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Les préleveurs anti-dopage vont-ils stopper les contrôles ?

Une tension forte règne entre l’Agence anti-dopage française et les préleveurs chargés d’effectuer les prélèvements des sportifs en vue de leur analyse. En cause, la refonte des rémunérations reçues pour ces prélèvements. Les préleveurs s’estiment lésés par le nouveau système. L’AFLD conteste. La lutte anti-dopage pourrait –elle être perturbée dans les semaines à venir ?

 

PRELEVEMENT SANGUIN

« Pouvez-vous me garantir l’anonymat ? Surtout ne citez pas de noms. » En quelques messages privés reçus de préleveurs sur Facebook , le ton est donné. Les préleveurs sont doublement inquiets. De leur futur. Et des rétorsions possibles contre eux par l’Agence Anti-Dopage Française.

En cause, le système de rémunérations de ces personnes très méconnues, mais au rôle évidemment déterminant dans la lutte anti-dopage. Et ces femmes et hommes très discrets n’apparaissent sur le devant de la scène que pour s’insurger de voir diminuer les sommes reçues pour ce travail, qu’ils soulignent exercer par passion de l’anti-dopage, en parallèle de leur véritable profession, souvent médecin du sport.

Le conflit est apparu début octobre à réception d’une lettre signée de Mathieu Teoran, le secrétaire général de l’AFLD, qui les informe d’un nouveau mode de calcul, destiné à être plus juste pour que les dédommagements des contrôles soient mieux calculés pour tous les préleveurs.

D’entrée, les réactions des préleveurs apparaissent très hostiles, avec l’estimation, selon certains, que la baisse de rémunération sera de 25 à 30%. Les comparaisons des barèmes anciens et nouveaux ne sont pas faciles, et semblent peser en faveur d’une réduction des sommes reçues à durée égale. Par exemple, le week-end, pour 4 heures de prestation, le montant était de 230.74 euros, il sera de 154 euros.

Une information que Mathieu Teoran conteste avec vigueur : « De notre point de vue, Il n’y a pas de diminution de la rémunération mais une refonte des grilles qui entraîne pour certains types de contrôles, une augmentation de la rémunération, et pour d’autres types, une diminution. Globalement les nouveaux tarifs ont été calibrés pour que ça ait un effet neutre en moyenne. »

Le budget global pour les préleveurs ne diminue pas

Le secrétaire de l’AFLD l’affirme, les simulations effectuées par l’Agence démontrent que le nouveau système ne coûtera pas moins cher à l’organe anti-dopage : « Nous ne ferons pas d’économies. Donc, il n’y a pas une baisse de rémunération des préleveurs.»  Ce nouveau système règlera aussi un point litigieux de l’ancienne méthode, où le tarif de la prestation augmentait nettement au bout de 5 heures, avec un montant de 230 euros entre 1 heure et 4h 59, et de 288 euros à partir de 5 heures. Et ce décalage avait justement suscité dans le passé des contestations des préleveurs.

TEORAN 2

Pour Mathieu Teoran, les préleveurs raisonnent avec des cas particuliers. Effectivement les informations transmises par les préleveurs s’appuient sur leurs expériences, comme pour les prélèvements effectués très tôt le matin, qui seront payés 100 euros pour une heure au lieu de 153 euros précédemment. Avec cette remarque : « Qui voudra se lever le matin à 4 heures ? » Surtout que les temps de déplacement ne sont pas imputés dans le temps de travail, et qu’il s’ajoute aussi un travail administratif non décompté.

Mais à l’AFLD, les choses sont claires, comme le souligne Mathieu Teoran : « Je comprends bien que chacun voit sa situation personnelle et en tire les conséquences. Mais les préleveurs sont des vacataires qui sont libres d’accepter ou pas les missions. »

Les 210 préleveurs sont des vacataires

Et ce rappel sur le statut des préleveurs n’est pas anodin. Voilà justement un point doublement sensible. Les préleveurs le savent bien. Avec la crainte que leur agrément puisse leur être retiré par l’AFLD, ce qui justifie leur refus d’apparaître à nom découvert. Mais ce statut présente aussi un avantage : ils peuvent refuser d’effectuer les contrôles demandés par l’AFLD. L’agence prend ainsi le risque que des contrôles ne puissent être réalisés. Or avec un nombre de seulement 210 préleveurs en France, il suffit finalement d’une petite poignée de mécontents pour enrayer le système…

Est-ce une source d’inquiétude pour Mathieu Teoran ? Pas le moins du monde, affirme-t-il très tranquillement : « Le programme de contrôles prévu pour la fin de l’année se réalise normalement ».

En réalité, la réforme entrant en vigueur au 15 novembre, la situation réelle ne pourra être vraiment appréciée qu’après cette date. Car les échanges entre préleveurs sur Facebook témoignent d’une exaspération forte, et de la volonté d’actions hostiles. Le tout, toujours dans le plus grand secret. La zone du Sud Est apparaît particulièrement vindicative. D’autant que les tentatives de dialogue entre préleveurs et AFLD n’ont rien apporté.

Pour une raison toute simple, qu’explicite Mathieu Teoran : « Les préleveurs n’ont pas d’organe représentatif. Ce ne sont pas des agents de l’agence, et donc ils ne sont pas représentés par des représentants du personnel.»

Mathieu Teoran le concède tout de même, des préleveurs ont écrit à l’agence pour protester, mais la réponse s’abat sans ambiguïté : « On prend acte de leurs observations, de leurs réticences. Pour autant, cela a été adopté, cela sera appliqué.» Et de renchérir pour affirmer que ces grilles autorisent une lecture plus simple. Ceci afin que les futurs préleveurs, qui peuvent être des médecins, mais aussi des infirmiers, des kinés, des sage-femmes, puissent mieux appréhender leurs gains, avec forcément moins d’exigences financières pour les non-médecins.

L’AFLD veut recruter et rajeunir ses préleveurs

Car le secrétaire général l’avoue, cette réforme s’intègre dans une démarche plus globale de l’AFLD, celle d’étoffer ses équipes de préleveurs dans l’optique des Jeux Olympiques : «Le recrutement a été ralenti ces dernières années. Il y a un déséquilibre démographique sur la pyramide des âges : il faut la rééquilibrer pour avoir des préleveurs opérationnels en 2024, formés sur des procédures qui se déroulent en anglais et sur des standards légèrement différents de ceux de la France. »

afld

L’impact des JO 2024 sera également visible dans un autre domaine de l’anti-dopage. Celui du champ d’action des contrôles. La priorité devra être donnée au très haut niveau, en accord avec les engagements pris par l’AFLD auprès de l’Agence Mondiale. Avec par ricochet, un délaissement du sport amateur.

Et paradoxalement, cette orientation très élitiste ne satisfait pas tous les préleveurs, qui soulignent que leur engagement dans la lutte anti-dopage s’inscrit souvent pour eux dans une optique plus large de santé publique, et qu’il leur semble important de poursuivre dans cette démarche teintée de prévention.  Comme me l’écrit l’un d’entre eux : « Beaucoup de contrôleurs  faisaient également dans la prévention en organisant des colloques de préventions dans les CREPS… »

Mais cet argument se voit complètement réfuté par Mathieu Teoran : « Le rôle des préleveurs n’est pas de choisir qui va être contrôlé, mais de prélever. Le rôle de l’autorité de contrôle est de choisir qui va être prélevé. Le rôle du laboratoire est d’analyser. Le rôle de l’organe disciplinaire est de sanctionner. Chacun doit exercer son rôle. »

Et ne pas en sortir. En clair, les préleveurs n’ont qu’à prélever les sportifs qui leur sont désignés. Même si leur présence sur les terrains de sport ne peut que leur offrir un regard très privilégié sur les sportifs, forcément précieux pour la lutte…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.

La photo de Mathieu Teoran (qui apparaît dans l’organigramme de l’AFLD) utilisée pour illustrer cet article dans un premier temps, a ensuite été retirée à sa demande.

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