Médaillé de bronze aux Mondiaux junior en 2012, le canadien Shawn Barber a volé la vedette à Renaud Lavillenie en s’imposant lors du Mondial. Un succès en toute logique au regard d’une ascension régulière et maîtrisée.
Temps de chien en ce début de printemps dans le Midwest des Etats Unis. Pluie, vent, froid à ne pas mettre un perchiste dehors. Les organisateurs des Drake Relays ont une solution de rechange pour sauver des eaux le concours de perche, en transférant celui-ci dans l’un des gymnases de l’université des Drakes.
Renaud Lavillenie est dans le concours, fidèle à celui-ci depuis 2013, édition particulière puisqu’il remporte à la fois l’exhibition organisée dans un vaste centre commercial puis le concours disputé dans le stade emblématique de cette université de l’Iowa.
Mais cette fois, la victoire lui échappe. Il efface certes la barre calée à 5,80 m mais seulement à son troisième essai. Alors que, sans vraiment y prendre garde, le canadien Shawn Barber s’enroule dès son premier essai autour de cette même barre sans qu’elle ne tremble. La victoire lui est assurée.
A quatre mois des championnats du monde, Renaud Lavillenie est loin de soupçonner que Shawn Barber vient de s’accrocher à la bonne rame. Ce jeune canadien âgé tout juste de 21 ans, au palmarès épais comme une feuille d’érable, est déjà prêt pour les grands sommets. La marche d’approche a débuté, le drapeau dans le sac prêt à flotter.
Shawn Barber est né aux Etats Unis, une perche dans le bec et un gros tapis de mousse comme bac à sable. Dans la lignée d’un père, George, lui-même voltigeur, international pour son pays le Canada, sélectionné en 1983 lors du premier Mondial, puis entraîneur à l’université d’El Paso aux Etats Unis où le fiston découvre la façon de porter une perche, de la pointer vers le ciel pour prendre son envol. Après son sacre pékinois, il en conviendra aisément, avoir évolué ainsi, très jeune aux côtés d’un paternel perchiste – entraîneur puis régulièrement au contact d’athlètes de haut niveau n’ont fait que renforcer sa détermination à réussir une gaule dans les mains.
Ce garçon à la mine de lycéen bien nourri ne semblait guère de taille à lutter contre le français
A Pékin, le nid d’oiseau, à tir d’aile, fut donc sa propriété. Sans kidnapping, sans jouer les pies voleuses s’installant sans vergogne dans le frêle petit cocon de Renaud Lavillenie. Car le canadien, tout juste passé professionnel après une année d’étude à l’université Akron de l’Ohio en section sciences du sport, était prêt à plier les grosses perches pour se hisser au sommet de la hiérarchie mondiale.
N’avait-il pas réussi neuf fois 5,80 m et plus cette saison contre huit fois pour Renaud Lavillenie, effaçant par ailleurs trois fois la barre des 5,90 avec un record personnel à 5,93 m réussi lors du meeting de Londres. A 10 cm du record annuel du français, ce garçon à la mine de lycéen bien nourri ne semblait guère de taille à lutter contre le français. Or… !!
Or Shawn Barber, entraîné conjointement par son père pour la partie technique ainsi que par Dennis Mitchell, head coach à l’université Akron pour la partie physique (homonyme avec l’ancien sprinter convaincu de dopage en 1998), possède cette qualité rare chez un perchiste jeune (et même expérimenté)…la régularité. Certes pas en capacité à voir la terre du haut des 6 mètres mais assez puissant et équilibré pour enchaîner les concours avec constante. Il le prouva cette saison, une régularité le conduisant sur la plus haute marche du podium chinois avec un saut à 5,90 m, laissant Renaud Lavillenie, médusé et meurtri au bord du tapis.
L’IAAF titrait récemment sur son site internet, « Barber est prêt pour le business ». Avec raison, car le protégé de l’agent Paul Doyle, épaulé par l’ancien perchiste Jeff Hartwig, a pris le bon rail sous le hall de gare de Zürich. En prologue du meeting helvète, Le canadien s’imposait dans un concours-spectacle organisé dans cet espace public où avec maîtrise, il effaçait 5,92 m.
Désormais, Shawn Barber « n’est plus un gamin avec un potentiel » comme le souligne le journaliste Phil Minshull. Il veut les 6 mètres, il attendra peut être. Il veut l’or olympique. A 5,90 m, tout est possible.
Texte : Gilles Bertrand – photo IAAF