Le Championnat d’Europe de cross de Sardaigne a fourni l’occasion d’une sérieuse démonstration de force de la Turquie, qui réalise un doublé chez les seniors hommes et chez les seniors femmes. Dans les deux cas, grâce à des athlètes originaires du Kenya, et naturalisés Turcs dans l’optique d’une mise en avant du pays, toujours en quête de reconnaissance sur le plan européen. Et la Turquie, qui avait été mise à l’index pour ses très nombreux cas de dopage, n’a cure des critiques…
Les deux fluettes athlètes ont à peine passé la ligne d’arrivée qu’elles s’enveloppent complètement dans les immenses drapeaux blancs avec le croissant rouge étoilé. Le clan turc ne passe pas inaperçu. Au bout de la sortie des athlètes, un groupe d’une dizaine d’hommes vêtus de la tenue officielle, encore d’autres drapeaux à la main, attend Yasemin Can et Meryem Akda avec enthousiasme. L’excitation est à son comble.
Fatih Cintimar, le président de la Fédération, arbore un grand sourire lorsque je l’interpelle. Avec l’aide d’un jeune traducteur, il m’explique que « Oui, nous espérions ce résultat. » Et je n’ai même pas le temps de poser d’autres questions qu’il débite : « Nous sommes en train d’écrire l’histoire de l’athlétisme des seniors femmes. Nous espérons le même résultat avec les hommes. Nous sommes le premier pays à avoir gagné tous les titres, de junior à senior. »
Une litanie visiblement bien rôdée, pour répondre à toutes les interrogations autour de cette domination de deux athlètes kenyanes, que les hommes vont effectivement répéter un peu plus tard, grâce à Araz Kaya et Kemboi Arikan, également deux ex-Kenyans.
Carol Santa, entraîneur roumain, en charge des ex-Kenyans
Dans l’aire d’arrivée, un homme immense, cheveux roux, tâches de rousseur sur tout le visage, vêtu d’un survêtement officiel bleu de la Turquie, se réjouit particulièrement de cette réussite. Carol Santa la fête avec enthousiasme, en levant son verre rempli d’alcool fort. Cet entraîneur roumain est l’élément clef de cette montée en charge des athlètes turcs, recruté pour ce job par la fédération turque d’athlétisme avide de performances au plan international.
Le coach a fait ses preuves en Roumanie, et la Turquie ne s’y est pas trompée, lui confiant Yasemin Can, Meryem Akda, Araz Kaya, le vainqueur du jour et Ali Kaya, le vainqueur 2015. Deux athlètes qu’on ne peut distinguer que par leur prénom : la Fédération Turque a en effet adopté la très douteuse pratique de changer les noms de tous les athlètes qu’elle recrute au Kenya, et de leur donner des noms turcs, très semblables.
Kaya. Obzilen. Can. Les patronymes se répètent, seuls les prénoms changent, et cela rend un peu compliqué de suivre les carrières de ces athlètes. Le scénario n’est pas inconnu, mais sa répétition championnat d’Europe après championnat d’Europe, interpelle, d’autant que le phénomène s’accroît d’année en année. Le double doublé de cette année est ainsi une première.
Les athlètes se préparent à Iten
C’est à Iten au Kenya que le Roumain Carol Santa a préparé ses athlètes pour ce rendez-vous européen. Comme d’habitude, m’explique-t-il, alors que le jeune porte-parole de la Fédération Turque s’est évertué, lui, à me répéter que oui, ces athlètes turcs, ex-Kenyans, résident bel et bien à Istanbul, et depuis 3 ans, m’a-t-il affirmé sans ciller.
Les Turcs n’ignorent pas que ces naturalisations à coups de dollars suscitent interrogations et grognes, et préfèrent déformer la réalité pour accréditer l’idée de venues « spontanées » de ces athlètes en Turquie. Quoi qu’il en soit, la Turquie tire ainsi parti de règles particulièrement souples des instances internationales. Ainsi selon sa biographie officielle distribuée en Sardaigne, Araz Kaya (ex Amos Kibitok) est arrivé en Turquie en mai 2015, a été naturalisé turc mi juin 2016, et autorisé par l’IAAF à représenter son nouveau pays le 4 juillet 2016. On ne peut pas dire que l’IAAF freine le mouvement. Et il s’en est d’ailleurs fallu de très peu qu’il devienne en fait russe : il aurait aussi vécu à Kazan, et il a même disputé plusieurs championnats de Russie…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : Gilles Bertrand
A lire également :
Janvier 2015 – La Turquie brille au Championnat d’Europe de cross : http://spe15.fr/la-turquie-brille-au-championnat-deurope-de-cross/
Juillet 2016 – Nationalisme et naturalisation express, la Turquie montre le drapeau : http://spe15.fr/nationalisme-et-naturalisation-express-la-turquie-montre-le-drapeau/
Mars 2015 – La Turquie décimée par le dopage : http://spe15.fr/la-turquie-decimee-par-le-dopage/