Comme l’ensemble des présidents de Fédérations Sportives françaises, Bernard Amsalem et André Giraud ont été appelés en audition devant la commission d’enquête parlementaire débutée en juillet pour établir un état des lieux des disfonctionnements des Fédérations sportives. Les questions des député.es se sont concentrées sur les faits de violence sexuelle, en particulier autour des cas d’Emma Oudiou et de Claire Palou, qui avaient elles même témoigné devant la commission. La tension a été forte durant ces deux auditions, entre Béatrice Bellamy, la présidente, Sabrina Sebaihi, la rapporteuse, le député de Vendée, Stéphane Buchou, et l’ex président Amsalem et actuel président Giraud, poussés dans leurs retranchements.
Le monde du sport découvre tout à coup la réalité d’une commission d’enquête parlementaire. Et le moins qu’on puisse dire est que le choc apparaît fort, et même violent ! Les présidents des différentes Fédérations Sportives n’apprécient pas de voir leurs actions passées au crible par des député.es motivé.es à découvrir les actes manqués et autres turpitudes qui ont conduit le sport français dans des errements choquants, entre violences sexuelles, discriminations racistes, abus de pouvoir, corruption, harcèlements moral et sexuel…
David Lappartient en colère, Sabrina Sebaihi menaçante
Le premier à s’être ému du traitement ainsi fait aux dirigeants du sport français n’était autre que le plus puissant d’entre eux, le président du Comité Olympique Français. David Lappartient n’a pas dissimulé sa colère, estimant probablement pouvoir ainsi influer sur l’état d’esprit de cette commission.
Mais Sabrina Sebaihi, la rapporteuse, députée Europe Ecologie, affiliée Nupes, et à l’origine de la création de cette commission, n’a rien lâché. Au contraire, elle a su exploiter tous les manquements constatés dans les déclarations de divers dirigeants, menaçant même de dénonciation au parquet pour parjure, plusieurs dirigeants, dont Gilles Moretton, président du Tennis. Egalement dans l’œil du cyclone, Ghani Yalouz, ex-patron de l’INSEP. Car la Commission exige que les personnes prêtent serment de dire la vérité.
Ghani Yalouz, un petit mensonge sur Teddy Tamgho
Pour l’athlétisme, les choses avaient commencé à déraper justement avec cette intervention de Ghani Yalouz. L’ex DTN de l’athlétisme, entre 2009 et 2017, puis patron de l’INSEP entre 2017 et 2021, va se prendre les pieds dans le tapis sur les questions posées par Sabrina Sebaihi, autour du traitement de faveur réservé à Teddy Tamgho, durant sa suspension pour dopage. Il multiplie les contrevérités, affirmant ne pas avoir été informé de cette suspension lorsqu’il accrédite Teddy Tamgho pour le Mondial des Jeunes en 2014. Les éléments factuels le contredisent pourtant, avec un PV du Comité Directeur du 17 juillet 2014 où il assume ces passe-droits et s’oppose en frontal à Daniel Arcuset et Odile Diagana, qui s’en offusquent !
Les passes d’armes concernant l’athlétisme vont encore monter d’un cran au matin du jeudi 2 novembre avec les auditions de Bernard Amsalem et André Giraud.
Bernard Amsalem, la négation des agressions sexuelles
Bernard Amsalem débarque auréolé d’un mandat de 16 ans à la tête de la Présidence de la FFA, entre 2001 et 2016, membre du CNO, de World Athletics, et d’élu municipal. Autant de casquettes qui lui ont conféré un statut de notable du sport, et peu habitué à la contradiction. Les choses vont très vite déraper avec son hostilité affichée à la commission. Béatrice Bellamy et Sabrina Sebaihi, concentrent alors les échanges sur les cas de violence sexuelle observés pendant les 4 mandats de Bernard Amsalem, qui concède seulement deux cas, concernant des athlètes régionales, et qu’il soutient avoir traité au mieux, en incitant les familles à porter plainte. Quid du traitement fédéral ? Les choses apparaissent peu claires. On est très loin des propos d’un ex-DTN qui m’avait expliqué en août 2020 : « Ces dernières années, on a poursuivi beaucoup plus de personnes sur des faits qui n’étaient pas poursuivis avant. Un athlète a été poursuivi car il avait coincé contre un mur une athlète pour l’embrasser. Dans le passé, ces choses se réglaient entre quatre yeux, là, on a choisi de poursuivre en commission de discipline. »
Mais Bernard Amsalem revendique avec force, et à juste titre, la création du Comité Ethique chargé justement des décisions disciplinaires dans tous les cas de violence, sexuelle, physique… et estime ainsi avoir « fait le job ».
André Giraud, un bilan fort de 35 cas de violences sexuelles
André Giraud poursuivra dans cette dynamique, en avançant la totale indépendance de ce comité Ethique formé de juristes professionnels et de connaisseurs de l’athlétisme. Pour André Giraud, la preuve de l’engagement de la FFA dans l’action contre les violences sexuelles se résume avec un chiffre, celui de 35 cas gérés par la FFA.
Et il vrai que ce Comité statue en permanence, comme l’atteste la liste des décisions prises depuis 2018 publiée sur le site de la FFA. Avec parfois des sanctions lourdes, comme l’interdiction de licence pendant 40 ans, ou à plusieurs reprises pour 15 ans. Mais toujours dans le strict anonymat des personnes ainsi condamnées, ce qui limite évidemment la portée de l’application de ces suspensions, normalement intégrées dans le fichier géré par le Ministère des Sports.
Pourtant ces 35 cas vont finalement peu peser pour les trois députés présents, Béatrice Bellamy, Sabrina Sebahoui, Stéphane Buchou qui vont attaquer en frontal le Président Giraud sur les cas d’Emma Oudiou et Claire Palou.
Emma Oudiou et Claire Palou, les témoignages de victimes
Les deux jeunes femmes ont témoigné ensemble, le 7 septembre, devant cette même commission, et leurs propos ont largement mis en cause un certain laxisme de la FFA. Accusée par Emma Oudiou de n’avoir pas pris en compte sa première dénonciation des faits de violence sexuelle subie d’un cadre fédéral en 2014. Et par Claire Palou, de n’avoir pas été assez engagée à ses côtés, à la fois pour surmonter la dépression imputée à un surentraînement de haut niveau et à plusieurs agressions sexuelles, et pour l’épauler dans ses démarches contre son agresseur, un athlète de haut niveau.
Deux affaires évidemment très complexes, compte tenu du mélange qui règne entre les sanctions disciplinaires, les sanctions administratives, et les poursuites judiciaires. Sabrina Sebaihi a ainsi pu pousser André Giraud et surtout Souad Rochdi, la directrice générale de la FFA, à admettre une méconnaissance de la procédure applicable, tout en affichant une attitude très hostile, voire condescendante à l’égard des trois député.es..
Trois phrases donnent la teneur de la surtension des échanges. André Giraud qui clame « Oui ce sont des propos fantaisistes », pour qualifier les propos d’Emma Oudiou. Souad Rochdi, dans les murs de la FFA depuis très longtemps, d’abord en charge de la communication à l’époque Amsalem-Yalouz, puis à la Direction avec Giraud, incapable de confirmer les procédures et dates, et qui assène à Stéphane Buchou : « Une Fédération ne se limite pas à ses affaires judiciaires ». Et le député vendéen qui lâche : « Y a-t-il un pilote dans l’avion » en évoquant la direction de la FFA ???
Malgré tout, les observateurs attentifs auraient aimé entendre quelques questions posées sur d’autres volets, plus financiers comme dans le cas d’Eloyse Lesueur, plus liés au dopage, où la position fédérale n’a pas toujours été très claire pour certains athlètes, ou sur d’autres affaires sexuelles, celles qui n’existent pas car dissimulées à la faveur de pressions sur les athlètes ou de passe droits accordés…
Teddy Tamgho, un cas d’école des défaillances de l’INSEP et la FFA
Justement, revient alors le nom de Teddy Tamgho. Le traitement de faveur du triple sauteur n’a pas débuté en 2014 avec cet « oubli » de sa sanction pour dopage. C’est en 2008 que Teddy Tamgho se voit tout à coup contraint à quitter l’INSEP et à intégrer le centre de haut niveau de Boulouris.
Le directeur de l’INSEP de l’époque, Thierry Maudet, lui impose cet exil suite à des faits de violences. Une décision évidemment prise en concertation avec Bernard Amsalem, le président de la FFA de l’époque. Ce n’est pas inhabituel, comme me l’avait expliqué plus tard Jean Claude Vollmer, longtemps responsable du Haut Niveau à l’INSEP. Dans un passé pas si lointain (et peut-être encore d’actualité ???), les faits de violence de sportifs de haut niveau n’étaient pas dénoncés à la justice, pour éviter d’obérer leur avenir sportif et les chances de médailles de leur Fédération !
Ni vu, ni connu ? Teddy Tamgho a bien reçu le message. Quelques années plus tard, en 2011, à Boulouris, il réitère des actes de violence sur une jeune femme, Glodie Tudiesche, mais celle-ci refuse de garder le silence, ainsi que deux autres personnes également frappées. Les trois plaintes déposées se conclueront par 5000 euros de dommages et intérêts. Et du côté de la FFA ??? 12 mois de suspension dont 6 avec sursis pour lui permettre de disputer les JO de Londres, et 50 heures d’intérêt général.
En 2017, c’est un nouvel exil, vers Reims cette fois. Et ce départ est à nouveau lié à une explosion de violence, sur un salarié du Centre de Boulouris. Mais la FFA estime alors que l’affaire s’est produite dans un cadre privé, et qu’aucune sanction n’a à être prononcée, d’autant que l’enquête de police conclue à l’absence de poursuites. Après quelques années à Reims, on retrouvera Teddy Tamgho nommé comme prestataire de services officiel de la FFA, en charge du groupe d’entraînement sauts.
Sur la lancée, c’est sur le volet de l’anti-dopage que Teddy Tamgho bénéficie également de la protection fédérale, avec cet épisode 2014 peu glorieux où Président Amsalem, DTN Yalouz, DTN adjoint Gergès, Vice-président Gracia, et même Michel Marle, référent anti-dopage, soutiennent que des no shows ne sont pas du dopage !! Ce ne sera pas l’avis de l’Athletics Integrity Unit qui sanctionnera, bien trop tard, (en novembre 2022 !) Teddy Tamgho d’une année de suspension rétroactive (début en mars 2016) pour violation de sa suspension.
Autant de points précis qui démontrent, au minimum, le laxisme des présidents successifs de la FFA, qui ont montré plus de compassion à l’égard d’un Teddy Tamgho, violent, suspendu, qu’envers une Emma Oudiou ou Claire Palou ou d’autres jeunes femmes meurtries par les agissements d’une poignée d’entraîneurs ou d’athlètes qui dénaturent l’esprit du sport.
- Analyse : Odile Baudrier
- Photos : D.R.