Aller au contenu

Une pétition contre le dopage, suite au record du monde féminin de marathon

C’est une initiative inédite qu’a impulsé le Suédois Peter Eriksson, ancien entraîneur au Royaume Uni et Canada, avec la mise en ligne d’une pétition pour exiger des autorités antidopage une politique plus efficace. À l’origine de cette colère, l’homologation du record du monde sur marathon de la Kényane Ruth Chepngetich, avec 2h09’56’’.

A tort ou à raison ? L’initiative de Peter Eriksson ne peut, au minimum, que surprendre, et voire même choquer. Car le Suédois, vieux briscard de l’entraînement, avec des fonctions nationales exercées au Royaume Uni, comme au Canada, pointe clairement le record du monde de Ruth Chepnegetich du mois d’octobre dernier, comme très douteux.

D’où sa colère, et celle d’un petit groupe de connaisseurs de l’athlétisme, et le lancement de cette pétition à destination des autorités anti-dopage, sur la plateforme change.org. Et là encore, Peter Eriksson n’y va pas par quatre chemins pour parler de « l’échec abject » de World Athletics, Athletics Integrity Unit et WADA pour contrôler le dopage dans l’athlétisme international. Avec le reproche que ces instances laissent le champ libre aux tricheurs et font fi de leur devoir de protéger les athlètes propres.

Pourquoi le record de Ruth Chepngetich choque ?

Moins de 2h10’ pour une femme, le chrono a eu l’effet d’un séisme. Certes ces deux dernières années, les performances féminines ont complètement explosé, en partie grâce à l’impact des chaussures carbone, reconnues comme particulièrement efficaces chez les femmes.

Toutefois, le record du monde de Ruth Chepngetich correspond à un gain de 2 minutes sur le précédent record, les 2h11’53’’ de l’Ethiopienne Tigst Assefa. De plus, ce boost se situe en décalage avec l’évolution précédente du record du monde, longtemps la propriété de Paula Radcliffe, avec 2h15’25’’, puis descendu à 2h14’04’’ en 2019 par Brigid Kosgei, avant les 2h11’53’’ d’Assefa.

Autre élément dissonant : en 2024, derrière les 2h09’56’’ de Ruth Chepnegetich, le deuxième chrono de l’année pointe 6 minutes derrière.

Mais c’est bien sûr surtout la progression de Ruth Chepngetich qui interpelle : elle descend d’un record à 2h14’ qui remonte à 2022, puis 2h15’ en 2023, pour franchir le mur du son avec ces 2h09’. Même si son palmarès confirme une vraie maîtrise de la discipline, championne du monde en 2019, deux fois victorieuse et une 2ème place à Chicago, 3ème à Londres en 2020.

Combien de contrôles pour Ruth Chepngetich avant son record du monde ?

C’est la première demande de Peter Eriksson : savoir combien de contrôles anti-dopage a subi Ruth Chepngetich dans les 12 mois avant son record du 13 octobre 2024. Une question toute simple, qui souligne le manque total de transparences des autorités anti-dopage sur ce point essentiel pour appréhender le vrai contexte de réalisation d’une performance. Et ce n’est pas valable que pour un record du monde !

Dans la réalité, une seule agence, l’USADA, divulgue le nombre de contrôles effectués sur les athlètes américains. Pour l’Europe, et la France en particulier, c’est secret défense, au nom de la protection de la vie privée. D’où ce sentiment d’absence de garantie des performances.

Interdire les athlètes d’un pays avec plus de 10 cas positifs par an

La pétition s’élargit aussi sur une demande en 4 points très importants.

  • La suspension des entraîneurs et managers liés à des athlètes contrôlés positifs
  • Le renforcement des tests, particulièrement en Afrique de l’Est
  • La communication sur les tests tous les six mois
  • La suspension de tous les athlètes d’un pays qui compte plus de 10 athlètes positifs par an

L’idée de suspendre les entraîneurs et managers reliés à des cas de dopage est régulièrement débattue, y compris parmi les entraîneurs et managers qui se revendiquent honnêtes. Elle est plus que séduisante, tant l’on sait que certains d’entre eux jouent un rôle actif dans l’utilisation de produits interdits, en incitant leurs protégés à sauter le pas, et en les épaulant avec la fourniture de protocoles ou de compétences médicales. Mais pour sanctionner, la règle à appliquer serait particulièrement complexe à mettre en œuvre. D’autant que les athlètes n’ont actuellement aucune obligation de déclarer leur entraîneur, et qu’il est donc très aisé pour les coachs de nier ensuite toute relation.

Exemple criant avec Patrick Sang, l’entraîneur d’Eliud Kipchoge, qui a vu trois membres de son camp d’entraînement suspendus, Cyrus Rutto, Philemon Kacher Lokedi, Rodgers Kwemoi et qui a affirmé à tout va n’être aucunement responsable des faits et gestes de ses protégés en prétextant qu’ils n’étaient en réalité pas souvent présents au camp. Une donnée évidemment impossible à vérifier !

Le Kenya, particulièrement visé dans la pétition

Dans cette pétition, le Kenya se voit particulièrement visé. Force est d’admettre que le rythme actuel des suspensions au Kenya dépasse allègrement les 10 cas positifs par an. Quasiment chaque semaine, l’Athletics Integrity Unit informe d’une nouvelle sanction, et cela concerne aussi bien des athlètes de top niveau mondial que des coureurs moins performants, mais squattant les podiums des marathons à travers le monde.

Durant l’année 2024, on a ainsi vu le cas particulièrement inquiétant de la jeune Faith Chepkoech, présentée comme le futur très grand talent du Kenya, grâce à ses 29’50’’ sur 10 km, à seulement 21 ans, et finalement rattrapée par un contrôle positif à l’EPO effectué hors compétition en septembre 2024.

Au final, à la fin 2024, on retrouve 119 suspendus, alors que le total des Kenyans sanctionnés depuis 2015 dépasse les 300. Mais il est notable que ces gros chiffres de suspension des athlètes du Kenya doivent aussi beaucoup aux énormes moyens déployés par l’Athletics Integrity Unit, avec sur place, un responsable chargé au quotidien de la « traque », avec un vrai travail de renseignements pour savoir qui et où contrôler.

Un dispositif atypique pour tenter de contrer l’expansion du dopage dans le pays, qui souille trop de podiums à travers le monde entier. Après le Kenya, c’est l’Ethiopie qui tient la rampe avec plusieurs contrôles positifs.

Quel rôle peut jouer une pétition comme celle de Peter Eriksson dans cet univers bâti par les instances anti-dopage ? L’avenir le dira. En attendant, il est toujours possible de s’associer à cette démarche en faveur des athlètes propres par une simple signature…

Analyse : Odile Baudrier

Photo : D.R.