L’année 1993 est une année noire pour le demi fond féminin avec l’arrivée sur la scène internationale des Chinoises qui vont truster tous les podiums mondiaux et battre tous les records du monde. Un mystère jamais dévoilé à ce jour.
Nous sommes en mars 2008. La flamme olympique débute son tour du monde sous haute protection. Sorte de papamobile incandescente encadrée par une milice, briquet à la main pour rallumer le calumet en cas d’abordage.
La presse est également sous tension. Les mouvements de protestation s’organisent pour dénoncer les manques de liberté individuelle en Chine, les atteintes à la liberté de la presse et les emprisonnements arbitraires des journalistes et bloggeurs contestataires.
En France, Reporters Sans Frontière monte au front avec son président, Robert Ménard dont on est loin de supposer que 7 ans plus tard, il puisse être élu maire de Béziers sous l’étiquette du Front National.
Le régime de Ju Xintao, le capitalisme d’Etat, le parti unique, les milices qui musèlent le pays, une presse dogmatique sous contrôle strict, le prolétariat exploité, rien n’échappe à la critique virulente de l’Occident. Alors que les chefs d’Etat sont verrouillés dans les méandres de la réal politique, quelques sportifs se mouillent pour apporter leur voix à la contestation, Romain Mesnil est en tête de ce petit cortège comme le fut José Marajo en 1980 pour dénoncer la dictature soviétique.
Le sport chinois dans tout cela ? Un tableau au vitriol est présenté, souvent sans recul, à la limite de la caricature. Les équipes de TV se pressent au centre de gymnastique de Shisharai à Pékin pour saisir les rictus de douleur de ces bambins arrachés à leur famille pour en faire des gymnastes chewingum élastiques. On parle d’usines à champion et… de dopage.
Car la Chine souffre d’une image désastreuse, longtemps rongée et minée par les affaires de dopages qui se sont succédées à la fois dans les provinces et au plus haut niveau du sport étatique. L’exemple le plus sombre, le plus scandaleux et le plus honteux qui dépasse largement le cadre strict du sport chinois : l’armée de Ma.
C’est ainsi que l’on surnomme ce bataillon de jeunes filles soumises à un régime pénitencier sous la conduite d’un entraîneur tortionnaire Monsieur Ma, pour devenir les meilleures coureuses du monde.
Personne n’y prête attention, mais sur le champ de cross de Boston en 1992, une petite délégation est présente. Cinq jeunes filles fraîches comme des pétales de rose qui se classent cinquième au classement par équipe alors que Wang Junxia est à deux doigts de remporter le titre face à Paula Radcliffe.
Six mois plus tard, les mêmes sont présentes, cette fois sur la piste de Séoul en Corée du Sud pour le Mondial juniors. Il n’y aura aucun partage, elles s’accaparent tous les titres du 800 mètres au 10 000 mètres remporté par Wang Junxia en 32’29’’90.
Physiologistes, entraîneurs sont sceptiques, des voix s’élèvent, le scandale couve
Alors enfants prodiges du demi fond chinois ou résultat d’une préparation chimique au centre de haut niveau de Shenyang ? Suivons pas à pas la saison 1993 de Wang Junxia. Le 4 avril, alors qu’elle n’a que 20 ans (officiellement 18 ans), elle réalise 2h 24’07’’ sur la route du marathon de Tianjing. Six autres chinoises réussissent moins de 2h 26’. Une semaine plus tard, de nouveau en Corée, lors d’un Ekiden, l’équipe chinoise ridiculise les Kenyanes reléguées à plus de 3 minutes. Wang Junxia au 4ème relais est l’artisan de ce succès. Le 4 et 6 juin à Jinan, lors des sélections pour le Mondial de Stuttgart, elle réalise 8’27’’68 au 3000 mètres et 31’08’’42 sur 10 000 mètres.
Sur la piste du Neckar Stadium, ces jeunes femmes habillées de blanc et de rouge sont bien l’attraction de ce Mondial. Au final, elles remportent 8 médailles, Liu Dong s’impose sur 1500 m en 3’50’’50, le podium du 3000 m est trusté par les chinoises alors que Wang Junxia remporte le 10 000 m en 30’49’’30.
Monsieur Ma est bien entendu pressé de questions car la rumeur gonfle : nourriture ancestrale, entraînement en haute altitude, un kilométrage quotidien de 40 km… Physiologistes, entraîneurs sont sceptiques, des voix s’élèvent, le scandale couve. En fin de championnat, Monsieur Ma lève le petit doigt pour annoncer : « Stuttgart n’est qu’une étape, car pour nous, le plus important est de réussir nos Jeux Nationaux ».
Stuttgart 1993, c’est un furoncle que la Chine n’a pas totalement guéri
Les National Games sont organisés en Chine tous les quatre ans, un succédané de J.O. où les provinces chinoises s’affrontent et s’entredéchirent. Disputés en octobre 1993, trois records du monde tombent, l’armée de Ma a encore frappé. 8’06‘’ 11 sur 3000 m et 3’50’’46 par Yunxia Qu et 29’31’’78 par Wang Junxia sur 10 000 m. Fin de saison.
22 ans plus tard, le mystère reste entier sur ces performances d’un autre temps que le professeur Owen Anderson prévoyait pour 2020. Il dénonce le facteur X qui intervient dans la préparation des chinoises poussée à son extrême (testostérone, hormone de croissance et EPO), à des seuils critiques que seuls les hommes peuvent supporter.
Stuttgart 1993, c’est un furoncle que la Chine n’a pas totalement guéri. Une grosse verrue sur la joue qui aujourd’hui entache encore le sport chinois alors que l’athlétisme a retrouvé sa place, celle d’un sport mineur qui a fait son autocritique dans un pays où les pongistes sont des stars et des divas.
> Texte et photos Gilles Bertrand