Le visage de Paul Lalire est devenu de plus en plus familier dans le paysage du demi-fond et du running. Depuis son titre de champion de France de marathon l’an passé à Tours et une sélection en équipe de France sur semi-marathon, ce cadre technique à la Fédération Française de Triathlon s’affirme avec simplicité et modestie. Portrait.
France de cross 2007, Hippodrome de Vichy, en bourgeon, la génération 88 – 89 et un trio de tête qui se sort les tripes, Mourad Amdouni, Hassan Chahdi et Florian Carvalho dans cet ordre sur le podium des juniors. En place de quatre et sept, deux futurs triathlètes s’accrochent aux franges d’une nouvelle génération dorée, Etienne Diemunsch et Vincent Luis, mèches blondes en vrille sous la casquette blanche. Plus loin, sur ce tapis vert, Paul Lalire tire une belle ligne droite, il se classe 27ème.
Ce soir là, l’AC Chenôve est comblé. Sur la route du retour, Patrice Lacenaire un transfuge de l’ASPTT Dijon et entraîneur du pôle demi fond dresse le bilan, c’est un bon championnat de France pour un club qui n’a pas de prétention hautaine. L’équipe seniors femmes termine quatrième à 10 points du podium quant au « Petit Paul », c’est son surnom, c’est la bonne surprise de la journée.
Natif de Dijon mais résident à Chenôve, Paul Lalire signe sa première licence en 2002. 3’35’’ au 1000 en minime, ya pas de quoi écouter les sirènes, mais Jean Theurel, un chercheur en physiologie du sport et responsable au club d’une dizaine de coureurs s’en souvient encore « il était le plus jeune, le plus volontaire. Il avait un mental qui dénotait avec son physique ». On lui trouve même un second surnom « plus que 29 » que Jean Theurel explique ainsi « on devait avoir une séance avec 30 répétitions. A la fin de la première, il disait « plus que 29 » et à la fin de chaque répétition, il répétait « plus que 29 ».
« l’enjeu était simple, un bon coureur, c’est un coureur qui ne se blesse pas »
L’entraîneur –chercheur au sein de l’AC Chenôve se rapproche donc de « plus que 29 » pour son profil atypique « moi, je voulais des gens volontaires, c’était loin d’être le plus talentueux mais son profil m’intéressait ». Chez les cadets, il réalise 4’42’’ puis 4’37’’ sur 15 avec seulement deux séances semaine. Là encore, ya pas de quoi faire trembler les feuilles de contrôle, l’entraîneur raconte : « l’enjeu était simple, un bon coureur, c’est un coureur qui ne se blesse pas. La piste, c’est pathogène, on a donc évité tout ce qui générait des blessures comme le travail de pied. A la place, on a mis du plaisir car avant tout, on doit aimer ce que l’on fait ».
Paul Lalire se souvient de cette période fondatrice dans un club que Patrice Lacenaire aujourd’hui jeune retraité, donc encore plus investi dans l’entraînement considère comme « intergénérationnel. Nous, nous construisons avec des moyens modestes. C’est une grande famille. Nous, nous sommes des locaux qui formons des locaux, sans recrutement extérieur».
Paul Lalire fait donc son petit bout de chemin dans les catégories jeunes sans se préoccuper de personne, un touche à tout, un curieux, sans borner, sans restreindre sa pratique, du cross mais aussi des déroutages sur les chemins de travers. Dès sa première année junior, c’est sur 10 km qu’il s’éclate, sept courses en une saison et un record en 32’29’’ à Taulé – Morlaix. Il avoue « j’ai toujours eu le même angle d’attaque, j’aime courir en cherchant le dépassement personnel même si les chronos ne sont pas exceptionnels, sans me préoccuper des autres ». En cela, côtoyer Jean Theurel dans son parcours sera fondateur. Il a des mots que chaque entraîneur aimerait entendre « il m’a accompagné, il ne m’entraîne plus, mais il est toujours très proche. Il a favorisé mon développement personnel. C’est une personne référence ». Interrogé sur ces propos, le coach est troublé. Aujourd’hui chercheur à l’INRS de Nancy dans le domaine de la robotique et notamment sur le développement technologique des exosquelettes, cette tête pensante avoue « moi aussi, il m’a fait évoluer» et de reconnaître que le « Petit Paul » n’a plus besoin de personne pour se construire comme coureur. Je l’ai même eu comme étudiant, il était très pertinent sur le plan théorique, très intelligeant, très méthodique. A force de travail, il se révèle aujourd’hui sur toutes les distances. Il est devenu un coureur complet ». Paul Lalire d’intellectualiser le propos « sa philosophie, ce fut à chaque fois du progressif, pour une progressivité avérée. C’est au final une capitalisation du travail sur cinq ans ». Il cherche une fraction de seconde pour ajouter « même sur dix ans ».
Un métier de passion, dévoreur de temps, absent cent jours par an de son domicile
Des dix bornes à la pelle chez les juniors, un premier semi à 21 ans, 1h 12’53’’ à Dijon, un premier trail à 22 ans, vainqueur de l’Alesia Trail sur 32 km, un premier marathon à 24 ans, 2h 32’12’’ à Reims, Paul Lalire ouvre ainsi, un a un, les tiroirs d’un monde à explorer. Il en tire des parchemins, il en déroule des rubans de chemins, son monde n’est pas restreint.
Il n’est pas né dans un monde de sportifs, une maman institutrice, un père engagé dans le social, trois frères et sœurs tous brillants étudiants, Paul Lalire sera le seul à s’enrôler ainsi dans l’univers du sport. Une immersion totale, comme une plongée profonde en forêt primaire, de part sa pratique, de part l’emploi qu’il occupe depuis janvier 2016 au sein de la Fédération Française de Triathlon. Un métier de passion, dévoreur de temps, absent cent jours par an de son domicile, en charge notamment de la détection minimes – cadets aux côtés du DTN Franck Bignet « c’est un jeu d’équilibre et je réussis à me faire plaisir en tenant à cet équilibre. Mais la priorité restera toujours le travail, en plus dans un domaine où je m’épanouie. Je fais au mieux pour réaliser un travail de qualité pour réussir les objectifs que l’on me fixe et que je me fixe. Cet équilibre est bon, il est sain et je me fais plaisir dans les deux domaines ». Il ponctue par une phrase que les magazines « lifestyle » aimerait accrocher en bold – corps 24 « je suis chanceux. Quand je pars courir, j’oublie que je cours et je pense à plein de chose. Alors franchement autant en profiter ».
En 2015, sa quinzième place au France de cross glisse à la surface du clapotis de l’info. Mais pour les Cheneveliers, les habitants de Chenôve, cette performance consacre un modèle de ténacité et de persévérance. Patrice Lacenaire a le commentaire élogieux sur cette progression tirée au cordeau* « qui fait toute la valeur de Paul » estime l’entraîneur qui aujourd’hui est épaulé par Sarah Hader et Paul Lalire lui-même pour coordonner l’entraînement d’un groupe de 80 coureurs au sein de l’AC Chenôve. Toutes les trois semaines, le trio se réunit le soir, un coup chez l’un, un coup chez l’autre pour définir les programmes d’entraînement en fonction des distances à préparer et du profil de chaque coureur. Il formule ce jugement sur le marathonien devenu entraîneur d’un club évoluant en National 2A « il est réservé, mais il a des idées qu’il défend, il sait argumenter. Il semble réservé comme cela, mais il est très à l’aise pour s’exprimer ».
Avec sa tête de matheux, sans lunettes désormais ! Paul Lalire traversait donc le temps comme un vrai coureur de fond, discret, introverti tout au moins en apparence mais tenace jusqu’à ce France de marathon 2016 le révélant au grand public. Une victoire à Tours conquise en 2h 21’23’’ pour son quatrième marathon, un titre de champion de France que les esprits boudeurs regardent encore aujourd’hui de travers, Paul Lalire n’a pas de temps pour s’attarder sur les commentaires passéistes des « avant c’était mieux ». Il commente simplement avec franchise « le chrono ? C’est mon record mais ce n’est pas exceptionnel, c’est juste une étape de plus vers les moins de 2h 20’. Cela valide le travail de ces plusieurs années de travail ».
Jean Theurel qui entraîne aujourd’hui l’Aixois Julien Devanne, salue lui aussi ce bon coup médiatico-sportif par ce commentaire « Paulo, ce n’est pas un chasseur de primes. C’est la modestie qui le fait progresser. Il gagne des étapes dans la modestie ». Le lendemain du cross Ouest France, les deux hommes se sont téléphonés, Paul Lalire encore euphorique commentant ainsi sa course conclue par une septième place « je n’ai pas craqué, je n’ai pas craqué ». Le coach de lui répondre « mais ça fait dix ans que tu me dis cela ».
> Texte et photos Gilles Bertrand
- 186ème place à la Roche sur Yon en 2010 puis 96ème, 62ème, 50ème, 33ème, 15ème