Des auditions des protagonistes de l’affaire Ophélie Claude Boxberger se sont succédées au siège de l’AFLD ces deux dernières semaines. Jean-François Pontier, Alain Flaccus, Sylvie Claude, la mère d’Ophélie, Jean-Michel Serra, ex-médecin de la FFA, et compagnon d’Ophélie, et Ophélie, elle-même, y ont défilé pour confirmer leur version des faits dans cette histoire tortueuse.
Ils sont venus, ils sont tous là. Mais pas en même temps. C’est à tour de rôle que les protagonistes de la ténébreuse affaire Ophélie Claude-Boxberger ont rencontré Mathieu Teoran, le secrétaire général de l’AFLD, Antoine Marcelaud, le responsable du département juridique et Damien Ressiot ou son assistant, du département des investigations. Selon une méthode déjà utilisée depuis un an lors d’autres contrôles positifs, comme pour le cas de Clémence Calvin. Les PV de ces auditions, soigneusement paraphés et signés par chacun, figureront dans le dossier présenté aux quinze membres de la Commission des Sanctions chargés de décider de la sanction.
Une décision qu’Ophélie Claude-Boxberger espère la plus rapide possible, comme elle me l’a confié à sa sortie de cette audition, avec en ligne de mire les JO de Tokyo, qu’elle s’évertue à conserver en objectif. Le visage défait, la jeune femme a souligné que cet entretien avait été difficile, car l’amenant à revenir sur les faits d’attouchements sexuels dont elle incrimine Alain Flaccus durant sa jeunesse.
Alain Flaccus renouvelle ses aveux
Alain Flaccus a lui aussi accepté d’être auditionné par l’AFLD. Il escompte visiblement que ses aveux permettent à Ophélie d’obtenir une sanction réduite. Selon nos informations, le beau-père, reconverti en « assistant sportif » cet été, a confirmé ses effarants aveux, dévoilés d’abord aux enquêteurs de l’OCLAESP puis au journaliste de l’Est Républicain, à savoir une injection d’EPO à l’insu de la jeune femme, avec l’objectif de nuire à Jean Michel Serra, son néo-compagnon, et ex-médecin de la FFA. Mais l’idée même d’une « pulsion » comme il qualifie son geste ne colle pas vraiment avec les aspects pratiques exigés, et beaucoup de questions demeurent sans réponse, dans l’attente des résultats de l’enquête des gendarmes de l’OCLAESP. Avec bien sûr aussi, le grand point d’interrogation sur l’inconscience d’Ophélie durant cette injection, assommée, affirme-t-elle, par les anti-dépresseurs et anxioylitiques qu’elle utilise pour calmer ses angoisses consécutives à cette violence sexuelle.
Durant son audition, Ophélie Claude-Boxberger m’a expliqué avoir interpellé ses interlocuteurs sur ses passeports biologiques, en leur soutenant : « Jamais je n’ai d’irrégularités. Vu le nombre de contrôles, vous pouvez retracer semaine par semaine. Vous pouvez voir que je n’ai jamais triché. Le max d’hématocrite c’est 44. Et en général, j’ai 40. » Et toujours selon Ophélie, l’équipe de l’AFLD ne lui aurait fait aucune remarque sur d’éventuels problèmes constatés sur ses passeports.
Un argument choc à manier avec précaution, car à ce stade, l’AFLD demeure très discrète sur les éléments opposables à la défense de l’athlète, s’agissant d’une phase de simple collecte d’informations. Ophélie m’a d’ailleurs confirmé que son avocat, présent durant l’audition, n’est intervenu à aucun moment durant sa déposition.
Les analyses du passeport biologiques décortiquées
Autre point à prendre en compte, celui du grand nombre de contrôles subis avancé par Ophélie. : tous ne rentrent pas dans le passeport biologique, qui exige pour alimenter le module hématologique, une analyse sanguine effectuée dans un cadre très strict (temps de repos de deux heures avant le contrôle lorsqu’il suit un entraînement ou une compétition, pas d’hydratation excessive pour conserver une bonne densité de l’échantillon). Or la plupart des contrôles en compétition se limitent à des prélèvements urinaires utilisables pour détecter un contrôle positif et alimenter le module stéroïdien du passeport, mais non exploitables pour le module hématologique du passeport biologique.
Toutefois, il suffit en réalité d’un petit nombre d’échantillons pour déceler des anomalies sur le module hématologique, s’appuyant dans la majorité des cas sur les taux dits du « OFF SCORE » et des réticulocytes, qui permettent de vraiment distinguer à travers les mois et les années les dérives éventuelles, comme on a pu le découvrir dans de nombreuses sanctions décidées par l’AIU.
Une nouvelle fois, Ophélie Claude-Boxberger avance l’excès de contrôles anti-dopage qu’elle connaîtrait depuis plusieurs années, et qui avait amené le Docteur Jean-Michel Serra à interpeller l’AFLD en novembre 2018 pour inciter l’agence à diminuer ses prélèvements, compte tenu des problèmes de santé invoqués par Ophélie.
Beaucoup de contrôles, car beaucoup de compétitions
En ce début 2020, Ophélie soutient regretter sa fausse analyse de l’époque : « J’aurais dû me dire que j’avais plus de contrôles tout simplement car je faisais plus de compétitions ! Cela aurait évité que Jean-Michel écrive à l’AFLD, et toute cette histoire. » Avec en filigrane, l’interrogation de savoir si le docteur Serra agit alors en simple médecin de la FFA, ou déjà en compagnon de la jeune femme ?
Dans son argumentaire auprès de l’AFLD, le Docteur Serra faisait état des hémorragies gastriques, dont l’athlète souffrirait déjà à l’automne 2018, et qui l’auraient amenée l’été dernier à l’hôpital à St Etienne à l’arrivée du Championnat de France (avec du sang partout, explique-t-elle, en montrant ses cuisses), et à nouveau connues à la fin de son stage à Font Romeu. D’où la prise de sang effectuée à son retour d’altitude, à Montbéliard, et justement la veille du contrôle positif du 18 septembre.
Et c’est cette prise de sang qu’elle évoque dans le sms adressé à Jean François Pontier, où elle l’informe de son contrôle anti-dopage du matin,
avec ce commentaire : « En plus, il était là. Et d’après la prise de sang d’hier, il m’a dit que j’étais dans la merde. » Un échange qui surprend puisque Jean-François Pontier est accusé d’harcèlement psychologique à l’encontre de la jeune femme par Jean-Michel Serra, et qu’elle semble pourtant se confier en toute confiance.
Mais comme elle me l’explique à sa sortie d’audition : «Le SMS est sorti de son contexte. » Elle confirme qu’elle parle bien de Jean-Michel Serra, car à chaque fois qu’elle a eu un contrôle inopiné, il était là, que ce soit en août au restaurant à Font Romeu, ou pour les deux contrôles à son domicile. Elle souligne : « C’était le hasard ». Et oui, elle a bien écrit qu’elle est dans la merde : parce qu’elle a perdu du sang, à cause d’une hémorragie gastrique 3-4 jours avant, et qu’elle avait vu sur l’analyse que les paramètres sanguins avaient un peu bougé.
Un massage qui se transforme en injection d’EPO
Pourtant, durant son long stage à Font Romeu, Ophélie Claude-Boxberger le reconnaît, les hémorragies gastriques avaient été peu fréquentes, elle se plaint plutôt des douleurs consécutives à son tendon fissuré et à des problèmes aux ischios. La fin de stage avait été plus que compliquée, à la suite d’une chute survenue sur une barrière durant son ultime séance menée devant Jean-François Pontier et Alain Flaccus.
Elle aurait alors cherché conseil auprès d’un kiné français s’occupant de l’équipe de Suède de duathlon, qui l’avait examinée à leur résidence commune. Ce serait donc immédiatement après qu’elle ait consulté ce kiné, qu’elle aurait demandé à Alain Flaccus de la masser. Elle offrait ainsi à son beau-père une occasion quasi-inespérée de concrétiser cet étrange plan, d’une injection d’EPO à son insu. In-extremis puisque son départ de Font Romeu était prévu le lendemain, et qu’elle s’envolait une semaine plus tard pour Doha….
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : G.B.