A 36 ans, le Toulousain Sébastien Gamel, ancien demi-fondeur, connaît une belle réussite avec Djilali Bedrani qu’il entraîne depuis septembre dernier, et qui a réalisé le minima pour le Championnat d’Europe d’Amsterdam sur le steeple, confirmant son grand potentiel et les qualités de son coach, inspiré par ses anciens entraîneurs, Michel Molinier et Roger Milhau.
Conseiller patrimonial dans la journée – entraîneur d’athlétisme en soirée. Grand écart assuré entre deux fonctions que tout semble séparer… Mais Sébastien Gamel ne voit pas les choses de cette façon car pour lui, tout tourne autour d’un seul axe : l’humain.
Son accent roule pour expliquer son point de vue : «Pour mon travail, je dis aux gens Racontez-moi votre vie. Que voulez-vous en faire ? Je vais vous dire si votre situation globale est adaptée ou pas. Pour Djilali, je lui demande Quel est ton projet sportif ? C’est du coaching. C’est de l’humain. »
C’est ainsi que dans une même journée, il passe des retraités en quête de conseils pour mieux gérer leur patrimoine ou épauler leurs enfants, à ses deux protégés, Djilali Bedrani et Martin Casse, qu’il a amenés ce printemps à la réussite, avec pour chacun, un record personnel, sur le steeple et le 1500 m.
Avec le minima pour le Championnat d’Europe d’Amsterdam, Djilali Bedrani reprend sa marche en avant un temps interrompue. La confirmation que la méthode Gamel fonctionne. Il l’a peaufinée à travers les années s’appuyant sur les bases transmises par ses anciens entraîneurs, Michel Molinier à Albi et Roger Milhau à Toulouse, qu’il a validées par ses Brevets BE1-BE2 acquis en 2011-2012.
Le duo Molinier – Milhau, ses pères spirituels
Deux hommes déterminants dans son parcours. Il veut aussi y ajouter Brother Colm, la légende de l’entraînement au Kenya, qu’il a côtoyé début des années 2010 durant un stage à Iten, et avec lequel il a découvert une autre vision de l’athlétisme : « Il explique aussi que ce que vous devez retenir du sport, c’est qu’il faut que ça vous grandisse. Au Kenya, ils sont aussi persuadés qu’ils vont réussir. Cela m’a beaucoup inspiré.» Et il ne veut pas non plus oublier Michel Poisson, l’homme de ses débuts, coach de foot qui l’a orienté vers l’athlétisme, alors qu’il avait intégré la section sport-études de foot de Baraqueville dans l’Aveyron. Michel Poisson, qui dirige alors le club de Rodez, lui explique que le foot paraît peu adapté à son état d’esprit et à son physique, et l’incite à s’orienter vers la piste.
Les huit années avec Michel Molinier à Albi seront denses, et enrichies par sa proximité avec Nicolas Aissat, gros talent du demi-fond français au milieu des années 2000 : « Avec Nicolas, j’ai tout vécu, ses réussites, la qualification aux JO de 2004, ses échecs, sa non qualification pour le Mondial en 2005. C’était un gros bosseur. Je me rappelle un stage jeunes avec Bruno Gajer, il nous disait, Mais vous n’arrêtez jamais ?? »
Il découvre aussi à Albi son attrait pour l’entraînement : « J’avais ça dans le sang, j’avais envie de coacher. Déjà, quand j’étais avec Michel, j’étais très curieux par rapport aux autres. Pourquoi on fait ça ? Comment on fait ça ? Il prenait le temps de m’expliquer. Il a été mon premier formateur. »
Le deuxième sera Roger Milhau. En cinq années, il tisse des relations atypiques avec le responsable régional du demi-fond à Toulouse : « C’était hors cadre. Le dimanche, on s’entraînait le matin. A 11 heures, on se retrouvait au marché des Carmes, on faisait nos courses ensemble, puis l’apéro, parfois le repas. »
Les relations ne sont pas toujours si faciles entre ce grand Monsieur de l’athlétisme et le jeune athlète : « J’essayais de comprendre. Oui, parfois, je n’étais pas trop d’accord. Alors, il gueulait. C’était le mec, il avait 56 ans, il disait, Tu ne vas pas m’apprendre ce que j’ai à faire… Mais je n’en suis pas mort ! »
Coach à Balma puis à Annecy
Au contraire. Il progresse. En 2009, il amène ses marques à 1’48’’10 sur 800 m et 3’42’5 sur 1500 m, et son envie de devenir coach grandit. Il s’oriente vers des études de management du sport, et en 2010, effectue ses débuts d’entraîneur au club de Balma, aux côtés de Stéphane Brignoli, avec un groupe dense, comptant Julien Bousquet, David Gosse, qui disputera le Mondial de cross en juniors en 2010, Clément Evrard, Salomé Lecoq, les sœurs Ramond, et il aura 4 coureurs sous les 1’49’’.
Pourtant, une rupture sentimentale le pousse loin de son cocon toulousain et l’offre d’un poste d’entraîneur professionnel le convainc de s’exiler à Annecy, pour un groupe d’une vingtaine d’athlètes. Il y découvre une très jolie pépite, Clémentine Chamot, qu’il amène à trois titres de Championne de France sur 800 et 1500, chez les cadettes et juniors.
Malgré tout, Sébastien ne s’épanouit pas pleinement en Savoie, l’état d’esprit montagnard lui pèse, le climat aussi, les deux hivers à moins 15 et l’absence de soleil le font souffrir, et il rit en soufflant : « C’est dur pour un gars du Sud Ouest ! »
Mais surtout il comprend durant cette expérience qu’il n’est pas vraiment fait pour le coaching à temps plein : « J’ai vu que ça ne me plaît pas de seulement entraîner. J’ai besoin de sortir de l’athlé. C’est un meilleur équilibre pour moi de travailler et d’entraîner en parallèle ». Même s’il aimerait disposer de plus de temps libre pour sa vie privée…
Coach et Sparring partner de Djilali Bedrani
Il remet alors le cap sur la ville rose, séduit par le poste de Conseiller Patrimonial qu’Allianz lui propose, avec cette envie d’accompagner ses clients dans leur projet de vie. Dès son retour, l’athlétisme le rattrape, Djilali Bedrani le contacte pour qu’il l’épaule. Mais Sébastien Gamel refuse… : « J’arrivais juste à Toulouse. Je m’occupais encore de Martin (Casse), il était aux US, c’était plus facile. Mais je n’ai pas voulu car quand je m’engage avec quelqu’un, c’est un engagement à 100%. Si demain je peux plus, je leur dis. Soit tu acceptes 50%, ce sera difficile et moins efficace. Ou alors on a passé 4-5 ans ensemble, et on se connaît par cœur. Il faut y être à 100%. C’est un contrat moral. »
A 100% ou plutôt à 150%. Une seule séance avec le trio le dévoile. Le rendez-vous de ce mercredi 8 juin est fixé au stade de Rangueil. Pour d’obscures histoires de personnes, les structures officielles du CREPS leur sont fermées. Le Skate Park de Rangueil au cœur du Centre Universitaire est ainsi devenu leur « Q.G. ». Le trio attaque par un footing le long du canal. Sébastien a quitté le costume cravate de sa journée pour un long short et débardeur. Il se glisse entre ses deux protégés. Comme les autres coaches de sa génération, Farouk Madacci, Frédéric Fabiani, Bastien Perreaux, le coach pratique au quotidien, il est encore capable de courir en 32’-33’ sur 10 km, et a bouclé son premier marathon il y a deux ans en 2h40’.
Mais il ne se contente pas du footing, il se mue en sparring partner actif, il s’accroche à un arbre pour se transformer en presse pour « Dji »comme il surnomme son protégé, il le retient accroché par un harnais. Dans la pure lignée des séances de l’époque de Roger Milhau : « Il travaillait au feeling. Il se demandait Qu’est ce qu’on a autour de nous pour faire une séance ?? »
Il s’esclaffe en racontant : « Une fois, je m’accroche avec le harnais et tout d’un coup, j’entends un grand bruit. L’élastique avait cassé. En un éclair, il me frappe dans le dos et sur les jambes. Je m’écroule au sol tellement je souffre. Roger, lui, rigole et me dit Maintenant, tu as un S dans le dos !! Et moi, je suis là à hurler de douleur… »
L’épisode est oublié. Il vient justement de discuter longuement avec Roger Milhau, comme il le fait très régulièrement : « Ce n’est pas que j’ai des doutes. Mais quand on arrive à ce niveau-là, pour échanger avec quelqu’un, ce n’est pas facile. J’ai besoin d’être en réflexion. Je veux essayer de tout voir. Quand on est la tête dans le guidon, on oublie des trucs à côté. Si je fais une erreur, il va me le dire. Si je veux faire un test sur des côtes, pour surcompenser, pour être en forme 2 ou 3 jours après, je lui en parle, il me dit s’il a déjà essayé, si c’est bien ou pas. Je suis très humble par rapport à l’entraînement. Aujourd’hui ça marche. Demain ça peut ne pas marcher. »
Mais la technique n’est pas son seul lien avec son ancien entraîneur. Car il l’avoue, pour toutes les grandes décisions de sa vie, il le consulte, et parfois même avant ses propres parents. Il désigne son mentor sous l’expression de « Coach de vie ». Quant à lui, il se voit plutôt comme un « grand frère »…
- Texte : Odile Baudrier
- Photos : Gilles Bertrand