La maîtrise de Renaud Lavillenie s’est encore accrue cet hiver, avec un enchaînement de plusieurs sauts à plus de six mètres, et l’arène de Prague l’a révélé toujours aussi combatif pour conquérir son 4ème titre européen en salle.
« A 29 ans, Renaud a autant de passion qu’à 14 ! » Les mots sont de Philippe d’Encausse, pour tenter de décrire l’intensité de la motivation de son élève. Et de détailler avec empressement : « A 29 ans, il pourrait se ménager, passer du bon temps. Mais si demain, il ne fait pas une bonne compétition, il va jeter les perches par terre. Comme quand il était cadet ! Il a la rage de gagner. Il veut piquer des médailles. Et surtout, tant qu’il se marrera autant quand il prend une perche, il sera difficile à battre ! »
Le coach sait de quoi il parle, il a passé près de 50 ans en immersion dans le monde de la perche, il est le fils du perchiste Hervé d’Encausse, ex-recordman d’Europe, il a disputé le concours de perche des Jeux Olympiques de Séoul en 1988 et de Barcelone en 1992, il chapeaute le Pôle France de la perche à Clermont Ferrand.
Cet orfèvre ne dissimule pas combien son élève l’a encore impressionné lors de ce championnat d’Europe, où le record du monde s’est retrouvé en danger, avec une tentative à 6.17 mètres. Le deuxième essai de Renaud l’a bluffé, et il explique : « C’est le plus haut saut qu’il ait jamais fait ! Si on le mesure avec un laser, il est au-dessus. Mais dans notre sport, il faut aussi que la barre reste en place. Et il ne faut surtout pas tomber dans le truc des records du monde de la longueur faits à l’entraînement… »
Renaud Lavillenie, encore beaucoup d’avance sur ses rivaux
Il a observé avec minutie ce concours, et il en ressort avec une certitude, il manquait juste un petit peu de fraîcheur à Renaud pour gommer cette marque, celle énergie qu’on laisse dans un concours de championnat où il faut surveiller tous les adversaires. Car l’expertise de Philippe lui a appris à ne rien négliger : «Il faut toujours regarder les autres perchistes. Quelqu’un à 5.90 m peut passer 6 mètres demain. Le Russe à 5.95 m peut le faire demain. Des gars peuvent le pousser dans ses derniers retranchements. Personne n’est imbattable. Même lui ! »
Pourtant Philippe d’Encausse l’admet très tranquillement : « Renaud a encore beaucoup d’avance sur les autres ! » Un écart qu’il a encore creusé cet hiver, pour enchaîner 5 sauts à plus de 6 mètres et cela alors que sa préparation avait pris beaucoup de retard en décembre, et cet entraîneur au positivisme communicatif révèle : « Cet hiver, on a eu plein d’enseignements. Qu’il est capable d’une remise à niveau rapide. Il a sauté moins haut, mais plus haut plus souvent. »
Pourquoi une telle régularité ? « Parce qu’il a progressé dans sa manière d’appréhender du nouveau matériel. En 2014, c’était tout neuf d’utiliser des perches plus dures. Cette année, il les appréhende mieux, il a gagné en fluidité. Maintenant, il doit gagner en relâchement. Quand il aura affiné tout ça, il sautera encore plus haut ! »
Renaud Lavillenie, un technicien hors normes
Le technicien et son élève sont au diapason. Renaud répète la même analyse et souligne : « Cet hiver, je suis plus fort dans ma maîtrise. L’année dernière, il fallait apprendre à gérer tout ça, à prendre les repères. Surtout être capable de créer l’énergie et de la transmettre dans le bon angle. Cet hiver, je suis plus puis puissant et plus régulier dans ma course. Les perches deviennent souples, car tout passe au décollage dans la perche. Ce n’est pas heurté. J’arrive à mettre plus de hauteur sur le décollage, c’est super important. C’est un point que j’ai réussi à travailler depuis 2 ans et demi avec Phil. »
Côté technique, Renaud ne concède pas grand-chose à son coach. On le sent transcendé à évoquer la dureté des perches qu’il utilise maintenant et il détaille : « J’ai utilisé la 13-8 une seule fois l’année dernière à Donetsk. La 13-6 jamais. Cet hiver, j’ai pris la 13-8 depuis Nevers, 5 fois. Et 3 fois la 13-6, à Clermont, Malmö, et ici. J’ai vu que la 13-6 n’est pas un monstre, je la maîtrise très bien. Il faut toujours avoir 1 ou 2 perches plus dures. Alors j’ai commandé des 13-4 et 13-2. Cela commence à faire gros ! »
Renaud, 6.12 pour 12 concours à plus de 6 mètres
Il n’est pas seulement fou de ces dimensions de perches, il l’est de tous les chiffres. Et dans ce concours, il a multiplié les symboles inattendus. Ainsi pour cette barre à 6.04 mètres : « C’est le record du Championnat. C’est la 3ème fois que je fais 6 mètres en championnat, après Paris et Göteborg. C’était important pour moi de refranchir 6 mètres. Et 4 petits centimètres, c’était symbolique. Comme mes 4 victoires au Championnat d’Europe en salle ! »
Et quid de cette marque demandée à 6.12 mètres puis balayée par 6.17 mètres ? Renaud s’esclaffe pour expliquer : « Cela avait une valeur pour moi. 12 pour le 12ème concours à plus de 6 mètres. Me permet une barre intermédiaire que j’ai rarement tentée. Puis j’ai trouvé l’ambiance super, et j’ai calculé que quoi qu’il arrive, il fallait que je prenne la même perche, les mêmes réglages. C’est pour cela que j’ai demandé 17. Ce sont les chiffres, j’aime bien jouer avec ! »
Et sa dernière référence est moins surprenante : « Je crois que j’ai égalé le record de Bubka en terme de régularité à 6 mètres en une saison. Il l’avait fait 5 fois en 91. Moi 5 fois cet hiver. Mis bout à bout, ça fait pas mal de chiffres très intéressants. »
Des repères qui lui apportent une sérénité qu’il ne dissimule pas : « Après ma coupure de deux semaines, je vais revenir avec des acquis à un niveau jamais atteints jusqu’alors ! »
> Texte : Odile Baudrier – Photos : Gilles Bertrand