Trois athlètes français auraient présenté des passeports biologiques douteux l’année dernière, témoignant d’une utilisation de produits dopants interdits. Même si des sources fiables nous permettent de les identifier, le conditionnel s’impose, l’Agence Française Anti Dopage refusant toute confirmation sur ces cas. Damien Ressiot, ancien journaliste à l’Equipe, ancien conseiller de l’OCLAEPS, nouveau patron des contrôles pour l’AFLD, explicite cette position, tout en dévoilant la priorité désormais accordée au passeport biologique dans la lutte anti-dopage, comme en témoignent les derniers contrôles effectués au Cross Ouest France et à la Prom’classic.
Je crois que tu as suivi avec attention le travail de la Commission d’enquête de l’AMA sur l’IAAF. Que penses-tu de ce travail ? Et en particulier le 2ème rapport a-t-il répondu à ce que tu attendais ?
Je suis très satisfait de ce travail. Cela ne m’a pas vraiment surpris car dès lors qu’on confie un travail à Pound, on sait qu’il ne fera pas dans la dentelle. Ceci dit, le 2ème rapport est un peu plus décevant, je m’attendais à plus de choses. S’ils ne les ont pas mises noir sur blanc, c’est qu’ils restent des doutes, et là non plus, je ne suis pas opposé. Je sais aussi qu’au niveau de la base des analyses sanguines, on ne pouvait pas tirer des conclusions définitives. Ces prélèvements ont été isolés, ils n’ont pas été standardisés, ils ne respectent pas les normes du passeport biologique. C’est très compliqué d’en tirer des conclusions, voire même des suspicions. Par contre, je pensais en revanche qu’il y aurait plus de choses sur d’autres pays, mais je crois que ces pays feront l’objet d’enquêtes supplémentaires.
Sur la polémique autour des sanctions qui auraient dû être prises à partir des tests sanguins effectués avant 2009 et la mise en place du passeport biologique en 2009, tu es finalement un peu d’accord avec la commission qui refuse des sanctions.
C’est comme si on avait une vision partielle d’un passeport biologique. Quand toutes les conditions ne sont pas réunies, ce n’est pas bien de sanctionner. Il faut accorder le droit à la défense quand les faits sont tangibles. Je pense que là, ils n’avaient pas les moyens de finaliser un scénario de dopage qu’on aurait pu reprocher à ces athlètes. Pour moi, c’est clair, la suspicion est une chose, condamner les athlètes est une autre chose.
Surtout que dans ce cas, il se serait surtout agi d’annuler de performances et podiums avec effet rétroactif.
C’est certain. Le point positif est que ces données font partie maintenant du dossier de l’athlète. Comme un indice de plus. Pas comme une preuve.
Lors de notre rencontre de mai 2015, alors que tu étais encore conseiller de l’OCLAEPS, tu avais montré une certaine irritation à constater qu’aucune suspension pour passeport biologique douteux n’avait encore été effectuée en France. Maintenant que tu es directeur des contrôles à l’AFLD, ce dossier est-il prioritaire pour toi ?
C’est une priorité d’utiliser cette arme, comme d’utiliser toutes les autres armes qui nous sont offerts par la législation anti-dopage. Comme les contrôles de nuit. On va utiliser toutes les munitions qu’on peut avoir. Au niveau du passeport, on sait que c’est très long. Mais dès la mise en place de l’outil, on était conscient que c’est un processus qui serait long. Il faut évidemment contrôler plusieurs fois les athlètes, dans des situations différentes (entraînement, repos, compétition), avoir des interprétations, soumettre l’ensemble dès qu’il y a un doute à nos experts. Pour l’instant, ça suit son cours. Moi, je continue à contrôler les athlètes sur la base du passeport.
Ce sont les contrôles qui ont eu lieu récemment à la Prom’Classic et au cross Ouest France ?
Il y a eu des contrôles qui ont été menés par le Correspondant interrégional de Bretagne au cross Ouest France, pour le passeport biologique. Le process de contrôle n’est pas le même qu’un contrôle urinaire. Notamment on demande aux athlètes d’attendre 2 heures après leur effort pour avoir un prélèvement optimal. Ca s’est bien passé. L’important est de bien les coordonner et de savoir sur quelle population on fait ce genre de tests.
Cette population est-elle celle des sportifs intégrés dans vos différents groupes cibles de l’AFLD ?
Oui, par exemple. On en fait sur des sportifs qui sont dans notre groupe cible, sur d’autres sportifs qui ne sont pas dans notre groupe cible. Certains sportifs qui iront aux JO de Rio ont ou auront un passeport biologique, on a l’obligation de les contrôler au moins une fois de manière linéaire avant qu’ils partent au Brésil. Pour certains, sur la base de renseignements, il faudra un passeport complet, où on les aura contrôlés plusieurs fois pour avoir une vision complète et exhaustive des valeurs.
Combien de contrôles sont-ils vraiment nécessaires pour établir un passeport biologique avec fiabilité ? Car on entend des nombres discordants selon les interlocuteurs.
Oui. L’AMA dit officiellement qu’à partir de deux, on peut suspendre quelqu’un. Les experts peuvent demander un prélèvement supplémentaire, et il semble qu’un passeport avec 4 prélèvements, voire 5, soit largement suffisant.
Quelle est la suite de la procédure ?
Les experts examinent les données hématologiques du passeport, ils rendent un avis. Dès lors qu’il y a une unanimité des trois experts sur le fait que ce passeport présente des irrégularités coupables, le process suit son cours. L’athlète est alerté, il a le droit de se défendre. Généralement, il consulte, il s’entoure de spécialistes pour donner des explications sur son entraînement… et on soumet ces explications à nos experts, pour une décision définitive. Mais le process contradictoire peut durer un certain temps, jusqu’à ce qu’on arrive à une décision définitive.
C’est à ce moment-là que les experts doivent expliquer par un scénario les manipulations qu’a pu effectuer le sportif, qui justifient les irrégularités sanguines ?
Définitive, c’est que les experts prennent en compte les arguments de la défense et prennent une décision définitive sur l’infraction ou non aux règles anti-dopage. Mais effectivement la charge de la preuve incombe à l’AFLD, et à nos experts, puisqu’il n’y a pas de contrôle positif qui avère l’infraction. Ce sont les variations hématologiques du passeport qui prouvent l’infraction. Pour l’expliciter, on doit présenter aux athlètes ce qu’on estime être le scénario de leur dopage.
Est-ce la crainte de voir ces scénarios réfutés qui est la plus grande inquiétude sur ces sanctions ?
Ce n’est pas le mot. C’est d’une rigueur absolue. On sait que cela peut se terminer devant le Conseil d’Etat si l’athlète porte appel. Il faut qu’on soit intransigeant dans notre travail. A chaque fois qu’il a une suspension, les enjeux sont importants pour le sportif, comme pour nous, et donc on doit être irréprochable au niveau de notre travail d’accusation et de notre dossier d’accusation.
Trois athlètes au passeport douteux, une info non confirmée officiellement
Selon nos informations, ce sont 3 athlètes français en athlétisme qui auraient présenté des passeports biologiques douteux. Peux-tu confirmer ce nombre ? Où en sont les procédures éventuelles à leur sujet ?
Non, je ne peux pas le confirmer. Ni les nombres, ni les procédures. Tout simplement parce que nous avons deux personnes ressources qui gèrent ce dossier, et c’est strictement confidentiel. Donc je ne peux rien confirmer, ni infirmer.
Lors de notre rencontre il y a 1 an, avant ton arrivée à l’AFLD, on avait évoqué un cas, que nous ne nommerons pas bien sûr, pour lequel tu estimais que déjà, cet athlète aurait dû être sanctionné. Est-ce toujours ton opinion ? Et sais-tu pourquoi ce cas est demeuré sans suite ?
Déjà, je ne suis pas sûr. Je ne suis pas autorisé à dire si des procédures sont en cours au niveau de nos experts. Et puis il y a un an, j’étais gendarme ! Aujourd’hui, je travaille avec les gens qui gèrent ces dossiers, et tu comprendras bien qu’au niveau du respect de la confidentialité, je n’ai pas d’informations à donner sur ce point.
Justement, sur le plan de la confidentialité, y a-t-il vraiment une barrière étanche entre l’AFLD et les fédérations des sportifs concernés par des problèmes de passeports biologiques ? Est-ce que vraiment les informations ne circulent pas vers les fédérations au risque de les transmettre aux athlètes ?
Non. Les fédérations ne sont absolument pas au courant de ce qui se passe dans le département du passeport à l’agence. C’est un pré-requis. Comme pour les contrôles inopinés. Personne n’est au courant à part nos agents préleveurs.
Ca veut dire que même s’il y a eu ces cas d’athlètes, la FFA n’a pas pu être informée ?
Aucune info. Alors même qu’on a d’excellents rapports avec la FFA. Mais le cloisonnement au niveau des infos est évident.
Malgré tout, on s’aperçoit que des informations circulent dans la presse. Alors l’étanchéité vers les fédérations est-elle vraiment réelle ?
Les informations qui circulent dans la presse sont sous la responsabilité de ceux qui les écrivent. On peut remarquer que personne à l’AFLD ne les a commentées. Je ne suis pas habilité à dire ou à contredire. On ne communique pas sur ça. Je peux juste dire qu’un certain nombre de passeports est en cours de procédure, et point barre.
Les faits de corruption qu’on a pu découvrir pour la Russie, et on parle d’autres pays, ont-ils constitué une surprise pour toi qui évolue depuis si longtemps dans la lutte anti-dopage ? Est-ce quelque chose qui pourrait se produire en France ?
Je serai complètement irresponsable si je pensais que la France est à l’abri de ce genre de problèmes. Mais la France est organisée de telle sorte qu’il y a des choses impossibles à imaginer. Que ce soit au niveau du laboratoire, de l’agence, ça ne marche pas comme en Russie. On respecte des standards. Et on suit à la lettre toutes les préconisations de l’agence mondiale anti-dopage. Pour ce qui concerne les personnes mises en cause pour corruption à l’IAAF, leur personnalité le prouve, on ne peut avoir de certitude en personne, on n’est jamais à l’abri que ce soit en France ou ailleurs. Maintenant notre boulot est de surveiller en permanence pour que ces possibilités n’arrivent pas.
Les sommes en jeu, à la fois dans le sport et dans le dopage, ne risquent-elles pas d’amener une dérive de corruption qu’on n’aurait pas imaginée il y a quelques années ?
Complètement. Des tentatives de corruption peuvent exister. Mais on a des valeurs, un travail, qui nous arment contre ce genre de choses. Je me souviens que l’ancien patron du laboratoire de Chatenay Malabry, ensuite au département analyses de l’AFLD, m’avait raconté quand j’étais journaliste qu’on lui avait proposé de l’argent. Donc on n’est pas à l’abri de ces faits-là en France. Tout le monde a ses faiblesses, les gens peuvent tomber à tout moment. En revanche, il faut qu’au niveau de l’AFLD, on soit en mesure à chaque moment d’apporter des preuves, mais également de surveiller les procédures et de faire en sorte que tout soit clean.
Est-ce que justement l’aspect corruption au niveau de l’IAAF t’a vraiment surpris ?
Non, ça ne m’a surpris. Ce qui m’a surpris, c’est le fait qu’il y avait le nom du Docteur Dollé dans ce dossier. Cela montre que personne n’est à l’abri. Car il représentait un personnage qui donnait toutes les garanties au niveau de la probité. C’est quelqu’un qui avait fait sa carrière dans l’anti-dopage, qui avait la confiance de tous.
Estimes-tu que tu disposes de suffisamment de moyens au niveau de l’AFLD ? Surtout dans une année olympique, où vous aurez plus de 700 sportifs à suivre. Est-ce que les moyens sont en relation avec les résultats qui vous sont demandés ?
On n’a pas assez de moyens financiers. C’est clair. On n’aura jamais assez de moyens financiers par rapport à la portée et à la mission qu’on nous demande. C’est une vraie problématique. Moi-même, quand je fais l’analyse, je n’arrive pas à comprendre comment le monde du sport professionnel ne participe pas aujourd’hui au budget de l’AFLD. On a une mission de service public. Mais on leur apporte une sorte de label éthique. La moindre des choses serait que les sports co, dont les fédérations ont les moyens, participent au budget. On travaille aussi pour l’éthique, pour défendre les sports qui sont propres. Il reste encore à imaginer pour le financement. C’est incroyable et quasiment indécent de penser qu’il n’y a pas un pourcentage qui soit dévolu à la lutte anti-dopage.
On a beaucoup parlé du cyclisme, maintenant de l’athlétisme. Va-t-on pouvoir voir aboutir des affaires dans les sports collectifs ?
Je le souhaite. Non pas parce que je souhaite que des tremblements de terre secouent les sports collectifs ! Mais par exemple, pour l’athlétisme, j’ai une haute opinion de la probité des personnes qui travaillent au département de l’IAAF, je n’ai pas envie que tout le monde soit mis dans le même sac. L’athlétisme travaille bien, le cyclisme travaille bien. Les sports co, on verra bien. Le passeport biologique existe. Il n’y a aucune discipline qui échappe à ça…
Est-ce que finalement toutes ces affaires n’amènent pas le grand public à penser « Tous dopés, tous coupables, tous complices » ? Avec le risque d’être très dommageable pour les personnes travaillant dans la lutte ?
Tout à fait. C’est dommageable. On sait bien que les gens ont tendance à penser ça, même s’il est tout à fait possible de faire du sport de haut niveau sans se doper. Je remarque qu’aujourd’hui, d’autres fléaux que le dopage menace le sport. Les affaires de corruption liées aux paris éclatent dans le monde du tennis. Aucune discipline n’est à l’abri, ni de la corruption, ni du dopage. Il faut en être bien conscient !
Interview réalisée par Odile Baudrier
Photo : D.R.