A 34 ans, Mehdi Akaouch, sous les couleurs de l’AS Pierrefitte s’est construit un solide palmarès autant en cross que sur piste et sur route avec notamment trois podiums nationaux en 2015. Mais on connait moins Mehdi Akaouch l’éducateur et son engagement dans la cité des Fauvettes – Joncherolles comme responsable d’une association qui vient en aide aux jeunes de ce quartier en crise. Rencontre.
« Bonjour les enfants. Vous enlevez montres, lunettes, tout ce qui blesse ». Il est 9h 30, salle Joliot Curie. Une classe quitte les lieux, une nouvelle arrive, des CE1. Garçons, filles, ils sont 22 à se ranger devant l’éducateur sportif.
Mân l’instit se met à l’écart, il observe. Dans cette école primaire de Pierrefitte, il s’agit de son premier poste après avoir été, sept années durant, militant dans une association berbère du 20ème arrondissement. Son engagement politique auprès des Verts, il n’en fait pas mystère. La question est donc naturelle : « Devenir instit était-ce une vocation ? Il répond : « C’est un engagement ». Pourquoi le 93 ? « je l’ai choisi, le 75, tout est trop lisse ».
Autour des tapis installés en carré dans ce gymnase froid comme le marbre, Mân tourne et observe l’éducateur. La séance, c’est jeux d’opposition, une forme d’initiation à la lutte, à l’esquive. L’instit intellectualise : « C’est bien pour la notion de contact, de toucher, le côté garçon – fille ». Les enfants, ils sont turcs, bulgares, marocains, congolais, l’éducateur, c’est Mehdi Akaouch.
Mehdi, il saute, il court, il monte les genoux. Il s’arrête, il répète, les mains dans le dos : « Tu sais pas compter ? Y’en a qui savent pas compter ici ? ». Les gamins se réchauffent vite, Mehdi court encore, il saute encore, il monte encore les genoux : « Toi, on t’a dit de prendre un ballon ? Eh ! Vous ne connaissez pas les couleurs ? » L’heure passe vite. Les combats, les joutes, les duels sont sans violence. Garçons contre garçons puis garçons contre filles. Une grande rechigne et se tient à l’écart. Cas pratique de l’acceptation de l’autre, du refus de l’autre. Mehdi explique : « Il faut se mettre à leur place. Ils vivent parfois dans un F2, ils sont cinq enfants. Le père est peut-être polygame. Ici, ils peuvent se libérer ».
Mehdi Akaouch est né dans le 18ème. Un père agent d’entretien chez Chevigon puis chez Ventilo, rue du Louvre, une mère femme de ménage. Ils se sont connus à l’hôpital, par le plus curieux des hasards, le père opéré du coeur, la mère opérée du foie, des mois de convalescence en commun. Mehdi passe un BEP compta. A 17 ans, il a déjà tiré sur les cordages pour quitter le modeste appartement familial. Il bosse, il « ride » de cité en cité et enchaîne les missions d’intérim. Il courbe l’échine. Le plus souvent dans la manutention et le travail à la chaîne comme chez GEFCO à St Ouen l’Aumône un sous-traitant de PSA. « Je vivais à gauche, à droite ». Il passe un BAC logistique mais les petits boulots demeurent son quotidien. Il y a un côté besogneux, effarouché et prolétaire. Mehdi lève la main et pince l’index avec son pouce pour dire : « J’ai une pile comme ça de fiches de paie ».
Mehdi Akaouch brûle également ce trop plein d’énergie en tapant dans le cuir, le foot, pour les copains, pour l’union d’un groupe. Première course, le hasard, Hicham Denouni un copain lui dit : « allez viens ». C’était à Cergy, sur 10. Il faut toujours une, des rencontres pour jalonner un parcours de vie. Sur cette nouvelle route, il sympathise également avec Jean Luc Jarvis, c’est l’un des piliers de l’AS Pierrefitte dans le 93. Il sera son premier contact avec la banlieue Nord. Il raconte : « Un jour je faisais les soldes à St Denis à la Porte de St Ouen. Je reçois un coup de fil de Lahcen Salhi. Il me demande : « Allez viens faire un test ». C’est comme cela que Youssef Louachi m’a pris dans son équipe ». Les premiers résultats n’attendent pas. Mehdi remporte une première sélection espoir sur semi marathon en réalisant 1h 08’13’’. Déterminisme ou libre-arbitre ? Les terminus sont à fuir. Mehdi Akaouch frappe à la porte d’un tout autre destin. Le banlieusard pas encore tailladé au sang par le quotidien, se laisse convaincre, son avenir, ce n’est pas l’usine. Il passe ainsi le BPGEPS et devient éducateur. Dans quelques semaines, douze ans après avoir dirigé sa première classe, il sera titularisé. Il argumente : « En me levant le matin, je peux me dire que j’ai un travail à vie ».
Il est 11h 30, Mehdi en termine avec sa troisième classe de la matinée. Une heure de hand ball, une heure à courir, à sauter, à cloche pied. Il range les tapis dans un vestibule noir comme la suie. Le gymnase retrouve le silence. Le temps des confessions ? Pas de rime, ni synonyme, il parle vite, son débit est à la kalach : « Il y a ceux qui sont détachés, il y a ceux qui sont salariés mais qui ne travaillent pas, il y a ceux qui sont toute l’année en stage… » La liste est longue. Mehdi Akaouch n’est pas un privilégié. Les cicatrices sont cachées, il n’en veut à personne ? Il assume ses choix même s’il en bave, même si parfois la « rage » l’emporte.
12 h, nous sortons du groupe scolaire. Nous saluons les gardiens du stade attenant, les saucisses grillent sur un tonneau. Les baguettes de pain déjà tranchées attendent sur un comptoir, le pot de moutarde aussi. On se cale dans la Mégane. Mehdi prend la direction des Joncherolles : « Au début, en arrivant ici, c’est Stéphane Machon qui m’a hébergé. Il valait 8’38’’ au steeple. C’était à côté de la boulangerie. Lui, c’était une joie de vivre. Un lève tard et un couche tard ». Nous tournons à gauche après la station de tram. Sur notre gauche, une petite zone commerciale, un garage, des enseignes tape à l’œil et le Panda Express, un chinois qui pour 10 euros nourrit le quartier. La cité des Joncherolles est face à nous, modeste. De la délinquance, oui mais moins à vif qu’aux Fauvettes. Mehdi s’y est marié avec Milouda, au bâtiment 3. Il précise : « je me plaisais aux Joncherolles ». Demi-tour, on croise la N1, nous pénétrons dans la cité des Fauvettes, deux barres de dix étages coincées entre le RER et la N1. « Tu as un Iphone ? Alors regarde sur Google ce que tu trouves sur les Fauvettes ». Trois titres « La descente aux enfers »… » « Lynché parce qu’il venait d’une autre cité »… » « Vivre aux Fauvettes, c’est pas une vie ». Mehdi roule au pas, le goudron est défoncé. Il baisse la vitre, il interpelle le facteur : « Alors tu as que des factures ?». Etat de siège, toutes les boîtes aux lettres sont éventrées, les vitres brisées, les portes défoncées. Nous avançons. A la porte 3, la chaise du dealer, le vélo du dealer, un gros bonnet sort la tête au bruit de voiture, inquiet. A gauche une grosse Audi immatriculée en Allemagne : « Faut bien ramener la marchandise ». Des détritus au sol lancés des étages. A droite, sont garées les voitures volées, à deux pas, c’est l’école Anatole France, Mehdi commente : « Les enfants, ils n’ont que cinquante mètres à faire. Les problèmes de la cité, ils arrivent avec à l’école ». Comme le chante le rappeur Faken « ici, on vit dans la folie ».
Mehdi Akaouch est devenu président de l’association Espoir Fauvettes Joncherolles. « Par devoir ? » Il répond : « Par obligation ». Il explique : « Je vis au quartier. J’étais le lien, par défaut. On faisait toujours appel à moi pour avoir du boulot, pour avoir un créneau de gymnase. J’ai donc créé l’association en 2011 ». Pour l’aide au devoir, pour les cours de salsa, pour aider les jeunes en quête d’un BAFA, d’un stage « L’autre jour, j’étais au Franprix, on m’interpelle « Dis tu as pris Moussa en stage, tu ne peux pas me trouver un travail ? Moi, je prends les plus sérieux. L’autre fois, c’est un gars avec un bracelet à la cheville qui voulait travailler avec les enfants..». Sur son Iphone, Mehdi est fier de balayer du doigt les photos prises lors d’un tournoi de football organisé à Barcelone, un projet qu’il a défendu et « vendu » auprès des élus de Pierrefitte. Il ajoute : « Ici, tu achètes des ballons pour le footsalle, une sono, des chasubles, mais c’est énorme pour ces gamins ».
Le rappeur Swift Guad dit : « Quand je suis au travail, je ne suis pas le rappeur, je suis l’animateur ». Mehdi pourrait calquer cette phrase à l’identique : « Lorsque je travaille je ne suis pas coureur, je suis l’éducateur ». Preuve en est, les propos de Nâm, l’instituteur rencontré le matin : « Je ne savais même pas qu’il était un bon coureur ». Skalpel, un autre rappeur dit : « Je bosse 40 heures pas semaine, pour la musique, il faut une vraie discipline ». Quant à Brav, question boulot il ajoute : « Je ne vais pas prendre de risque avec le rap, j’ai des bouches à nourrir ». Cela ressemble à la vie de Mehdi Akaouch le coureur. Son mariage, les deux enfants, les frères et les cousins à soutenir, les permis de conduire à payer, les choix se sont imposés. Mehdi le coureur a courbé l’échine, dans l’attente de se faire un blaze.
En posant son sac de sport à Pierrefitte, on le surnomme, Mehdi2blocs : « J’étais toujours fatigué, toujours malade. Si j’avais 10 fois 400 à faire, je coupais la séance en deux ». Avec le mariage, il se stabilise, les enfants naissent, l’entraînement se structure, ainsi débute une vie plus équilibrée. Les perfs arrivent, 1h 04’56’’ sur semi et 29’21’’16 sur 10 000 et sept podiums lors des championnats de France dont trois l’an passé sur 3000 en salle puis sur 10 000 et 10 km. Lorsque le club se scinde en deux, au cœur de ces turbulences, il hésite mais « L’AS Pierrefitte, c’est mon club de coeur » et Slim Ghomrasni, formé lui aussi au club devient son entraîneur. Comme directeur des sports à la ville de Pierrefitte, c’est également son patron. Une insertion réussie, un exemple légitimé, des diplômes en poche, il est resté à la cité, il s’en est « sorti ».
Nous nous donnons rendez vous le soir au coin de la rue Armand Brette. Comme repère, une boulangerie, dans la vitrine des éclairs au chocolat rangés comme des petits soldats. Mehdi en a fini de sa journée, l’après midi, il l’a passée dans une école des quartiers Nord, à courir, à sauter, à cloche pied…encore ! Il s’excuse : « J’ai dû aller au Franprix, c’est vendredi, c’est jour de couscous, on a des invités ce soir ». On file dans la nuit. Pierrefitte vire au cauchemar, saturée, asphyxiée par le trafic automobile. Mehdi parle des J.O., un rêve, sur marathon ? Il va tenter, dernier ticket, dernière chance en ce printemps. Il parle aussi des contrôles anti dopage. A chaque course, l’AFLD le cueille à la sortie des couloirs. Il dit : «Je suis ciblé ». On parle politique, la nuit défile, des ombres sur les trottoirs, des BM trop luxes pour le quartier, la pluie pisse du vinaigre, Kerry James chante « On fera tout pour qu’il y ait un jour après la pluie ». Mehdi précise : « Non, moi je ne fais pas de politique. Je ne veux pas. Ce sera pour après l’athlé. Je vais m’investir à fond. J’aimerais récupérer la Maison de la Culture. Avoir deux ou trois ordinateurs, pour les CV des jeunes ». Il ajoute les deux mains sur le volant : « Ya toujours un truc à faire, ca toque tout le temps à la porte, un truc, un autre, je ne peux pas tout faire, je ne peux pas me diviser en 40 ». On approche de la station de tram, face à la cité des Fauvettes. Au feu rouge, il raconte : « Quand je jouais au foot, je me cachais pour ne pas courir. L’autre jour, j’ai revu mon entraîneur dans un centre commercial. Il m’a demandé : « Alors t’en es où ? ». J’ai répondu : « Je cours ».
> Texte et photos Gilles Bertrand