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Paula Radcliffe, trois tests douteux ou pas ?

Trois tests de Paula Radcliffe présenteraient des valeurs anormales, amenant à la mise en cause de l’athlète sur des pratiques interdites. Les interprétations des experts sont variées, avec une seule certitude : les données complètes doivent être fournies pour être analysées et interpréter. Le spécialiste de l’anti dopage français Pierre Sallet admet attendre avec impatience ces données…

 

Paula Radcliffe refuse de livrer les données de ses prélèvements

Paula Radcliffe refuse de livrer les données de ses prélèvements

« Sky News » s’est procuré les résultats de trois tests douteux, qui ont placé Paula Radcliffe au cœur du scandale du dopage. Il s’agit de tests « Off Score ». De quoi s’agit-il ? Nous avons interrogé le spécialiste de l’anti dopage français, Pierre Sallet.

Le test Off Score

« Cela remonte aux débuts des années 2000. A cette époque, l’anti dopage a pris acte que certaines molécules n’étaient pas détectables dans les tests. Pour contrer le problème du dopage, l’UCI a mis en place des mesures dites de « santé ». Par exemple, un cycliste affichant un taux supérieur à 50% d’hématocrite était déclaré inapte. Puis des modèles mathématiques plus poussés se sont développés, pour lier EPO circulaire, Hémoglobine, Transferring. Le chercheur Michael Ashenden (informateur maintenant dans l’affaire du Sunday Times de l’ARD) a publié un modèle liant l’hémoglobine et la réticulote, dans une équation mathématique, et décrit le ON SCORE et le OFF SCORE. Le ON Score correspond à la prise d’EPO, l’hématrocrite augmente. Le OFF Score : on ne prend plus d’EPO, l’hématocrite diminue, c’est ce qu’on appelle le « Wash Out ».

Ce concept de OFF Score a été repris par plusieurs fédérations sportives pour leur politique de santé. Pour l’UCI, un OFF Score supérieur à 100 provoquait une exclusion. Mais chaque fédération pouvait adopter sa propre norme. Toutefois l’IAAF n’a jamais pratiqué la politique de santé. »

Les interprétations du Test Off Score

« Il existe plein de raisons autres que le dopage pour dépasser les seuils du OFF Score. C’est le problème des faux positifs et des faux négatifs. Pour l’hématocrite, par exemple, le taux de 50% n’est pas atteint par des personnes qui se dopent : avec l’EPO, ils vont monter à 49%, et pourtant ils seront négatifs. D’autres dépassent les 50%, j’en connais qui sont toujours à 52-53, et qui ne prennent rien ! Pour le OFF Score, c’est identique. Avec ce repère, on se retrouve avec de faux positifs, et de faux négatifs. L’altitude par exemple peut faire basculer vers le OFF Score.

L’autre problème autour du Off Score est qu’il comporte une marge d’erreur importante, de l’ordre de 1 sur 100. C’est énorme à considérer que pour le test Hormone de croissance, le taux de faux positif est seulement de 1 pour 10.000.

En fait, on ne peut pas utiliser ces résultats comme des tests. Ces résultats pris isolément ne veulent rien dire. Tout comme les tests publiés par Mo Farah ou Robert Harting ne signifient rien. Un bon score ne veut rien dire, et un score élevé non plus. Par exemple pour l’hématocrite, l’UCI a fixé la limité à 47, on voit des sportifs shootés et affichant 45, et d’autres normaux à 48.

Ce travail à partir de références isolées correspond à la lutte anti dopage d’il y a 15 ans. Maintenant, nous disposons d’autres outils, beaucoup de modèles fonctionnent et permettent de savoir si le sportif est propre ou pas. Ils ne sont pas faits pour sanctionner comme l’est le passeport biologique, mais ils donnent les résultats. Pour les utiliser, il faut les profils sanguins complets des sportifs. »

L’altitude en cause ?

Trois tests seraient à considérer comme douteux. Leurs mesures sont de 114.86 – 109.86 – 109.3 selon « Sky News ». Pour certains experts, une marque au-delà de 103 serait à considérer comme anormale. Mais selon une étude publiée en 2003 par Michael Ashenden, une marque de 111.7 serait normale pour une athlète femme s’entraînant en altitude. Il resterait donc un seul test douteux, celui de 114.86, que Paula Radcliffe estime invalide en raison des circonstances entourant sa collecte : après un semi-marathon au Portugal couru avec 29 degrés, et immédiatement après l’arrivée, alors qu’il est maintenant admis qu’un délai de 2 heures doit être respecté pour plus de fiabilité.

Pierre Sallet analyse : « Paula Radcliffe argumente que les valeurs des off Score seraient plus élevées car elle s’entraînait en altitude. C’est vrai que l’altitude impacte, et produit les mêmes effets que l’EPO, mais plus rapidement. Disons qu’on atteint les mêmes états finaux après une semaine d’EPO qu’après 4 semaines en altitude. Toutefois ce n’est pas une justification totale. »

L’autotransfusion

La rumeur autour du recours à l’auto transfusion par Paula Radcliffe n’est pas nouvelle, elle a été souvent entendue après ses records du monde, et surtout celui de 2h15’. Mais peut-on la détecter à travers les prélèvements effectués ??

Pierre Sallet explique : « L’auto transfusion peut être vue dans les prélèvements. J’ai travaillé en 2008 sur un protocole sur l’auto transfusion pour tenter de déterminer le gain d’hématocrite obtenu par l’auto transfusion par rapport à ce qui est obtenu par l’entraînement en altitude. J’ai disséqué toutes les études réalisées, j’ai fait des tests, et la conclusion est que dans le cas d’une variation supérieure à 4% en 15 jours de la valeur de l’hémoglobine, on peut conclure à une auto transfusion. C’est implacable. On utilise souvent cette méthode en « off » pour savoir si quelqu’un pratique l’auto transfusion. »

Les données de Paula Radcliffe

Pierre Sallet l’avoue, Paula Radcliffe fait partie des « cas » qui attirent les regards des spécialistes de l’anti-dopage, et son intime conviction sur ce cas se doit de demeurer secrète. Les chercheurs sont nombreux à souhaiter pouvoir disposer de tous ses profils pour les disséquer avec les nombreuses méthodes mathématiques qui existent, en plus du passeport biologique, seul repère admis pour une éventuelle suspension.

Pierre Sallet souligne : « En réalité, nous avons 3 ou 4 modèles qui peuvent s’allumer à l’analyse des données. Il serait bien de disposer des profils de Paula Radcliffe. Si elle est une victime de la désinformation, nous serons contents de le prouver. »

L’Américain Ross Tucker, expert de la lutte anti-dopage de l’autre côté de l’Atlantique, souligne lui aussi auprès de nos confrères de « Lets’Run », que certaines explications de Paula Radcliffe lui paraissent convaincantes mais qu’il est indispensable que l’ensemble de ses données soit livrée à la communauté de l’anti-dopage pour des analyses approfondies.

Paula Radcliffe, elle, campe sur sa position, elle refuse de fournir les prélèvements effectués durant sa carrière. Elle a livré à « Sky News » son argument : « Je n’ai rien à prouver. Je suis propre. »

Pourtant, durant toute sa carrière marqué par sa croisade anti-dopage, Paula Radcliffe avait toujours promis qu’elle conservait disponible ses échantillons de sang pour toute analyse dans le futur. Pourquoi revenir maintenant sur ses promesses ???

Mais Paula Radcliffe pourrait bien être dépassée par la suite des évènements, car comme le souligne Pierre Sallet, ses données ne sont pas conservées que par l’IAAF, et peuvent être en possession de personnes qui pourraient les divulguer publiquement avec le risque d’un très gros scandale à la clef…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.