Aller au contenu

Les anti-dépresseurs, nouveaux dopants sportifs ?

Certains médicaments de la famille des psychotropes peuvent être détournés par des sportifs peu scrupuleux, à la recherche d’une amélioration artificielle de leurs performances. Pierre Sallet, spécialiste anti-dopage, fait le point sur cette dérive.

La famille des psychotropes compte plusieurs catégories très distinctes : les anti-dépresseurs, les tranquillisants (anxiolytiques), les hyptoniques (somnifères…), les neuroleptiques, et plus récemment, les régulateurs de l’humeur.

La transmission de l’information est d’ordre nerveux mais aussi chimique

Les informations à l’intérieur du corps humain se transmettent par des messages d’ordre nerveux à partir d’un système central (le cerveau et la moelle épinière) et d’un système périphérique (les nerfs) : c’est celui qui est utilisé par exemple lorsque votre médecin vous donne un coup de maillet sur le devant du genou afin de contrôler votre activité réflexe.

Mais en fait une très grande partie de l’information dans le corps humain se transmet surtout via des substances chimiques. Par les hormones secrétées en général par des glandes endocrines (exemple de la thyroïde) mais aussi parfois par des organes (comme le rein qui secrète l’EPO) et qui agissent généralement sur les organes; mais aussi au niveau du système nerveux par les neurotransmetteurs, qui sont des médiateurs chimiques intervenant donc au niveau des cellules nerveuses et plus spécifiquement, mais pas exclusivement, des neurones; les plus connus étant la sérotonine, l’histamine, la dopamine, le Glutamate, le GABA…etc

L’action de certains psychotropes consiste soit à accentuer soit à limiter les effets des neurotransmetteurs parmi la centaine existant !

Les psychotropes pour le sportif en recherche de dopage

Les psychotropes peuvent, comme de nombreuses substances, être détournés de leur usage médical, pour influencer le système nerveux de l’athlète en recherche de dopage. Ils peuvent ainsi lui permettre de bénéficier d’un effet tranquillisant adapté pour un sport de précision, comme le tir, ou pour un sport dangereux, comme la F1, où la diminution de l’anxiété générée par le sport est bénéfique. Mais aussi à l’inverse d’un effet stimulant souvent beaucoup plus utile pour l’athlète en recherche de dopage.

Les psychotropes, non interdits par le code mondial anti-dopage

Dans toutes les familles de psychotropes, en-dehors des stimulants qui sont pour la plupart (mais pas tous…) sur la liste des interdictions de l’AMA dans la catégorie S6 et interdits seulement en compétition (et donc pas à l’entraînement…) les psychotropes, et les anti-dépresseurs notamment, n’apparaissent pas dans les produits interdits.

Alors, les sportifs douteux ouvrent la boîte de pandore, et recherchent s’il existe un effet possible de ces médicaments.

Certaines études sur ce thème ont été publiées. D’abord sur leur utilisation, pour savoir si les sportifs utilisent plus de psychotropes que la population en général. Et après pour répondre à l’intérêt ou pas de les utiliser à des fins de dopage? Une étude publiée par Machnik et al. en 2009 et qui se traduirait en français comme « Prévalence des anti-dépresseurs et biosimilaires dans le sport d’élite » s’est intéressée en particulier aux anti-dépresseurs de la famille des SSRI ou ISRS en français, antidépresseurs inhibiteurs de la capture de la sérotonine. Or la sérotonine agit sur l’état d’euphorie d’un patient, et donc du sportif : en inhibant la recapture, elle favorise l’état « booster » donc la performance pour un athlète.

Les sportifs utilisent les anti-dépresseurs deux fois plus que la population en général

Dans cette étude réalisée sur 82 880 échantillons provenant de contrôles antidopage, il apparaît d’abord que l’usage des anti-dépresseurs a été multiplié par 6 entre 1999 (0,1%) et 2008 (0,63%) chez les sportifs et surtout que les ISRS sont les antidépresseurs les plus utilisés par les sportifs à hauteur de 68% soit quasiment le double de la population en général en Allemagne (où a été réalisée cette étude). Cette absence de corrélation avec la population en général confirme bien l’effet de stimulant recherché, celui de repousser la douleur, plutôt qu’un effet sédatif, plutôt présent dans d’autres catégorie d’antidépresseurs.

Le constat est donc que par rapport à la population moyenne, plus d’athlètes d’élite utilisent ces substances-là, et qu’ils utilisent plutôt les bonnes substances pour performer en sport. On ne les retrouve pas placés sous hypnotiniques, comme par exemple les barbituriques, qui eux provoquent un ralentissement voire un endormissement. Le choix se porte donc dans la catégorie des psychotropes sur les médicaments qui vont plutôt aider le sportif à augmenter la performance.

Les médicaments contre le Déficit d’attention et d’hyperactivité

Dans des cas très récents, il apparaît notamment aux Etats-Unis des sportifs avec un diagnostic d’ADHD acronyme anglais d’Adulte Attention Deficit/Hyperactivity Disorder (Trouble du déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) en français), soigné notamment par la lisdexamfétamine. Les athlètes présentent alors une AUT pour ce traitement de l’ADHD, sur la base de symptômes d’ordre strictement psychologique lié à un déficit d’attention.

Dans le cas d’une anémie, des dosages biologiques précis sont effectués avant de poser un diagnostic, et éventuellement de prescrire un traitement par injection de fer par exemple. Dans le cas d’un problème d’asthme, des critères précis, comme une spirométrie, un test de provocation à la méthacholine… établissent la réalité de la pathologie et du traitement à conseiller, à savoir si cela reste compatible avec le haut-niveau c’est un autre débat…

Mais dans le cas de cet ADHD, le diagnostic repose essentiellement sur l’entretien avec le médecin, et sur des grilles d’évaluation, mais toujours d’ordre psychologiques.  Globalement, le contournement est rendu très facile. L’AUT sera établie sur la base d’un rapport du médecin rédigé à partir des symptômes décrits en consultation. 

Or le médicament prescrit est un stimulant, efficace pour améliorer la performance. Cela pose question quand ces pathologies concernent des sportifs adultes de très haut niveau. Où se situe la limite entre le « je suis malade » et le « j’utilise le médicament pour performer » ???

La dépression, une réalité pour les sportifs de haut niveau

Beaucoup de sportifs de haut niveau, souvent après l’arrêt de leur carrière, ont témoigné avoir souffert d’épisodes de dépression grave. Avec la question de savoir si cette pathologie est consécutive au haut niveau ou révélée par le haut niveau. La prescription d’anti-dépresseurs apparaît donc fondée même si pour certains, ils peuvent favorisent en même temps la performance.

Ces molécules sont d’abord destinées à soigner un état mental, avant d’être utilisées comme une substance dopante par certains sportifs.

Par contre, concernant les anxiolytiques, leur utilisation ne peut en aucun cas être détournée pour un usage dopant, et ils correspondent donc à des athlètes réellement malades. Ceux-ci y ont recours en raison de l’inconfort lié à leur maladie. Certes ils présentent l’avantage de diminuer le stress de la compétition, mais l’énorme inconvénient de provoquer l’endormissement. Ces médicaments sont donc plutôt préjudiciables à la performance sportive.

Un effet ergogénique, mais pas d’interdiction.

Certaines de ces substances peuvent apporter un « marginal gain », de par leur effet ergogénique mais ne figurent pas sur la liste des interdictions de l’Agence Mondiale Anti Dopage.

Pourtant le cadre juridique est précis : un produit doit être intégré dans la liste s’il améliore la performance, s’il est contraire à l’éthique sportive, et s’il présente des risques pour la santé. Mais trop d’interprétations du cadre juridique sont faites pour restreindre les inscriptions sur la liste. Cela ouvre donc la porte à des dopés, avec en filigrane l’idée que les athlètes malades sur le plan mental pourront se soigner correctement et tant pis si quelques « non malades » en profitent !

Pourquoi des médicaments détectables et ergogéniques ne sont pas sur la liste ?? c’est incompréhensible. Et cela concerne en réalité un nombre important de médicaments. En recensant non seulement les substances ou méthodes figurant sur la liste mais non détectables faute de tests (exemple d’auto-transfusion ou de l’IGF1) mais aussi les substances ou méthodes qui ne sont pas intégrés sur la liste, je comptabilise plus de 40 substances. C’est énorme ! Et surtout ce sont autant d’opportunités laissées à la disposition des tricheurs…et des médailles et contrats qui partent pour les athlètes clean…

  • Texte rédigé par Odile Baudrier avec Pierre Sallet
Étiquettes: