Parfois une forte chute de neige a raison d’une organisation. Mais le mistral qui met au tapis l’organisation d’un Inter de cross ! C’est arrivé à Aramon où le vent soufflait à 130 km/heure et où le pire fut évité.
Le bar PMU de la rue des Halles, c’est le seul ouvert en ce dimanche matin. Des hommes seuls devant un petit noir y tuent déjà l’ennui. La journée sera longue. Une de plus. Au comptoir, des habitués, des hommes seuls, déjà enracinés au zinc. Certains ont joué un ticket sur les courses de Vincennes. La mine désolante. Cirrus du Chêne dans la 3. Ce canasson de 3 ans appartenant à l’écurie de Claude Guedj est le favori.
Ca rentre, ça sort. La serveuse fait de son mieux pour être aimable. Sur grand écran, D8 diffuse des hits des années 80. Un gros black joue les rappeurs du dimanche en pointant ses index vers son entre jambes. Là aussi, c’est désolant. Table du milieu, deux hommes, tous les deux d’une petite cinquantaine, discutent. Avec eux, une gamine sirote une menthe à l’eau. Elle s’ennuie.
Dehors, le vent hurle, le vent gémit. Dans cette rue des Halles, les volets, les tuiles, les écheneaux jouent une symphonie grinçante. Le Mistral mitraille. En rafales. Un temps à rester devant son bol à regarder dans le noir du café le beurre fondre en alvéoles. A ne penser à rien. A prendre le temps tout simplement.
De l’autre côté des remparts, le vent y est encore plus fort, plus sec, plus froid, plus cinglant. Les bus se garent, les mini bus aussi, quelques camping cars sont déjà là, les vétérans vont courir les premiers. Ca sort des voitures en agrippant férocement la portière de peur qu’elle s’arrache. Dans l’allée conduisant au champ de cross, on ne reconnait personne, chacun dissimulé sous un bonnet enfoncé jusqu’aux yeux.
Ca s’entraîne déjà sur un parcours où la rubalise joue les filles de l’air. Les piquets ont tenu mais cette main courante de rouge et de blanc est arrachée, aspirée puis ligotée aux branches.
Abrutis et asphyxiés par le vent, prisonniers dans la tourmente
Chacun est déjà dans sa course. Les parents inquiets pour les rejetons, les vétérans aussi pour une seule raison, le départ « c’est dans 5 minutes » annonce le speaker. « La musique, la musique » demande-t-il alors que son message se perd dans les hurlements d’un vent assaillant. Samuel Bonaudo, l’organisateur des prochains championnats d’Europe de cross est formel : « Ca va monter. Ils vont devoir annuler ». Dans son petit blouson, les épaules contractées, il a froid. Il s’inquiète. Son gamin doit courir à 16 heures chez les juniors. Une éternité. Il commence les calculs. Il doit partir en stage demain au Kenya, comment sera-t-il qualifié ?
Les vétérans partent, les barrières tiennent encore debout. Les saucisses grillent. Le café même brûlant ne réchauffe pas. Les bénévoles donnent le mieux d’eux même. Certains rafistolent le balisage. En vain. Premier message d’alerte. Il faut démonter les tentes. Une Queshua planquée derrière le camion sono se tord comme rongé par un virus. Le Marocain Lhoussine Jarri a déjà pris les commandes de la course, derrière Gilles Manse contrôle et joue le titre. Dans le peloton, ça court vite, la mèche ou le poil rebelle. Personne ne semble prêter attention à cette complainte du temps. Hurlante, mordante. Première cible, les arbres qui tanguent. Seconde cible les tentes qui n’ont pas été démontées. L’une d’elle s’envole. Les arceaux tournoyant dans le ciel sont des armes. Troisième cible, les cabanes qui servent d’accueil à l’organisation, un toit s’arrache. Quatrième cible, le millier de spectateurs et de coureurs abrutis et asphyxiés par le vent, prisonniers dans la tourmente.
Les minimes courent. La jeune Méline Pellicer l’emporte ainsi que Mohamed El Abdouni. Puis le départ du cross court femmes est sifflé. Les saucisses continuent leur cuisson. Les barrières ont été couchées au sol. Le vent est mesuré à 130 kilomètres/heure. Des bénévoles les bras en l’air se répandent dans les allées. La décision a été prise mais c’est à peine si l’on entend leur cri : « le cross est annulé, le cross est annulé». Leur désespoir est palpable. La peur du pire. Le moins pire est arrivé avec seulement deux blessés. « Mais comment vont se qualifier les gars ? » Sur le parking, ça discute, coincé entre deux voitures. On se frotte le visage. On se frotte les yeux. C’était Mistral arrogant à Aramon.
> Texte et photos Gilles Bertrand