L’Ethiopien Mo Aman a fait le choix étonnant de s’entraîner aux Etats-Unis, sous la houlette de Mark Rowland, entraîneur pour Nike à Eugene dans l’Oregon. Le champion du monde du 800 mètres se prépare maintenant pour reconquérir son titre à Pékin.
La nouvelle avait fait sensation ce printemps. Mo Aman tournait le dos à l’Ethiopie pour s’orienter vers le groupe d’entraînement Mark Rowland à Eugene. Un choix inédit pour un athlète éthiopien, tant ce pays se révèle soucieux d’encadrer et chapeauter ses talents sur son sol, à l’opposé des pratiques de leur voisin du Kenya.
Mais même s’il est natif d’Asala, comme tous les grands noms éthiopiens, Mo Aman est un athlète « à part » pour l’Ethiopie, à l’histoire athlétique riche de performances sur le demi-fond long et le marathon. Le jeune homme s’exprime, lui, sur une distance inédite dans ce royaume du long, le double tour de piste, où il a brillé avec brio dès cadets, avant de se voir sacré champion du monde à Moscou en 2013, et à 19 ans seulement !
A Eugene dans l’Oregon Track Club
Tout de même pourquoi ce choix des Etats-Unis ? Mo Aman qui assiste en spectateur au meeting de Marseille n’élude pas la question, et se justifie d’une manière très simple : « Je suis sponsorisé par Nike. Les athlètes d’élite Nike font partie de l’Oregon Track Club, avec Mark Rowland que je connaissais avant. Je voulais les rejoindre. »
Le choix ne s’est pas fait à la légère. Hussain Makke, son manager américain, qui voyage à ses côtés dans tous les meetings, souligne : « Mo demandait un changement. J’ai pris mon temps pour trouver un bon site. J’ai parlé avec d’autres coachs, mais les programmes n’étaient pas adaptés pour lui. Il a fallu un an et demi. Mo et Mark Rowland se sont rencontrés. On a décidés ensemble. »
Le tout jeune Mo Aman, il n’a que 21 ans, sait parfaitement ce qu’il veut « courir vite ». Et comme l’explique son manager, l’environnement de l’Ethiopie souffrait de quelques carences : « Les conditions sont très bonnes là-bas. Mais il manque des facilités, des physiothérapeutes. Surtout en cas de blessure. Avec l’entraînement qu’il supporte, cela met plus de stress sur le corps et il manquait de moyens de récupération. » Et sur ce point, Eugene fait figure de paradis, ave ses bains glacés, son sauna, ses massages…
Une transition très facile
Après quelques mois passés dans l’Oregon, Mo Aman sait déjà qu’il a fait le bon choix : « Tout est parfait pour moi. Mon entraîneur. Mes partenaires d’entraînement aussi. La ville. ». La transition Ethiopie/USA s’est faite sans problème : « C’est un gros changement dans ma vie. J’aime les USA. Bien sûr, l’Ethiopie me manque. Mais c’est un choix, pour l’entraînement, pour courir vite. Si vous gagnez quelque chose, vous devez accepter de perdre quelque chose ! »
Mo Aman évolue maintenant sous la houlette de Mark Rowland, un Britannique en charge de l’Oregon Track Club depuis quelques années, et à ce titre, de l’entraînement de Nick Symmonds, le meilleur Américain sur 800 mètres. C’est justement à force d’échanger avec Nick Symmonds sur les compétitions et de croiser son coach que Mo Aman s’est orienté vers lui.
Ce choix de driver deux athlètes rivaux sur la piste a suscité force réactions négatives aux Etats-Unis, où il a été mal accepté. Et en Ethiopie ? Hussein Makke réfute : « Personne n’a rien dit. Il est tout de même Champion du Monde. » Le système Nike allège aussi les contraintes financières : « Nike prend tout en charge. Les camps d’entraînements. Le physio. Les médicaments. »
Mo Aman, pour un nouveau titre mondial
D’autant que les premiers meetings de Mo Aman l’ont confirmé comme leader actuel de la discipline, alors que David Rudisha peine visiblement à retrouver la piste. Mais Mo Aman a une autre analyse de la situation : « Rudisha est un athlète très fort. Mais il n’est pas le seul. Tous les athlètes sont forts, ils sont plusieurs à courir en 1’43’’. Ce n’est pas seulement David ! Vous devez courir vite et vous entraîner dur pour faire face. Moi je suis prêt pour n’importe quel adversaire, pour défendre mon titre. »
Pour Hussein Makke, le doute n’existe pas. Son protégé s’est parfaitement adapté à son nouveau système d’entraînement, et le meilleur reste à venir : « Au début, il a fait beaucoup d’endurance. Maintenant, il travaille la vitesse. Vu ce qu’ils ont fait cet hiver, il va courir encore plus vite. Il n’avait jamais fait ça l’hiver ! »
Hussein Makke, manager de renom
Hussein Makke a le sourire. Il tient avec Mo Aman une pépite qui s’ajoute à tous les grands noms du marathon qu’il manage. Et il énumère les dernières performances de ses protégés : la victoire à Boston, à Tokyo, à Londres chez les femmes, sans oublier le 5000 mètres de Rome et d’Eugene. Cet ex-athlète du Liban devenu Américain compte parmi les managers les plus importants de l’athlétisme mondial, avec sa structure Elite Sports Managements International.
Alors justement que pense cet homme influent des accusations portées récemment sur Alberto Salazar ??? Hussein livre sa pensée : « Pour moi, pour le moment, c’est votre parole contre ma parole. Nous avons besoin de preuves. Quand les gens parlent sur d’autres, il peut y avoir plein de raisons, politique, personnel… Je n’y crois pas tant que je n’aurais pas de faits prouvés. »
Le manager se veut prudent. Son statut l’impose. Le Nike Oregon Projet drivé par Alberto Salazar est l’une des autres facettes du programme bâti par Nike, aux côtés de l’Oregon Track Club de Mark Rowland. Mais excepté leur financement par le géant américain du running, les deux groupes évoluent de manière indépendante, sans lien entre eux.
Avec « Track Town », (le surnom pour Eugene), Hussein Makke a fait le bon choix pour Mo Aman.
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : Gilles Bertrand