étaient dénombrés le long de ce parcours pour applaudir les Kolbeck, les Box se frotter aux Anglais bravards.
La maison d’Hubert Steinmetz, elle, est connue de tout le village et de ses 1800 âmes. Devant le pas de porte, nous croisons et saluons un voisin, Marcel, un ancien boucher. Il blague « j’ai tué un chat, je sais quoi manger ». Hubert précise « il entraîne des pigeons voyageurs ».
Nous cheminons dans le pré carré d’Hubert le jardinier. Fleuri à l’envie, sans limite, pour accueillir ces milliers de pots, ces fuchsias encore en fleur, les plans de courgettes qui se mélangent aux œillets d’Inde, les pensées en pot pour l’hiver sans oublier géraniums, plantes aromatiques et ce grand carré de tomates dressés sur leur tige comme une armée de soldats « C’est le fruit d’une passion. Vous savez quand on fait une bouture, on crée une plante. Quand on entraîne, on crée. Toute ma vie j’ai créé, toute ma vie, j’ai été un créateur ».
Nous rentrons dans le sous sol, une tanière, le repère d’Hubert Steinmetz, une vie, ici dans la pénombre, ces cinq vies compilées, archivées avec un ordre, une minutie très germanique, jusqu’à 200 classeurs plaqués aux murs. Les trois pièces sont sombres, basses de plafond, mal éclairées. C’est là que chaque soir, le vieil ours insomniaque prend sa retraite d’une journée riche et dense. Il n’y a pas de place vide. Aux murs, quelques fanions, de ceux que l’on offrait autrefois lors des jumelages en cadeau de bienvenue, des photos, elles représentent toutes les Demoiselles de Brumath, Véronique Rusch et sa sœur Martine, la plus douée mais aussi Elisabeth Fey, Annette Kehren, Juliette Meyer, Marie Laure Storck, accumulant par dizaines des titres de championnes de France, 31 entre 1974 et 1985 « elles venaient presque toutes de la campagne. Je les recrutais au collège d’Hochfelden. Elles s’occupaient des vaches, des moissons, du tabac et elles venaient s’entraîner. Le foncier était naturel ».
Hubert Steinmetz ouvre et referme des classeurs, certains sont de grandes tailles, couvertures noires, réalisés par un ancien des DNA. Les classements de la Ligue y sont référencés. Il tire un large rideau, sur cette étagère, ce sont les archives du club, 20 000 photos classées, répertoriées, un travail de bénédictin. Ici, trois classeurs pour 1992 l’année où l’UB organise le championnat de France de cross. Tout y est consigné, il ne manque aucune lettre, aucun devis, aucun bilan. Non loin, un classeur lui tient à cœur, il le tire de son rangement. A l’intérieur, les photos qu’il achetait, alors lycéen, auprès du Miroir Sprint. Il met le doigt sur l’une d’entre elles, il s’agit de Günter Zahn, le dernier porteur de la flamme olympique en 1972. Dans la même pièce, rangés quelques part selon un ordre que lui seul connaît, on retrouve les cahiers d’entraînement de Joseph Mahmoud, de Pascal Thiébaut lorsqu’il fut nommé entraîneur national « à eux aussi je leur demandais déjà leurs carnets ». Il raconte une anecdote de cette période chaotique où l’Equipe rôde dans les couloirs de la FFA «Un jour Parienté, journaliste à l’Equipe m’invite « il nous faudrait des infos comme le fait Perrin », je lui ai répondu je n’alimente pas l’Equipe avec des cancans ».
Le soir, Hubert Steinmetz s’enferme dans ses souvenirs. A la lumière blafarde, il épluche, il écorne, à s’en crever les yeux, apaisé ? Il n’y a rien de sûr. Archiviste de son quotidien, il griffonne des pensées «Aux alentours de minuit, je fais une page d’écriture. Je note une belle phrase, une belle idée ». Il ouvre ce carnet intime. A la date du 28 juillet, quelques jours après la finale de Baptiste Mischler lors des Mondiaux juniors, il écrit « Il n’y a pas de voie royale devant lui ».
> Texte et photos Gilles Bertrand
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