Mohamed Serbouti est sarthois d’adoption. Mais aujourd’hui, il est l’ambassadeur de ce département où il témoigne régulièrement de son intégration dans la société française grâce au sport, grâce à la course à pied. Dimanche 6 mars, il sera bien sûr au départ du France de cross, chez lui au Mans, son 21ème devant ses proches, ses amis et les élus qui lui ont fait confiance.
Ils seront tous là, les frères et sœur, les amis proches, les élus, l’épouse et ses enfants. Au bord de l’anneau, sur l’hippodrome de l’Epau. Tous, enfin presque, n’auront qu’un mot à la bouche, deux syllabes pour encourager un seul homme, Momo. Vous l’avez deviné, il s’agit de Mohamed Serbouti.
« Momo »…Mohamed Serbouti ne se souvient plus exactement quand ce surnom a commencé à fleurir la bouche de ses supporters, scandé sur les champs de cross de Sarthe et de Navarre. Il n’y a pas de date précise « A peu près lorsque je suis devenu fort » et d’ajouter avec une certaine pertinence : « Je me suis aperçu que dans la langue française, lorsque tu as un surnom, c’est que l’on t’apprécie encore plus. Sans le sport, je n’aurais pas connu cela ».
Car Mohamed Serbouti a débuté dans la vie du pied gauche. Pas scolaire pour deux sous, l’aîné d’une famille déracinée, lui-même étant né au Maroc, originaire du village de Smaala. Ce n’est qu’à l’âge de 5 ans qu’il arrive en France pour rejoindre Mohammed le père. Il raconte : « C’est le hasard, c’est la chance si mon père a quitté le Maroc. Il était allé renouveler sa carte d’identité. Le fonctionnaire lui dit : « Il y a du travail en France. Si vous êtes intéressé, c’est un passeport que je vous délivre ». Destination la Sarthe, la ville de Mamers et ses champignonnières où il trouve un emploi. Le fils se souvient : « Il a trimé dur, il s’est battu. Je voyais quand il rentrait du travail qu’il avait le visage marqué. Mais il ne s’est jamais plaint. Il disait : « Au Maroc, ce serait pire, il faut regarder le positif ».
Mohamed Serbouti se révèle talentueux, à Brumath, en 1992, pas encore naturalisé, il remporte la course espoir
Regarder le positif…c’est s’ouvrir sur les autres, c’est regarder le monde droit dans les yeux, c’est admettre que l’on va prendre des coups mais… « c’est se dire que les barrières, on peut les sauter », explique Mohamed Serbouti. Et plus d’une s’est dressée sur son chemin. A l’école, déjà, les carnets de note ne sont pas excellents, Mohamed n’est pas de l’écrit, il est de l’oral. Jusqu’au jour où Gérard Sauvaget, un prof également impliqué dans le club local, le repère « Je lui ai dit, je veux bien donner un coup de main mais ça s’arrête là ». Sauf que le prof sait si prendre avec l’ado « tu sais, le procureur serait content si… ». Mohamed Serbouti se révèle talentueux, à Brumath, en 1992, pas encore naturalisé, il remporte la course espoir. On appelle cela le destin. Une succession de choix, de prise en compte, de rencontres ?
Une va compter plus que tout, celle avec Dominique Chauvelier. Celui-ci n’a pas oublié : « Moi, j’ai bénéficié d’une rencontre celle avec Michel Giraudie, lui a vécu à peu près la même histoire mais avec moi ». Meilleur Sarthois chez les juniors, il rejoint la bande à Chauchau. Pour apprendre le métier, cette fois le carnet de notes est excellent. Comment est-il perçu dans le groupe ? Dominique Chauvelier souligne le trait : « Il n’était peut-être pas le meilleur, mais il ne voulait jamais se faire battre. Il avait une foulée rasante mais très dynamique ». Mais sa force, le plus qui ne s’apprend pas, qui appartient à l’inné, c’est son intelligence de course : «C’est un coureur qui sent les courses, il sait toujours se placer là où il faut. Là, je lui donne 20/20 ». L’élève Serbouti dit à peu près la même chose lorsqu’il s’autoanalyse : « J’ai un grand sens tactique, je suis très malin, je sais ressentir les faiblesses des autres. C’est pourquoi j’ai souvent gagné les Inters. Ca me donne de la force ». Preuve en est, dernièrement, sa course à Lignières lors des Inters, où le master Serbouti, sur un parcours exigeant, veille au grain, se place, analyse. Il cherche les appuis, les autres sont en difficulté. Ils ne peuvent plus cacher leur jeu. A 300 mètres, c’est l’attaque, Mohamed Serbouti n’a plus qu’à lever les bras.
Aux côtés de Dominique Chauvelier, il se révèle également bon élève pour apprendre à communiquer. Le maître confirme : « Il m’a vu faire, il s’est dit : « je vais faire du chauchau ». Je l’ai emmené dans tout mon business. J’ai été un guide ». Confirmation de « Momo » le personnage devenu public : « Il m’a fait découvrir le milieu pro ». Mais surtout lui, le petit réparateur en électroménager qu’il était avant qu’il ne soit embauché comme huissier au CD 72, découvre que le sport peut modifier le regard des autres. Il parle au présent comme si en ces temps troublés, tout était encore à construire, jour après jour, pour expliquer : «il faut que j’adopte ce pays. Si tu représentes la France haut, et bien je serai mieux accepté ».
« Tu es la bonne personne » pour aller dans les lycées, les collèges, dans les foyers pour expliquer son parcours
Aujourd’hui, le fils de Mohammed qui appartenait, lui, à la génération de l’ombre et du silence, s’est construit un carré de lumière dans l’espace public. Un jour aux côtés de Nelson Monfort, un autre dans les loges de Roland Garros, avec Adidas sur le circuit parisien des Battles, engagé dans la section Sport et Entreprise auprès du Medef de la Sarthe, en tenue de sport avec des collégiens pour une action contre la faim, à l’Abbaye de l’Epau pour la semaine du Sport, à Brûlon pour l’action Sarthe Destination Sport, Mohamed Serbouti est engagé. En politique aussi et les élus le lui ont bien rendu. Il a soutenu François Fillon, il ne s’en cache pas, c’est ainsi qu’il a obtenu un poste au sein du Conseil Départemental. Les élus lui ont dit : « Tu es la bonne personne » pour aller dans les lycées, les collèges, dans les foyers pour expliquer son parcours «Les élus me respectent car j’ai réussi mon intégration, je suis un exemple pour la jeunesse ». Dominique Chauvelier ne cache pas son affection pour dire : « Je suis heureux de sa réussite, c’est une belle passerelle ».
A 45 ans, dimanche 6 mars, Mohamed Serbouti sera donc au départ du championnat de France de cross sur un parcours qui lui convient : «J’y vais pour sortir le grand jeu ». Il hésite lorsqu’on lui demande le nombre de France qu’il a disputé : « 21 peut-être, je crois en avoir loupé deux » avec en prime, deux sélections à un Mondial, 2001 et 2002, les années perfs, 1h 02’44’ sur semi « ma distance » et 28’46’’62 sur 10 000. Quant au marathon avec un record à 2h 17’34’’ établi à Rotterdam en 2000, il avoue « je n’avais pas le mental, il m’a manqué la gestion. Moi, je n’aime pas la régularité ».
« J’ai appris que vous alliez courir. Je viendrai vous encourager »
Dernièrement, Dominique Chauvelier, son entraîneur depuis 25 ans, l’a chambré : «Ca fait trois ans que je ne t’ai pas vu aussi en forme». Ensemble, ils ont ressorti les carnets d’entraînement, les vieilles séances, les bonnes, les 15 fois 2’, les 3000-2000-1000 à J-8. « Je vais sortir le grand jeu ». L’entraîneur précise : « Il a vraiment été fort jusqu’à l’arrivée des Légionnaires ».
Dernièrement, Corinne Orzechowski, la Préfète de la Sarthe a croisé Mohamed Serbouti dans les couloirs de l’hôtel du département : « J’ai appris que vous alliez courir. Je viendrai vous encourager ». Depuis, elle a confirmé sa venue. Mohamed Serbouti en est fier : «J’aime être entouré. Moi qui suis d’origine marocaine, cette considération me touche ». Il ajoute comme s’il était nécessaire de toujours convaincre, pour s’extraire des amalgames, pour combattre les manipulations des extrêmes : « Moi, je veux prouver que j’aime la France ».
> Texte et Photo : Gilles Bertrand
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