A quelques heures du meeting Areva, l’ambiance est détendue dans le staff. Derniers réglages, entre invitations, affectations des couloirs, ragots, stratégie de course et vraie fausse tentative de record du monde sur 5000. Ambiance.
Il faut passer l’accueil du restaurant, pousser deux portes battantes, et prendre une rampe circulaire. Premier bureau à droite, c’est celui du staff, des cartons, des macarons qui ramollisent, le patron, lunettes orange sur le nez. Du bordel, pas trop, de la tension, pas plus que cela. Un bénévole pointe du doigt : « fallait pas venir hier, c’était chaud, y avait plus de piaules ».
Au mur, l’article de l’Equipe consacré à René Auguin. René sort son portable et montre à qui vient, à qui veut, une photo noir et blanc, René, 20 ans de moins, aux Foulées du Vidourle, dans le sillage de Bruno Cavelier. Wilfried Merts le patron de Bruxelles ajuste ses lunettes.
Les starts lists à écrire
René est dans les petits papiers. A ses côtés, une jeune femme, elle est tchèque. Depuis deux jours, elle n’est pas sortie de ce bocal, le nez sur l’écran, à rentrer le noms des 150 athlètes. Couloir par couloir. Justement couloir 9 du 110, René Auguin lui annonce au-dessus de son épaule, Belocian. Il se retourne : « Tu vois, ce sont nos athlètes, mais on ne les gâte pas plus que les autres ». Un manager pointe son nez « ligne 6, c’est bon ». René dit OK.
Dans le bureau voisin, la conf de presse des deux Ethiopiennes Dibaba et Ayana est sur le feu. Laurent Boquillet lève le nez de l’écran : « Ce n’est pas à nous d’aller chercher Dibaba. J’envoie un mail à Saleti. Une bénévole arrive : « On me raccroche au nez. je parle en anglais, c’est NO NO, même au traducteur, on lui raccroche au nez. Bon c’est quoi le numéro de chambre ? » « La 804 ».
Marc Maury le speaker se balance sur sa chaise. « Makloufi, il est sec, sec. Tu as vu ses temps sur 200 à Nancy. D’après Vozel, il termine en 26 »7, jamais personne n’a couru aussi vite ».
Un homme corpulent arrive en boîtant. Il porte au pied droit une grosse atèle. « Valerie (il s’agit de Valerie Adams) veut aller à l’INSEP pour s’entraîner. Le chauffeur refuse de l’emmener. On fait comment ? ». René prend son téléphone et passe un coup de fil. Il ajoute : « Cette année, on n’a pas de bol. Y a aussi Anne Lagat qui est en rade au stade. Elle attend aussi une voiture ».
On passe en revue les régionaux qui vont courir en prologue du meeting : « Je connais personne. Bon surtout, ils ne doivent pas revenir au stade après la course. Ils font des selfies avec tout le monde. Ca emmerde les athlètes ». Laurent d’ajouter : « Je vais passer un soufflon. Ils auraient pu rentrer les noms. Ils nous mettent en retard ».
Marc Ventouillac de l’Equipe vient aux infos. Plus personne n’y comprend rien de ce duel annoncé entre Dibaba et Ayaya. Les versions se suivent et s’entrechoquent. La petite Ayana l’a déclaré à la presse dans l’autre pièce : « Pas question de se relayer. C’est du record du monde dont on parle ». Laurent Boquillet s’amuse : « Je vais passer pour un con ». Car le scénario avait du bon pour un 5000 femmes noyé dans un programme dominé par la perche et le 100 mètres. Deux éthiopiennes rivales qui acceptent de se relayer tous les 400 et de jouer le record du monde. René Auguin ajoute : « Dibaba a quitté Hermens pour Jama Aden. Hermens pourrait récupérer Ayana. Je ne vois pas comment ça peut fonctionner entre les deux clans ».
Le lièvre sur 5000 m pour 6 tours ?
René saute du coq à l’âne. Il faut suivre les pensées de chacun autour de cette table noyée de paperasses : « Si Jelagat fait 6 tours (il parle du lièvre affecté au 5000 femmes), je l’embrasse sur la bouche. Il tripote son téléphone : « Bon sang, j’ai trop d’Isabelle dans ce téléphone ».
A l’autre bout de la table, on s’interroge sur la nationalité du sauteur en longueur Maiau identifié comme Polynésie Française. On lance : « C’est la France ou pas la France ? ». Pour Marc Maury : « C’est l’un des 200 pays pour l’IAAF ». « Mais si, il est Français, tu peux le changer de nationalité ? » affirme et interroge le manager.
Bref silence, chacun le nez sur l’écran. Des têtes se penchent dans l’embrasure de la porte. Dimitri Gracia l’ostéo de Renaud Lavillenie, bardé de gros sacs, demande au boss : « Tu as le temps que je te manipule ? ». Laurent Bocquillet se tord le cou. Comme chaque année, Fabrice Dubuisson a pris trois jours pour rentrer dans le satff du meeting. Laurent lui demande : « Il devient quoi Georges Gacon (ancien entraîneur national demi fond). Dudu (c’est son surnom) précise : « Il vit en Corse, il a acheté un bateau, il pêche ». On parle d’Annie Troussard grande espoir des année 90. Dudu précise : « Elle même le reconnaît, elle a fait des erreurs ». Il parle d’Alexis Miellet qualifié aux Europe espoirs. Dudu ajoute : « On a des bons gars au club ».
Là, ce n’est plus l’heure de s’interroger et de se prendre la tête entre les deux mains. La liste des défections ne bougera plus. Jean-Claude Vollmer a tenté le coup pour engager Bryan Cantero, 3’37 »95 à Nancy mais seuls deux « couloirs » ont été attribués aux Français dont Samir Dahmani déchu de son chrono de Marseille en quête d’une perf.
René Auguin ne se prend plus la tête : « Le forfait de Bolt, c’est surtout Lausanne qui est en colère. Ricky Simms (l’agent de Bolt) l’a mal joué. Quand j’ai vu courir Bolt à New York, j’ai vu que ça ne sentait pas bon. Il fait forfait en Jamaïque, là je me suis dit…. Et quand j’ai vu qu’il devait arriver à Paris en passant par Munich. Là, je me suis dit, c’est cuit, il est blessé. Il est parti se soigner ».
Un break avec des glaces
On annonce la venue de Serguei Bubka, il est en campagne. C’est le dernier round avant les élections. L’ancien perchiste en quête de pouvoir arrivera de Varsovie. Quant à Sebastien Coe, son rival pour la présidence de l’IAAF, il bataille du côté de l’Australie pour obtenir toutes les voix côté Commonwealth.
18 heures, c’est l’heure du break. Tous les managers et quelques coachs ont été conviés dans les jardins de l’hôtel pour déguster des glaces italiennes. Petit coup de freezer dans un atmosphère en surchauffe. Le staff se retrouve un cornet à la main. Instant de détente. Le coup de chaud, c’est pour demain.
Texte Gilles Bertrand