Voilà près d’une année que la nouvelle d’un problème de manquement aux règles de localisation de Mouhamadou Fall est apparu, en juillet à seulement quelques jours du Championnat du Monde d’Eugene. Pourtant depuis cette date, le multi champion de France du 100 mètres, n’a jamais cessé de courir. Même si l’Agence Française Anti-Dopage veut le suspendre pour deux ans… Explications.
C’est l’un de ces cas complexes à comprendre, et qui, finalement, donne une vision négative à la lutte contre le dopage… Même si les règles juridiques justifient parfaitement la situation de Mouhamadou Fall, et l’imbroglio actuel qui l’autorise à poursuivre les compétitions en dépit d’une suspension possible de deux ans.
L’affaire apparaît au grand jour en juillet dernier. Mouhamadou Fall est déjà arrivé à Eugene pour le Championnat du Monde lorsqu’il est révélé qu’il totalise trois manquements aux règles de localisation (enregistrés le 1er avril, 8 mai, 16 juin). L’Agence Française Anti-Dopage a lancé une procédure à son encontre pour qu’il justifie le 3ème manquement, celui qui le fait basculer du côté des violations anti-dopage.
Pas de suspension provisoire pour des problèmes de localisation
Aucune suspension provisoire n’est prononcée à ce stade, en accord avec le code mondial anti-dopage, où la suspension provisoire n’est en réalité obligatoire que : « dans le cas d’un résultat d’analyse anormal ou d’un résultat de Passeport anormal pour une substance interdite ou une méthode interdite (sauf pour une substance spécifiée ou une méthode spécifiée).
La règle est claire, et l’AFLD la respecte à la lettre. Ainsi Mouhamadou Fall peut disputer le 200 mètres du Mondial (éliminé en séries), et plus tard le Championnat d’Europe de Munich (5ème sur 100 m). Par contre, il voit la porte des relais 4 fois 100 mètres se fermer : en toute logique, les dirigeants de la FFA ne souhaitent pas l’intégrer dans un relais qui pourrait ensuite voir son résultat invalidé si une suspension est prononcée. Dans un tel cas, la suspension prendrait, vraisemblablement effet, à la date du début de la procédure lancée par l’AFLD, courant juillet.
Un délai d’instruction allongé pour intégrer les documents de la défense de Fall
La situation n’est pas inédite, mais la constitution du dossier de défense de Mouhamadou Fall va prendre un long délai, compte tenu de sa volonté et de celle de son avocat, maître Vanni, de justifier les manquements et éviter ainsi une suspension.
Les allers et retours de documents se poursuivent pendant plusieurs mois. Et en avril 23, au vu des éléments de preuve en sa possession, le service juridique de l’AFLD estime l’instruction du dossier achevée, maintient sa volonté de poursuites disciplinaires, avec la proposition de deux ans de suspension. L’affaire pourrait en rester là, mais le duo Fall-Vanni ne veut pas l’accepter et choisit de recourir à la Commission des Sanctions de l’AFLD pour obtenir une décision qu’ils espèrent plus clémente.
Cette démarche n’est pas si rare, elle concerne environ 50% des 80 cas de violations des règles anti-dopage constatée en France chaque année. Comme l’avait expliqué en début d’année Antoine Marcelaud, le responsable juridique de l’AFLD : « Aujourd’hui, très tôt, le sportif peut nous présenter des preuves, un scénario, on va consulter les experts pour voir s’il marche ou pas. Les avocats ont un rôle à jouer auprès du sportif : jouer cartes sur table dès le début, accepter ou pas la sanction proposée. ». D’où ce chiffre d’environ 50% de procédures avec un accord direct de la suspension proposée.
Une saison 2023 très prolixe avec 19 compétitions et 20’’16 au 200 m
Ce choix d’une procédure évidemment plus longue ne change rien au statut de Mouhamadou Fall, et aucune suspension provisoire n’est encore réclamée à son encontre. Et cela demeurera jusqu’à ce que la décision de la Commission des Sanctions soit prise. Soit probablement encore quelques mois d’attente.
Il pourrait ainsi s’écouler une année complète durant laquelle le sprinter a pu poursuivre une carrière normale qui serait balayée dans le cas où la suspension serait confirmée. Et Mouhamadou Fall a disputé pas moins de 25 compétitions depuis juillet 22, avec en particulier un chiffre de 19 pour l’année 2023. Une sanction rimerait avec exit pour toutes ces performances, y compris ses 20’’16 sur 200 mètres de début avril 2023, la 3ème performance française de tous les temps.
Une épée de Damoclès que certains athlètes préfèrent lever en demandant eux-mêmes une suspension provisoire, comme le prévoit le Code Mondial Anti-Dopage. C’est le scénario vécu par le jeune Jimmy Soudril. Comme l’avait analysé Antoine Marcelaud, : « Une demande spontanée de suspension provisoire n’est pas un aveu de culpabilité. Elle présente l’avantage de gagner du temps, par exemple par rapport aux Jeux Olympiques. Cela lui permet de commencer à purger sa sanction, d’organiser sa défense, et de reprendre plus rapidement. »
Une sanction de 2 ans est la règle mais Fall espère la clémence
Mais une telle stratégie pouvait difficilement s’appliquer à Mouhamadou Fall. Deux ans de suspension à partir de juillet 22 rimaient de toute façon à voir se fermer la porte des Jeux Olympiques de 2024.
Sa bataille lui permettra-t-elle de prétendre à une sélection pour Paris ? Peut-être si une sanction réduite lui était prononcée. La durée normale de la sanction est de 2 ans, avec la possibilité d’une réduction de moitié selon le degré de la faute. Ce qui englobe les circonstances des manquements et la reconnaissance rapide de ses erreurs par l’athlète.
C’est ainsi que la lanceuse de poids américaine, Raven Saunders, avait eu seulement 18 mois suite à trois défauts de localisation, entre janvier et août 2022. L’agence américaine anti-dopage avait tenu compte de problèmes psychologiques et d’une opération à la hanche, pour réduire la sanction de six mois. Mais sans oublier aussi que l’Américaine n’avait connu que des défauts de localisation, sans absence lors d’un contrôle hors compétition.
Une absence lors d’un contrôle et deux manquements
Or Mouhamadou Fall a concédé très récemment dans les colonnes de l’Equipe, qu’il comptait bien un no show (absence lors de la venue d’un préleveur), en parallèle de deux manquements, qu’il impute à des problèmes administratifs.
Les détails complets de cette affaire ne sont en réalité pas connus. Fidèle à ses habitudes, l’AFLD conserve le silence total, pour ne pas entacher sa procédure. L’agence aura-t-elle dans ce cas recours à la nouvelle approche des manquements de localisation ? Le code mondial prévoit désormais qu’un seul manquement peut être considéré, même pris isolément, comme une falsification, qu’il s’agisse d’un no show ou de transmission d’informations inexactes à l’AFLD.
Une seule certitude : l’affaire Fall n’a pas encore livré tous ses secrets.
Analyse : Odile BAUDRIER
Photo : D.R.