Le marathon de Londres a livré de gros chronos, avec les 2h01’26’’ de Kelvin Kiptum, 2ème performance de tous les temps, et les 2h18’33 de Sifan Hassan, qui disputait son premier marathon. Mais la course qu’elle a menée ne peut qu’interpeller, d’autant que ses déclarations à la veille de l’épreuve ne laissaient pas présager une telle réussite.
Un arrêt rapide, puis un 2ème arrêt, pour s’étirer, au 16ème km. Un retard de 28 secondes sur la tête de course au 25ème kilomètre. Un loupé au ravitaillement du 40ème kilomètre, qui oblige à un quasi demi-tour pour attraper sa bouteille.
C’est la liste des péripéties de la course de Sifan Hissan sur ce marathon de Londres. Puis finalement, pour conclure, une victoire pour la Néerlandaise qui supplante ses rivales dans les 200 derniers mètres. Et pas n’importe lesquelles ! Le plateau londonien s’affichait comme du jamais vu, avec en lice six marathoniennes valant moins de 2h18’.
Mais Peres Jepchirchir, (championne olympique en titre), Alemu Megertu, Yalemzerf Yehualaw, Shelia Chepkirui, (Brigid Kosgei la recordwoman du monde avait abandonné) n’ont pu résister au finish de Sifan Hassan, et les cinq femmes terminent en l’espace de 20 secondes !
Légendaire. Incroyable. Inoubliable. Les qualificatifs dithyrambiques se succèdent pour commenter cette performance totalement hors normes. Surtout que le contexte d’avant compétition ne laissait en aucun cas augurer d’une telle réussite. Tim Rowberry, l’entraîneur de Sifan Hassan, avait même souligné auprès de Jonathan Gault de Let’s Run : « Pour être honnête, elle n’est pas prête à suivre ces filles ». Certes Sifan Hassan, elle, avait insisté qu’elle voulait tenter sa chance avec les leaders.
Le Ramadan pour le dernier mois d’entraînement
Mais les indicateurs n’étaient pas spécialement au vert pour sa première tentative sur cette distance. Pendant un mois, Sifan Hassan avait scrupuleusement respecté le Ramadan, qui ne s’était achevé que le vendredi avant l’épreuve. Soit aucun repas et aucun liquide de toute la journée. Et en parallèle, des semaines atteignant 180 kilomètres, en altitude à Sululta en Ethiopie.
Puis 10 jours avant Londres, c’est une blessure qui la handicapait, au quadriceps. Et surprise, elle « oubliait » de se faire strapper par son kiné avant de prendre le départ, d’où ces douleurs brusques la contraignant à s’arrêter rapidement deux fois pour s’étirer.
Autres éléments perturbateurs : ce premier marathon pour une pure spécialiste de la piste, qui a déjà marqué les esprits par sa capacité à briller sur toutes les distances. Capable de courir en 1’56’’ sur 800 mètres en 2017, alors qu’elle s’est surtout distinguée jusqu’alors sur le 1500 m et 5000 mètres. Puis en un monstrueux 3’51’’ sur 1500 mètres en 2019, au Championnat du Monde de Doha, quelques jours après avoir remporté le titre sur 10.000 mètres.
L’ombre d’Alberto Salazar
Un authentique exploit que ce doublé au Mondial de Doha, au moment même où son entraîneur Alberto Salazar se voit suspendu pour des faits de dopage. Car Sifan Hassan est un pur produit de la méthode Salazar. Même après son arrêt imposé : Tim Rowberry a été l’assistant d’Alberto Salazar au sein du Nike Oregon Project pendant plusieurs années. Avec en filigrane cette question, qui agite régulièrement le microcosme de la communauté running US, de savoir si en réalité, l’entraînement de plusieurs athlètes de son ancien groupe ne demeure pas orchestré secrètement par Salazar…
Avec Salazar, Sifan Hassan a conquis trois titres mondiaux majeurs. Après Salazar, elle a réussi le doublé 5000-10000 m aux Jeux Olympiques de Tokyo 21. Et cette victoire surprise à Londres, sacrant ainsi une coureuse débutante et un coach néophyte sur cette distance. C’est auprès de Mo Farah, lui-même ancien protégé de Salazar, qui s’entraînait également en Ethiopie que Tim Rowberry aurait pris des conseils pour mieux orienter la préparation de sa protégée…
Evidemment, les déboires qu’elle a connus avant et pendant la course, ce contexte d’entraînement dans le sillage d’un entraîneur usurpateur, et le niveau de performance atteint ne peuvent qu’interpeller ! Du moins les esprits chagrins, diront bien entendu les afficionados du marathon, enclins à l’enthousiasme et peu ouverts à la critique…
- Analyse : Odile Baudrier
- Photo : D.R.