Mo Farah n’a pas eu le temps de savourer sa victoire à Eugene sur 10 000 mètres qu’il se retrouvait indirectement impliqué dans « l’affaire Salazar ». Il vient de renoncer à courir ce dimanche le meeting de Birmingham pour se trouver au cœur d’un cyclone qui pourrait faire des ravages dans la communauté du demi-fond et de l’athlétisme.
Nous sommes le 8 janvier 2011. Le froid est tenace, un beau manteau neigeux recouvre le magnifique champ de cross d’Edimbourg. Brendan Foster, l’organisateur fait le tour des micros pour présenter son match Grande Bretagne, Europe against USA. Dans l’équipe de sa Majesté la Reine est présent Mo Farah, dans l’équipe américaine, Galen Rupp. Au final, après une rude bataille hivernale dans ces collines enneigées, ils font un et deux. A l’arrivée, Alberto Salazar félicite les deux coureurs. Une union est scellée.
C’est à cette occasion que l’on apprend le départ de Mo Farah pour le NOP, le Nike Oregon Project. Les raisons d’un tel rapprochement ? Elles sont multiples. Mo Farah a été sacré l’année précédente double champion d’Europe, 5000 – 10000, coup double dans l’ancien stade olympique de Barcelone. Mais il veut plus, son entourage aussi. 6ème à Osaka, 7ème à Berlin, des J.O. de Pékin à oublier, il ne réussit pas à se qualifier pour la finale, Mo Farah est guidé par l’absolu, la cour européenne est trop petite, trop étroite, c’est dans le pré carré de ses frères de sang qu’il veut jouer. La scène mondiale aussi vaste soit-elle !
Le cross d’Edimbourg terminé, petit podium vite fait mal fait, enveloppés dans de gros anoraks, bonnets jusqu’aux yeux, Farah et Rupp sont dans le même avion pour l’Oregon accompagnés d’Alberto Salazar, le guide. Une nouvelle carrière commence et seulement cinq mois suffisent à comprendre que l’anglais a changé de braquet. 27’28’’86 en 2010 sur les 25 tours, 26’46’’57 à Eugene le 3 juin, sur 5000 mètres, le compteur baisse aussi, 12’57’’ 93 en 2010 et 12’53’’11 à Monaco le 22 juillet. A Daegu, il échoue de peu pour un doublé que l’on aurait baptisé d’historique, vainqueur du 5000 mètres mais second sur 10 000 mètres, battu au sprint par l’éthiopien Ibrahim Jeilan. La métamorphose est réelle, l’anglais est dans le bon étage de la fusée, les J.O. de Londres sont déjà demain. Le reste de l’histoire n’est pas à réécrire.
Mo Farah renonce à courir Birmingham
Dimanche 7 juin 2015, la nouvelle tombe au petit matin, Mo Farah est forfait à Birmingham. Depuis la diffusion du documentaire de la BBC et la publication de l’enquête menée par le journaliste américain David Epstein et publié sur le site Pro Publica, Mo Farah s’est retrouvé inévitablement au cœur de la cible. Sans pare feu ni gilet pare balle. Certes selon ce documentaire, il n’est pas mis directement en cause mais les amalgames sont inévitables en de telles circonstances.
Dans un premier temps, le point presse prévu avec Mo Farah dans le cadre du meeting de Birmingham fut annulé. Puis le double champion olympique, sommé de s’expliquer, se ravise et prend ses responsabilités devant la presse pour tenter de prouver son honnêteté dans l’attente lui aussi d’en savoir plus sur cette affaire. Au final, il décide de renoncer à monter sur les planches pour courir le 1500 qui lui était totalement dédié comme ce 10 000 couru à Eugene en 26’50’’97, il y a tout juste une semaine, jouant une nouvelle fois au yoyo avec les distances, réalisant de grands écarts que personne ne concevait jusqu’alors.
Si en janvier 2011, la stature de Mo Farah prenait une toute autre dimension en rejoignant le clan Salazar, l’Anglais félin et aérien, se retrouve aujourd’hui au bord du précipice. Et nul ne peut prédire quelle peut être sa destinée ou son avenir athlétique. Quels peuvent être les effets dévastateurs sur ces équilibres si fragiles sur lesquels repose le haut niveau mondial. Qu’il reste ou non avec son mentor, qu’il fasse ou non le ménage pour aborder à 32 ans une troisième carrière notamment sur marathon, la distance sur laquelle il était naturellement prédestiné. Car la pitié n’existe pas. Loin très loin des clameurs d’un Londres hystérique, on est toujours seul face à son destin.
> Texte Gilles Bertrand