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Nationalisme et naturalisation express, la Turquie montre le drapeau

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La Turquie pratique à l’excès le principe des naturalisations express pour nourrir sa démarche politico-sportive.  Ainsi depuis 2001, 20 titres internationaux et 40 podiums ont été conquis par des athlètes originaires majoritairement du Kenya et de l’Ethiopie. Ces Europe en apportent une nouvelle fois une preuve flagrante avec 6 médailles déjà au tableau de chasse de ce pays également marqué au fer rouge quant aux affaires de dopage qui ont souillé le sport turc. 

 

La question n’est pas propre à l’athlétisme. La problématique des naturalisés express dans le basket fait débat depuis les années 80. Lors de l’Euro 2015, la question était une nouvelle fois au rebond sur les parquets cirés. En effet, il était décompté pas moins de 14 pays sur les 24 qualifiés alignant dans leur formation des basketteurs d’origine étrangère, pour la plupart américains.  La Turquie inscrite au tableau de ces championnats d’Europe présentait quant à elle un joueur originaire de Chicago, Bobby Dixon, évoluant au sein du club d’Izmir après avoir longtemps joué en France. Tout juste deux mois avant ce rendez vous international, il était naturalisé sous le patronyme Ali Muhammad.

Lors du Mondial de handball 2015, là aussi la polémique est alimentée par la présence de 11 joueurs d’origine étrangère sélectionnés dans l’équipe du Qatar dont un Français Bertrand Roiné. Ils bénéficient pour la majorité d’entre eux de passeport temporaire afin de préparer et disputer une compétition où ils s’inclinent en finale face à la France.

Le tennis de table, voilà un autre sport touché par cette forme d’immigration politico-sportive.  En 2013, 12 hommes et 21 femmes d’origine chinoise figuraient dans le Top 100 mondial. En 2016, le Qatar mais aussi la Turquie sont dans les rangs des pays recruteurs avec Ping Li 28ème joueur mondial et Ahmet Li (qui a changé son prénom) 45ème au rang mondial actuel. Chez les femmes, dans le Top 100 mondial 2016, 17 pongistes européennes se sont expatriées de Chine, leur pays natal. Une forme d’exode qui n’a pas été sans conséquence sur la motivation des élites européennes ainsi que sur le développement général de ce sport.

Enfin dernier exemple significatif, en 2000, la Grèce pays hôte des Jeux Olympiques, sort le carnet de chèque pour se constituer une équipe de base ball sur mesure à grands coups de passeports éphémères.. Elle recrute ainsi 17 joueurs sur les 21 sélectionnés, tous d’origine nord américaine. En 2003, elle se classe seconde de l’Euro et 7ème des J.O.

L’athlétisme n’est donc pas un cas à part. Mais, comme au Qatar en 2015 lors du Mondial de hand ball, comme en 2015 lors de l’Euro de basket, la question des naturalisations express fait nécessairement débat et irrite au plus haut point. Comme à Amsterdam où après trois jours de compétitions, la Turquie émerge déjà avec six médailles toutes conquises par des expats. La première attribuée sur 10 000 mètres par Vivian Jemutai naturalisée dans l’urgence pour devenir Yasemin Can, nouvelle championne d’Europe à tout juste 19 ans (voir article SPE15), la seconde par le sprinter Harvey d’origine jamaïcaine médaillé d’argent sur 100 mètres, une fraction d’épaule devant Jimmy Vicaut en panne de réaction.  Puis lors du 10 000 hommes, la Turquie réalise le doublé avec ces deux bons petits soldats, Polat Kemboi Arikan et Ali Kaya alors que sur le steeple, Aras Kaya, nouvelle recrue prend le bronze. Quant aux 200 mètres, c’est un sprinter d’origine azeri, Ramil Guliyev, naturalisé en 2011 qui s’affirme à l’échelle de l’Europe, médaillé d’argent après avoir été finaliste l’an passé à Pékin en 20’’11.

Le phénomène prend racine début des années 2000

Yasemin Can rejoint ainsi une longue lignée de coureurs africains, d’origine éthiopienne ou kenyane recrutés dans ces viviers des haut-plateaux, sans aucun contrôle, avec l’assentiment passif des fédérations internationales et européennes très largement complices. Le phénomène prend racine début des années 2000 et se traduit pour la première fois en 2001 lorsque l’on découvre Elvan Abeylegesse. Ce petit bout de femme, d’origine éthiopienne est sacrée championne d’Europe de cross chez les juniors puis en bronze l’année suivante en cross long et en argent en 2003.  En 2006 lors des Europe de Göteborg, elle donne à son pays hôte la première médaille sur piste remportée par une expatriée puis en 2007 une seconde, du même métal, le bronze, lors du Mondial. Elle ouvre la porte, un vent du Sud Est passe, depuis la Turquie compte pas moins de 20  titres internationaux (Europe, Monde, cross, juniors, espoirs) et 41 médailles en grands championnats obtenus par des néo-turcs (statistiques au 8 juillet 2016).  Le plus prolixe d’entre eux est Ali Kaya d’origine kenyane. Recruté chez les juniors, il compte aujourd’hui 6 titres européens avec son pays d’accueil. En 2009, la Turquie recrute même une sauteuse en longueur pour le Mondial de Berlin… en… Afrique du Sud. Celle-ci offre au passage une médaille de bronze.

Aujourd’hui, l’homme qui a bâti ce système est Roumain et se nomme Carol Santa. Il est l’entraîneur de Yasemin Can et se cache derrière cette moisson de médailles. Comme le révèle le site roumain« stiri.covasnamedia.ro », ce coach qui a du « métier », 30 ans au service d’une nation,  a été recruté en 2010 par la Turquie pour coordonner le projet de naturalisation des jeunes kenyans. L’objectif est clair, montrer le drapeau lors des Mondiaux en Salle qui ont lieu en 2012 à Istanbul. En effet, il récolte cette année là les dividendes avec une médaille d’argent conquise par Ilham Tanui Ozbilan sur 1500 m, puis la même année, lors des Europe, l’or sur 10 000 m et le bronze sur 5000 m pour Polat Kemboi Arikan et l’argent au 3000 m steeple pour Tarik Langat Akdag. Ces trois athlètes poursuivent sur leur lancée en étant présents en finale des JO. de Londres. Fort de cette réussite, Carol Santa reçoit même en 2013 la récompense de « European Athletics Coaching Awards ».

Pour la Turquie cela passe par une politique de naturalisation à pas forcés

Cette démarche politico-sportive s’inspire des schémas de l’ex tout puissant bloc de l’Est. Affirmer sa puissance par le sport quelque soient les moyens utilisés. Pour la Turquie cela passe par une politique de naturalisation à pas forcés, peu d’athlètes mais au fort potentiel médaillable  et par un dopage que l’on peut qualifier d’étatique.

La Turquie devient ainsi une nation « voyou » avec au tableau noir une liste significative de cas de dopage dont les plus retentissants sont ceux concernant Nevin Yanit, Sureyya Ayhan et Asli Cakir, une récidiviste, championne olympique du 1500 m à Londres. Ces trois athlètes sont toutes originaires de Turquie. Mais paradoxalement, le dopage touche peu les expatriés. Seuls deux cas sont recensés à ce jour. Alemitu Bekele est sanctionnée en 2012 pour des anomalies sur son passeport biologique alors que Elvan Abeylegesse tombe après analyse des échantillons recueillis en 2005 et 2007 révélant la présence de stéroïdes.

Tout récemment, le nom de Carlo Santa a été écorné dans l’affaire « Sainz ». Le journaliste du Monde, Clément Guillou, révèle dans son article « Le « docteur Mabuse », mentor du peloton, s’intéresse aussi aux athlètes ». On y apprend que le coach roumain entretient des liens très étroits avec le Docteur Sainz, de même que son fils, Daniel, manager sportif.

Face aux évidences, Carlo Santa n’a pas totalement nié certaines relations avec le Docteur Mabuse, mais les a strictement limitées à des conseils liés aux « vastes connaissances naturelles, homéopathiques » que ce pseudo-médecin possède. En d’autres temps, les coachs chinois ont usé de cet argument fallacieux. Décidément, en matière de dopage et de nationalisme sportif, les vieilles recettes traversent le temps. On ne change pas de vieux préceptes qui marchent. A une seule différence près, en Turquie, on change le nom des athlètes. Pour brouiller ce jeu de piste, c’est mieux.

> Texte Gilles Bertrand

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