C’est une affaire très inédite que cette suspension des deux sœurs Benfarès, Françaises évoluant pour l’Allemagne depuis trois ans. Fin janvier, l’annonce du contrôle positif de Sara à l’EPO et à la testostérone avait créé sensation, alors que Samir Benfares, leur père et entraîneur, soutenait que sa fille souffrait d’un cancer des os et que ces produits faisaient partie de son traitement. Officiellement, une demande rétroactive d’AUT avait été sollicitée auprès de l’agence anti-dopage allemande. Mais l’affaire rebondit d’une manière dramatique avec ce contrôle positif à l’EPO de sa jeune sœur, Sofia Benfares, médaillée de bronze aux Europe juniors. Samir Benfares conteste ces faits, en soutenant que Sofia n’a pas reçu de notification de sa suspension provisoire.
Le choc avait déjà été grand dans le milieu de l’athlétisme en apprenant fin janvier que Sara Benfares se voyait mise en cause pour un contrôle positif à l’EPO et à la testostérone, à 22 ans seulement. Mais Samir Benfares, le père et entraîneur de ses trois filles, toutes talentueuses demi-fondeuses, m’avait alors longuement expliqué que Sara traversait en réalité une vraie tragédie puisqu’elle souffrait d’un cancer des os. Et que les deux produits découverts dans son échantillon prélevé fin septembre faisaient partie intégrante du traitement prescrit pour la soigner.
Dans les semaines qui suivaient, plusieurs éléments apparaissaient un peu décalés par rapport à ces affirmations, et suscitaient quelques questionnements. Toutefois, il convenait de patienter : car selon Samir Benfares, une demande d’Autorisation Thérapeute d’Usage avait été transmise à l’Agence Anti-Dopage Allemande en vue de l’obtention d’un accord avec effet rétroactif validant l’utilisation de ces substances à des fins thérapeutiques et non de dopage. Ce mardi 27 février, lorsque je questionnais Samir Benfarès sur la suite de ce dossier, il me répondait : « le processus aboutira mi-mars. »
Samir Benfarès parle de diffamation, la Fédération allemande confirme
Toutefois, c’est un véritable tsunami qui apparaît ce mercredi 28 février, avec l’annonce par Saarbrucken Zeitung du contrôle positif de Sofia Benfares, la sœur cadette de Sara ! Un rebondissement incroyable et du jamais vu dans le dopage que deux sœurs mises en cause en même temps…
A mon SMS de questionnement, Samir Benfares répond rapidement : « Elle n’a aucune notification. Tu peux vérifier, elle n’est pas suspendue dans la liste AIU. Les Allemands balancent tous. Ils ne respectent pas le dossier médical qu’ils ont. » La réponse fait sursauter : le dossier médical de qui, Sara ou Sofia ?? Les SMS suivants témoignent aussi d’une vraie confusion entre la liste des suspensions provisoires de l’AIU et de la NADA, l’agence anti-dopage d’Allemagne.
Et Samir Benfares de conclure qu’il poursuivra tous les médias allemands pour diffamation. Toutefois, dès le jeudi 29 février matin, la Fédération Allemande d’Athlétisme (DLV) publie un communiqué de presse officiel pour déclarer avoir été informée par la NADA de la suspension provisoire de Sofia Benfares, pour soupçons de dopage. Les faits sont bien avérés.
Un timing dérangeant
La consternation est grande en Allemagne, tant ce pays a été marqué par le dopage de l’époque est-allemande, et alors qu’il s’agit du premier cas de dopage constaté dans le pays depuis 2006, au point que le contrôle de Sara avait ainsi été relayé jusqu’à Die Bild, le plus grand quotidien d’Allemagne. Depuis la fin janvier, la presse allemande, et en particulier SAARBRUCKEN ZEITUNG, a consacré de nombreux articles à l’affaire de Sara. Pourtant c’est par le site spe15 que les journalistes de Saarbrucken Zeitung ont découvert le cancer qui touche Sara, cette information qui n’a jamais filtré en Allemagne, suscite beaucoup d’interrogations. En particulier, les journalistes du Saarbrucken Zeintung soulignent qu’après sa course de l’Escalade, en décembre, Sara a évoqué dans leurs colonnes une aisance retrouvée, et a expliqué que ses problèmes de blessures étaient « dûs aux semelles intérieures de chaussures que j’ai toujours portées à l’entraînement depuis janvier. C’était juste de la malchance. »
Côté français, la publication de l’article le 31 janvier dernier a également créé une grande surprise. En cause le timing autour de la découverte de la maladie de la jeune athlète. Samir Benfares m’a parlé du mois d’août 2023, puis d’un début de traitement en urgence, mêlant EPO et testostérone, avec pour conséquence ce contrôle positif de fin septembre 2023. Mais plusieurs personnes s’étonnent d’avoir été informées par Samir Benfares que le diagnostic avait été posé à la mi-janvier 2024.
Des vrais entraînements ou de fausses photos ?
D’autres éléments dérangeants apparaissent, comme les photos de ses entraînements véhiculés par Sara sur son Instagram, durant les mois de septembre à janvier. En cause en en particulier un long footing de 20 km à 3’33 km au kilo, effectué le 9 décembre, six jours seulement après sa 6ème place à la Course de l’Escalade à Genève. Ceci paraît peu en relation avec le fait qu’en ce début de décembre, Sara serait juste de sortie d’une chimiothérapie. A mes questions, Samir Benfarès soutient qu’il s’agit de « fake », faux entraînements, mis en scène par Sara par rapport à son contrat de partenariat chaussures, et que le niveau très faible de la Course de l’Escalade lui a permis d’atteindre cette place sans forcer, juste sur son talent naturel.
Emerge également en Allemagne une photo qui surprend : on y retrouve Sara Benfarès entourée par les Roumains, Carol Santa et son fils, tous les deux arborant le survêtement du CA Montreuil. L’entraîneur Carol Santa a une réputation plutôt douteuse de part ses liens avec des athlètes de Turquie suspendus pour dopage, et son activisme à recruter des athlètes du Kenya pour les licencier en Turquie et maintenant en Roumanie.
Une photo qui surprend
Que signifie cette photo ? Samir Benfarès n’élude pas mes questions le lundi 5 février. Il m’explique avoir effectivement sympathisé avec Carol Santa durant le confinement du COVID au printemps 2020, lorsqu’il se retrouve coincé au Kenya durant le stage suivi par ses deux filles, Sara et Sofia. Il me soutient avoir été présenté à Carol Santa par le manager français Julien Di Maria, représentant de l’Ambassade de France sur la zone d’Eldoret au Kenya, et ne pas avoir eu connaissance alors de la réputation du Roumain. En remerciement de ce temps passé dans cette situation difficile, Samir Benfarès aurait alors accepté d’accueillir des athlètes managés par le duo Santa pour le meeting de Montreuil qu’il organise en sa qualité de président du club. Et c’est à cette occasion que le père et le fils auraient reçu en cadeau cette veste marquée du logo CA Montreuil. Quelques mois plus tard, à l’été 2022, le duo se serait retrouvé, par hasard, vêtu de cette veste, dans les coursives du stade de Munich, et aurait croisé Sara, venant juste de terminer 11ème du Championnat d’Europe. C’est à ce moment-là que le cliché aurait été pris, par Samir Benfarès lui-même, puis véhiculé sur les réseaux sociaux de Santa.
Malgré tout, cette photo crée une certaine confusion, comme l’ont provoqué aussi les images des entraînements où Sara semble à l’aise. Un malaise qui serait resté sans suite dans l’hypothèse d’une AUT accordée à titre rétroactif validant le principe d’un traitement dès l’automne dernier.
Mais les donnes apparaissent maintenant terriblement embrouillées avec ce contrôle de Sofia, 19 ans seulement… Samir Benfares conserve le cap et me soutient : « L’orage passera. On en parlera à tête reposée et tu verras, ce sera totalement différent mais le mal sera fait. » Et d’insister aussi sur la fin de carrière qu’a d’ores et déjà décidé Sara, qui a « tourné totalement la page et combat sa maladie ».
- Analyse : Odile Baudrier
- Photos : DR