Travis Tygart, le patron de l’agence anti-dopage américaine, est en guerre ouverte contre l’Agence Mondiale Anti-Dopage, et agite le refus des Etats-Unis de payer leur contribution à l’AMA si les réformes n’évoluent pas à leur souhait. En parallèle, le boss US n’hésite pas à vitupérer les règles anti-dopage qui amèneraient, selon lui, des athlètes innocents à être déclarés positifs. Et pour étayer cette position très détonante, il s’appuie sur le cas de la demi-fondeuse Brenda Martinez.
Une demi-fondeuse dépressive, Brenda Martinez. Un diurétique dissimulé dans son anti-dépresseur. Un patron de l’anti-dopage américain, tour à tour, menaçant et compréhensif. L’anti-dopage américain a créé sa propre recette.
Avec en guest star, Travis Tygart, le directeur de l’USADA, qui se place en guerre ouverte contre l’AMA, l’Agence Mondiale Anti-Dopage, qu’il veut pousser à des réformes plus rapides. Et pour appuyer ses propos, Travis Tygart n’a pas hésité à agiter une nouvelle fois la menace de refuser le paiement de la contribution des Etats-Unis à l’AMA. A la base, une idée très simple : les USA sont le principal financeur de l’AMA, avec 3 millions de dollars, sur un total de 40 millions de dollars, et l’instance mondiale n’a qu’à obéir à leurs ordres pour recevoir son argent…
Toutefois Witold Banka, qui dirige l’agence mondiale, n’est pas décidé à se laisser diriger par Travis Tygart. Les deux hommes se sont livrés à une belle passe d’armes par médias interposés pour se vitupérer l’un l’autre. Witold Banka a ainsi insisté que Travis Tygart ne parle pas au nom du Gouvernement US.
Malgré tout, la menace est sérieuse, avec un bureau anti-dopage à la Maison Blanche avide de voir les choses évoluer au niveau de la gouvernance de l’AMA, pour diminuer le nombre de représentants du mouvement olympique et des autorités publiques et pour les remplacer par des athlètes et experts anti-dopage. L’idée est séduisante, avec en filigrane la recherche de plus d’indépendance dans la lutte anti-dopage, et donc d’efficacité.
L’USADA est-elle si exemplaire ??
Or justement sur ce plan de l’efficacité, l’USADA n’apparaît pas vraiment comme une référence. D’abord par l’exemption de plusieurs sports professionnels d’importance (base ball-basket) de son champ d’action. Ensuite par son orientation très forte vers la « traque » de sportifs plutôt amateurs, et qui pointent souvent dans la catégorie des « vieux » sportifs, et également un vrai activisme dans des sports tout de même mineurs, comme les arts martiaux.
Ainsi un inventaire précis des décisions de l’USADA depuis janvier 2020 dévoile un total de 84 cas traités, incluant 33 cas relatifs aux arts martiaux, et 23 à l’haltérophilie. Concernant les sports « majeurs », que sont l’athlétisme et le cyclisme, on dénombre 6 athlètes et 9 cyclistes. A noter que la moitié de ces cyclistes dépasse les 50 ans, avec même une suspension d’une octogénaire, Barbara Gicquel, 80 ans pour l’utilisation de methyltestostérone, malgré la fourniture a posteriori d’une AUT…
Côté athlétisme, point de nom très percutant, même si Ridouane Harroufi, qui a reçu 8 ans pour une 2ème violation, cette fois aux anabolisants, comptait parmi les habitués des victoires dans les courses sur route aux Etats-Unis, et que Kévin Castille compte un titre de champion US sur 10 km, mais chez les masters, puisqu’il a 48 ans !
L’analyse des décisions démontre aussi des « acquittements » à répétition, avec à 6 reprises des contrôles positifs qui n’ont pas été suivis de sanction. Comme pour la boxeuse Virginia Fuchs, où l’on avait retrouvé du GW1516, la softballeuse Madilyn Nickles, avec du LGD 4033, le triathlète paralympique Jamie Brown, et l’archer Brady Ellison, tous les deux pour de l’Hydrochlothiazide, et en athlétisme, Justin Phongsavanh, un paralympique, et donc dernièrement Brenda Martinez.
Car l’USADA a estimé que les substances interdites découvertes dans les échantillons avaient en réalité absorbées par les sportifs de manière accidentelle, à travers de la viande, de l’eau, ou un médicament contaminé, ou dans le cas de Virginia Fuchs, par le sperme de son compagnon, qui suivait un traitement médical à base de Letrozole et GW 1516.
Brenda Martinez, innocentée du diurétique
L’affaire de Brenda Martinez se situe dans cette droite ligne. La demi-fondeuse, vice-championne du monde en 2013 sur 800 m, avait été positive en septembre à l’Hydrochlorothiazide, un diurétique sur la liste des dopants, pour sa capacité à masquer la prise de produits « lourds ». Mais elle a finalement reçu le quitus après avoir démontré que ce produit était en réalité présent dans l’anti-dépresseur qu’elle utilisait pour souffrir d’une grave dépression depuis les JO de Rio 2016, où elle avait connu un grave échec.
Avant elle, d’autres sportives positives à cette molécule avaient connu la même mansuétude. La gymnaste Kristen Shalbydin, pour l’avoir ingérée par l’eau du robinet, la hurdleuse Dawn Harper Nelson, parce qu’elle lui avait été prescrite pour soigner une crise grave d’hypertension.
Travis Trygart a profité du cas de Brenda Martinez pour sonner la charge contre l’agence mondiale : « De plus en plus d’athlètes innocents sont en contact chaque jour avec des sources très communes qui les rendent positifs, qu’il s’agisse de viande ou de médicament autorisé. Ils sont les victimes du système ». Et de soutenir aussi que ces substances ainsi découvertes n’avaient en réalité aucun effet sur la performance.
Une approche surprenante pour un membre actif de l’anti-dopage, car si l’hydrochlorothiazide figure sur la liste des produits interdits, c’est parce qu’elle peut être utilisée pour augmenter le volume d’urine et permettre ainsi d’évacuer plus rapidement n’importe quelle substance lourde présente dans l’échantillon. Ce que les spécialistes appellent le « washing », et toujours très pratiqué en urgence, en cas de notification d’un contrôle.
Mais en arrière-plan de tout ce mouvement, planent de sérieux enjeux, autour du Rodchenkov Act, la loi promulguée par les Etats-Unis et qui permet à la justice américaine de poursuivre à travers le monde entier une personne impliquée dans une affaire de dopage internationale.
Cette loi signée par Donald Trump très peu de temps avant sa fin de fonction inquiète vivement l’Agence Mondiale Anti-Dopage, qui y détecte le risque d’une diminution de ses prérogatives. Et le gendarme mondial de l’anti-dopage n’a évidemment pas l’intention de laisser les Etats-Unis lui voler ce rôle…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.