Au Championnat de France de cross, les triathlètes ont mené la vie dure aux « pures » athlètes en s’illustrant sur la course juniors filles, où les adeptes du triple effort raflent les quatre premières places, dans la foulée de Cassandre Beaugrand.
Le one woman show de Cassandre Beaugrand a été spectaculaire, elle a dominé outrageusement du premier au dernier mètre, à l’identique de l’année dernière, avec le même verdict final, le titre, chez les juniors cette fois après celui des cadettes. D’entrée, ses sensations se sont révélées tellement bonnes qu’elle n’a plus eu qu’une seule idée en tête, gérer sa course, se faire plaisir.
Sur ce parcours difficile par cette boue parsemant le parcours, Cassandre Beaugrand a donné le ton, et drainé dans sa foulée trois autres adeptes du triple effort. Célia Brémond, Lucie Picard, Jeanne Lehair ont damé le ton aux « pures » athlètes.
Pourquoi une telle domination ? Parce qu’elles travaillent plus. Comme l’avoue Pascal Machat, responsable national du demi-fond jeunes : « Il n’y a pas de secret. » L’entraînement puissance trois bénéficie aux performances en athlétisme, par le volume horaire qu’il exige, et par les bienfaits physiologiques qu’il procure.
Pour Pascal Machat, l’impact essentiel provient de la charge de travail absorbé par les jeunes triathlètes. Et il souligne combien pour lui, les jeunes filles assument un entraînement trop réduit par comparaison aux garçons du même âge. A raison d’en moyenne 4 fois 12 km par semaine, elles seraient ainsi très loin des 100 km au menu hebdomadaire des juniors masculins.
Mais ce technicien a aussi pris le temps de compiler des informations sur les volumes d’entraînement de filles d’autres nations. Avec ce verdict qui claque : « La comparaison avec les charges d’entraînement des Américaines, Britanniques, Polonaises, montre qu’elles sont inférieures en termes de séquences, de temps de soutien, de volume. »
Avec triple menu hebdomadaire, les triathlètes sont moins parcimonieuses que les athlètes et les résultats suivent. Egalement parce que les trois sports présentent des similitudes physiologiques, que Pascal Machat résume d’une formule simple : « L’athlétisme, en fait, c’est un moteur à entretenir. » Et natation, vélo et course à pied ont le même fonctionnement énergétique, pour augmenter le niveau en aérobie.
Et Pascal Machat de conclure : « Ces exemples nous obligent à nous poser des questions, sur les bienfaits des sports portés. »
Le travail d’aérobie en vélo et natation
L’analyse de Laurence Vivier, ancienne athlète de haut niveau, et référente demi-fond jeunes à la FFA, n’est guère différente, et elle aussi insiste sur l’apport en aérobie de la quantité d’entraînement effectué par les triathlètes : « Ces filles ont souvent débuté depuis minimes. La natation et le vélo ont augmenté leur capacités ventilatoires et cardiaques. »
Laurence Vivier a bien perçu également la dimension mentale qu’apporte une préparation à trois temps, et surtout le vélo : « On est souvent dans le dur. Dans les côtes, on doit s’accrocher. Cela apprend à ne pas lâcher dans la difficulté. »
La démonstration avait déjà été brillante lors du Championnat d’Europe de l’hiver dernier, où Cassandre Beaugrand avait terminé 7ème, Célia Brémond, 17ème et Lucie Picard, 22ème, après une course menée là aussi sur un terrain difficile.
Sur un plan technique, Laurence retient surtout de l’entraînement croisé que le travail aérobie s’effectue en vélo ou natation, et le travail de qualité en course à pied. D’où un avantage énorme, celui de diminuer les impacts. Or cette experte es jeunes a appris à travers les années qu’une fragilité osseuse avec fractures de fatigue survient souvent suite aux chocs enregistrés sur des athlètes qui ont perdu poids et masse grasse.
Elle pointe aussi du doigt l’intéressant gain musculaire qu’apporte le vélo, pour une puissance plus forte et une solidité accrue des membres inférieurs. Ainsi que l’avantage de la variété qu’apporte le mélange des sports : « Cela permet de garder la motivation. »
A les côtoyer en stages ou compétitions, Laurence a aussi appris à détecter les qualités exceptionnelles qu’exige la mixité triathlon-athlétisme : « Ce sont des filles très organisées, très rigoureuses. Surtout qu’elles sont souvent brillantes. Elles savent ce qu’elles veulent. »
Attention aux excès !
Du coup, elle a également identifié les aspects plus sensibles d’une telle pratique. Elle s’interroge par exemple sur les marges de progression pour des juniors déjà engagées sur de gros volumes, mais cette mère de trois enfants se questionne surtout les exigences requises pour de tels résultats : « Attention aux excès ! A 14-15 ans, elles sont déjà immergées à fond dans le sport. Ce sont des choix lourds sur la durée. Mener sport et études en parallèle, ce n’est pas facile. Tant que c’est enrichi par des sélections, ça va. Cela peut être plus compliqué à la transition espoir/senior. »
Laurence a vu évoluer Cassandre Beaugrand depuis la catégorie cadettes, pour l’avoir accompagnée aux FOJE, les Jeux Olympiques Européens à Utrecht, où elle avait terminé 2ème sur 1500 mètres, quasiment pour ses débuts sur cette distance. Elle l’a également accueillie en stage régional ou encore lors du Championnat d’Europe de décembre 2014.
Elle a pu observer le grand potentiel de la toute jeune athlète : « Elle fait une séance, ça a de la gueule ! » Cassandre est entraînée par son père, connaisseur de l’athlétisme pour avoir déjà supervisé dans le passé l’entraînement en jeunes catégories de Nordine Smaïl. Il rend compte régulièrement à Laurence de la préparation suivie par sa fille, et elle souligne une chose importante : « Elle ne fait pas beaucoup de séances en athlétisme, c’est toujours du travail de qualité. »
Mais surtout, à côtoyer la jeune Monégasque, Laurence Vivier a bien appréhendé son exceptionnel mental : « Elle a de la fraîcheur. Elle a envie. Elle n’est pas saturée. »
A peine l’arrivée franchie que Cassandre le démontre. Elle s’esclaffe presque lorsqu’on lui suggère qu’elle aurait pu se contenter de gérer son avance, sans creuser un tel écart. Elle avoue aussi d’avoir gardé de l’énergie sous le pied dans l’optique de son prochain triathlon qu’elle courra une semaine plus tard, et où elle voudrait briller. Et ses yeux s’illuminent avec éclat en évoquant le rendez-vous du Championnat du Monde de cross, elle rêve déjà de se rendre en Chine !
Elle pourrait y être accompagnée en Equipe de France par ses copines triathlètes, Pascal Machat envisageant de retenir pour la Chine les quatre premières du France. A une seule condition, que Célia Bremont accepte cette sélection. Mais ce Mondial de cross vient en concurrence avec une autre compétition sur triathlon que la jeune sociétaire de Grasse a prévu une semaine avant.
Car pour ces surdouées du sport, les rendez-vous s’enchaînent sans discontinuer, et les choix se révèlent parfois douloureux…
Texte : Odile Baudrier
Photos : Gilles Bertrand