La tricherie du Kenyan Lazarus Too, victorieux au marathon de Tours alors qu’il était suspendu pour dopage, rejaillit sur Claude Guillaume, depuis peu son entraîneur à Blois. Claude Guillaume, qui affirme avoir ignoré cette suspension jusqu’après le marathon, se voit éclaboussé pour cette collaboration. L’entraîneur de Running 41 s’insurge contre les critiques proférées sur son attitude de soutien au jeune athlète. Il s’explique en détails sur le contexte de cette collaboration, qu’il veut inscrire dans l’approche humaniste de sa fonction d’entraîneur bâtie depuis 40 ans.
Comment aviez-vous rencontré Lazarus Too ?
J’entraîne des athlètes depuis des années, depuis plus de 40 ans. Je l’ai rencontré à Eldoret, puisque j’entraîne à Eldoret une partie de l’année, et à Blois, une autre partie de l’année.
C’est à ce moment-là qu’il vous a contacté pour prendre en charge son entraînement ?
Oui, tout à fait. Il souhaitait que je le suive, comme je suis d’autres jeunes marathoniens qui ont progressé. Il souhaitait avoir mes conseils pour le guider.
Quand vous a-t-il contacté ?
Ca fait trois mois simplement que je l’entraîne. Il m’a demandé de le préparer pour le marathon de Tours. On a élaboré un programme de travail. Après, j’ai découvert ce que vous avez commenté. Moi, je n’ai pas à commenter cette mauvaise chose. Car je ne peux pas cautionner ça, et je ne suis pas d’accord là-dessus.
Quand l’avez-vous découvert ? En même temps que le comité d’organisation du marathon de Tours ?
Moi, j’ai découvert l’information par Philippe Chaput. Il m’a appelé et il m’a envoyé un message et avec un lien vers le compte rendu de la chose qui a été publiée, je crois, le 28 septembre.
Avez-vous le sentiment que Lazarus vous a trompé ? Ou bien estimez-vous qu’il n’était pas informé ? Comment voyez-vous les choses ?
C’est un peu difficile. Est-ce qu’il m’a trompé ? Vous savez, un menteur sait mentir. Moi, je ne sais pas. Peut-être qu’il m’a trompé. Peut-être qu’il ne savait pas exactement. Maintenant, vous avez écrit qu’il savait les choses. Moi, je ne sais pas.
Vous soutenez donc l’idée qu’il ne savait pas qu’il était suspendu et qu’il a donc continué à courir ?
Je ne défends pas l’histoire. Je n’ai jamais cautionné. Je ne défends pas non plus Lazarus. Je défends le droit humain. Je ne conteste pas qu’il a une sanction à purger. Je lui ai expliqué que quand on fait une faute, on doit la payer. On doit surtout savoir pourquoi on a fait une faute et ne pas la renouveler. Je ne défends pas la faute, elle est grave. La sanction vient de tomber. Je l’ai appris le 28 septembre. On m’a mis ça devant le nez. Je n’en suis pas à la base, je ne l’ai pas dopé. Je sais que je ne dope pas les athlètes. Justement j’essaie de leur expliquer qu’ils doivent faire très attention quand ils prennent un produit, que ce ne soit pas sur la liste.
Quand en avez-vous parlé avec Lazarus ?
Juste avant son départ. Il avait fait deux courses, après le marathon, il rentrait pour récupérer. Il m’a dit qu’il avait été convoqué en avril 2017.
Non en avril 2018.
Non, dans le document, il est bien noté avril 2017.
Non pas du tout, c’est avril 2018. Il a été convoqué le 18 avril 2018. Il a reçu la notification du contrôle le 7 juillet 2017. Il a répondu le 10 juillet 2017.
Ah bon ?
Et donc que vous a-t-il dit ??
Qu’il avait été informé d’un contrôle positif. Qu’il avait été amené à s’expliquer des produits qu’il avait pris. C’est tout ce qu’il m’a dit. Il m’a dit qu’il n’avait pas fraudé. Maintenant, il y a des analyses qui font qu’il y a une faute. Moi, je ne suis pas spécialiste, je ne connais pas les choses. Je ne peux pas interpréter. Le jugement est le jugement.
Vous avez un doute sur le fait qu’il ait utilisé ce produit ou pas ?
(Il hésite). Moi, je le connais très peu. Trois mois, ce n’est pas suffisant pour connaître quelqu’un, même si je le connais depuis plus d’un an, je l’ai vu plusieurs fois. Vu la régularité de ses résultats, je suis surpris. Moi, à l’entraînement, rien ne m’indique qu’il triche. Car un athlète qui triche, cela se voit à l’entraînement, avec les temps d’entraînement, les séances. Un athlète ne va pas réaliser les temps justes avec une aisance déconcertante s’il triche. Je pense que j’ai un peu de recul par rapport à l’entraînement, j’ai un œil averti. Je ne détiens aucune vérité, mais je vois un athlète s’il triche, cela va m’alerter. Car la logique de l’entraînement ne va pas être respectée. Moi, il ne m’a pas donné le signe extérieur de choses anormales. Maintenant, c’est maintenant, c’est depuis trois mois. Auparavant, il a fait 2h13-2h14, une fois 2h12, une fois 2h10 mais à Rennes et apparemment le parcours n’était pas juste. Mais ses temps étaient réguliers. Quelqu’un qui se dope pour ne pas améliorer ses performances, cela me paraît bizarre. Mais dans ce milieu-là, je reste sur mes gardes, je ne connais pas ce milieu-là, et je ne souhaite pas le connaître un jour.
On parle d’une performance réalisée fin 2016, et à l’époque, vous ne le connaissiez pas. Avez-vous des informations sur cette période ?
Non, je n’ai pas d’informations de qui le suivait, qui le manageait, qui l’entraînait. En 2017, je sais qu’il était avec Gervais (Rujinjura), le coureur rwandais qui s’occupait de lui. Mais en 2016, je ne sais pas. Je crois qu’il était en Allemagne, il avait un ou deux managers allemands qui s’occupaient de lui. Ce sont les informations que j’ai pu avoir en questionnant des personnes qui le connaissaient. Ce n’est pas à moi de faire le policier. J’essaie de comprendre, de voir s’il était avec des personnes douteuses. Apparemment, il ne souhaitait plus l’être, il souhaitait être avec des personnes fiables en venant me voir. Maintenant, je n’ai pas de jugements à faire sur les personnes avec qui il travaillait avant.
Quand il est venu courir à Tours l’année dernière, le connaissiez-vous déjà ?
Je le connaissais de nom et de vue. Il s’entraînait dans un groupe avec Gervais. Maintenant, je le connaissais de vue, mais je ne le connaissais pas en tant qu’individu, car je ne l’avais jamais vu à l’entraînement. Je ne connais les gens que quand je les vois à l’entraînement.
L’année dernière, à votre connaissance, quand il a couru en France, il était engagé par Gervais ?
Oui, à ma connaissance.
Et cette année, pour Auray Vannes et Tours, est-ce vous qui l’avez engagé ?
Non. La condition quand j’entraîne un athlète, c’est qu’il accepte de venir là, et d’intégrer le club, qui est affilié FFA depuis 2008, et qui a été créé en 2004. L’athlète paie sa licence chez nous, signe sa licence, fournit son certificat médical, et tous sont traités de la même façon. Ils s’autogèrent par rapport à ça, et tous sont considérés de la même façon, que ce soit le marcheur nordique, ou le coureur loisirs, qui viennent s’entraîner avec les six entraîneurs du club. Tout le monde est à la même enseigne. Même moi, je paie ma licence tous les ans, je suis bénévole. Je ne suis pas président du club. Je l’ai créé avec quelques personnes en 2003.
Pourtant quand on regarde la composition de votre club sur le site de la FFA, on ne voit que des athlètes étrangers ?
Non, le club a 70 licenciés. Il y a des athlètes étrangers, africains, comme Noelie Yarigo depuis 2013, Benjamin Enezema depuis 2016. Souliatou Saka depuis l’année dernière. Elles sont Béninoises, et Benjamin de Guinée Equatoriale. Puis des Kenyans, certains sont là depuis quatre ans. Je les suis depuis plusieurs saisons, car quand ils ne sont pas ici, je les suis là-bas au Kenya. Cette année, il y a deux nouveaux Kenyans qui ont signé, dont Lazarus Too, et une femme.
Vous avez 70 licenciés, et seulement 23 qui marquent des points. Vous avez donc surtout des athlètes qui ne pratiquent pas la compétition ?
Nous sommes un club de loisirs. Les athlètes viennent au stade pour des conseils. Nous avons la marche nordique. La présidente du club les encadre avec trois autres entraîneurs diplômés. Nous avons six entraîneurs pour les 70 licenciés.
Ce club est donc un passage obligé pour tous les athlètes que vous entraînez ?
Moi, j’essaie de ne pas tout mélanger. Les athlètes viennent au club si je les suis toute l’année. Si je ne les suis pas toute l’année, je ne veux pas. Je ne veux pas qu’un athlète vienne ici pour courir et reparte. Moi, je ne suis pas manager, je suis entraîneur, je suis coach. J’assiste tout de même aux compétitions, je les accompagne. Et je les entraîne, j’étais à l’entraînement ce matin à 7h30, puis en musculation à 9h30 avec Souliatou Saka, et à 16h30, je serai au footing dans la forêt. Moi, c’est mon quotidien.
Ca veut dire que vous êtes à l’entraînement, tantôt à Blois, tantôt à Eldoret. Comment les athlètes se financent-ils pour vivre à Blois pendant plusieurs mois si c’est ce que vous leur imposez ?
Je ne leur impose pas. S’ils veulent que je les suive, ils sont là. S’ils souhaitent simplement venir pour consommer et faire des courses, je ne les prends pas. Moi, je veux une relation humaine avec les athlètes. Je privilégie l’humain et la construction. Je lui demande quel est ton projet ? S’il n’y a pas de projet humain, ça ne m’intéresse pas. Avec Noelie Yarogo, en 2013, on s’était mis d’accord, son projet était de réaliser les minimas pour les Jeux Olympiques de RIO. Aujourd’hui, on est dans la continuité, on ira à Doha, et sans doute à Tokyo. Le projet est de continuer.
Comment trouvent-ils le financement pour vivre à Blois ?
Ils se financent eux-mêmes. Ils gagnent un peu d’argent sur les courses, et ils se prennent en charge. Tous leurs gains leur reviennent.
Ca veut dire qu’il n’y a pas de flux financiers entre vous, ni dans un sens, ni dans l’autre ?
Non, moi, je ne prends pas de pourcentage sur les gains. Si c’est ce que vous voulez savoir ?
Oui exactement. Donc vous ne prenez pas de pourcentage sur leurs gains, et vous ne les financez pas dans le club ?
Non. Chacun paie même sa licence.
Vous allez depuis plusieurs années au Kenya, je crois que vous avez même des chambres d’hôtes à Eldoret. Le phénomène dopage au Kenya, est-ce quelque chose que vous percevez là-bas, y êtes-vous sensible ou bien vous estimez-vous complètement en dehors de ça ?
Je suis attentif à ça. J’essaie justement qu’il n’y ait pas de gens qui gravitent autour des athlètes pour leur proposer des choses malveillantes. Moi, la première fois, ça remonte à 2014 avec Noelie. Mais je connais le Kenya depuis 1997, j’ai tout de même entraîné Isabelle Ochichi, qui a été vice-championne olympique sur 5000 m. Mais c’était autrefois. On va parler du quotidien aujourd’hui. On va là-bas, on s’entraîne avec les Kenyans et on est vigilants sur le fait qu’il y a beaucoup de bruits qui circulent sur des pratiques illégales. On a fait très attention, et on fait toujours très attention. Moi, je n’ai rien vu sur place qui m’a alerté. Il y a certainement des choses illégales, vu les histoires qui sortent. Mais moi, je n’ai jamais rien vu.
L’histoire de Lazarus va-t-elle vous amener à changer votre approche ? Allez-vous continuer à appréhender les athlètes de votre club, et les autres de la même manière ? Ou bien ça va changer quelque chose ?
Oui. Ca va changer. Surtout je veux accompagner les gens. Leur dire qu’il ne faut jamais prendre un produit sans savoir si c’est un produit qui peut modifier la santé. Si vous prenez des produits dopants, je pense que vous jouez sur votre santé. Moi, je reste convaincu qu’on peut entraîner sans se doper. J’ai entraîné autrefois en France, François Barreau, 13’42’’– 28’52’’ au 10000 m, et à ma connaissance, je ne l’ai pas dopé. Didier Sainthorand, qui a été dans les 20 meilleurs mondiaux, je ne l’ai pas dopé. Loïc Letellier, qui a fait 13’24’’, je l’ai formé pendant de nombreuses années, et je ne l’ai pas non plus dopé. Et quand j’entraînais Norredine Bahar, qui a fait 3’33’’ au 1500 m ou Sid Ali Sakri qui a fait 2h11’ au marathon, je m’inspirais toujours de l’entraînement des Kenyans, et je n’ai pas l’impression que ces athlètes ont triché.
Finalement, c’est un coup dur ce qui vous arrive avec Lazarus par rapport à votre démarche humaine et dans l’entraînement qui est ancienne.
Bien sûr. Bien sûr. Ca fait mal. Même si je n’en suis pas responsable. Se retrouver avec vos titres « La mauvaise foi de l’entraîneur Claude Guillaume », ça fait mal. Je ne pense pas être de mauvaise foi !
Disons que vous reprenez à votre compte des informations données par l’athlète sans prendre en compte les vraies informations qui figurent dans la décision prise contre lui. Quelque part, vous cautionnez ses mensonges.
Non, je n’ai jamais dit ça. Il y a un rapport, j’ai dit Il faut le lire. Mais je n’ai jamais interprété le rapport. Tout est écrit en anglais. Je ne maîtrise pas le rapport de façon parfaite. J’ai dit qu’il y a un document, qu’il y a des choses dedans. Mais je ne le défends pas, je ne déforme pas la réalité.
Vous affirmez tout de même l’idée qu’il a découvert il y a seulement dix jours qu’il avait un problème avec un contrôle positif. Alors qu’il était suspendu provisoirement depuis juillet 2017.
Non. Moi j’ai découvert ça le 28 septembre. Si vous dites qu’il l’a su avant, on peut dire qu’il m’a menti. Lui me dit qu’il n’a pas eu de notification officielle de sa suspension.
Il a pourtant répondu au mail du 7 juillet qui l’en informait en affirmant être innocent.
Alors, si vous avez cette information !
Elle est tout simplement dans le rapport que vous avez pu lire. A la 3ème page.
J’ai lu, mais je n’ai pas tout disséqué. Il y a beaucoup de termes techniques dans le rapport, que je ne maîtrise pas. Je n’interprète pas le rapport. Je vois juste à la fin une suspension avec effet rétroactif du 7 juillet 2017.
C’est justement la date de sa suspension provisoire !
Donc c’est grave. Cela veut dire que la personne est avertie depuis juillet et qu’elle est en faute. Depuis plus d’un an. Donc les personnes qui l’ont accompagné pour la suite sont aussi en faute. Mais je vous crois. Je n’ai pas lu en détails. Je ne défends pas du tout la personne par rapport à ça.
Pour vous, est-ce que cela va remettre en cause l’idée des stages au Kenya, de la collaboration avec les athlètes du Kenya ?
Pour les stages, je pars à nouveau le 13 novembre pour 5 mois, deux mois au Kenya et trois mois en Afrique du Sud. Et là, on pourra aussi m’accuser de soutenir et d’aller m’entraîner avec Caster Semenya !! Mais moi, j’aime bien découvrir. Quand je suis allé au Kenya la première fois, en 2014, c’était pour voir si Noëllie pouvait progresser en se confrontant avec les meilleures athlètes du Kenya. On était allés avec Eunice Sum, qui était à l’époque, la meilleure du monde. Cette année, on a décidé de changer, de faire 2 mois de foncier, on respecte la programmation. Et ensuite trois mois en Afrique du Sud, pour se mettre dans d’autres problématiques. Là-dessus, ça ne change rien. On a nos repères bien établis, des beaux parcours, des très bonnes conditions pour pouvoir travailler au Kenya. Donc on y retourne. Ca ne change rien. Moi, je continue l’entraînement normalement. Par ailleurs, par rapport aux athlètes kenyans, qui sont réguliers ici, qui suivent mes méthodes d’entraînement, je ne vais pas les écarter comme ça. Je suis un être humain et eux aussi. Maintenant, je vais les réunir et leur dire Si vous souhaitez ne plus revenir, vous êtes libre de ne plus revenir. Ils n’ont aucune obligation par rapport à moi. Par rapport au fait que je les suis dans leur accompagnement en tant qu’athlète, et en tant qu’humain. Certaines construisent leur maison. Je vais dans leur famille.
Justement, quelle a été leur réaction face au problème de Lazarus ?
Je n’en ai pas encore trop discuté avec eux. J’attendais d’avoir plus d’informations. Je me suis retrouvé avec ce problème. J’ai pris un coup sur la tête. Quand j’ai vu vos papiers, je me suis demandé pourquoi on me cherche autant d’histoires, qu’on me met des propos pas tout à fait justes ?? Je n’ai pas à me défausser par rapport à ça. L’erreur a été faite. Mais il y a le côté humain. On peut l’accompagner pour lui éviter qu’il aille à la dérive.
Interview réalisée par Odile Baudrier
A noter que le comité d’organisation du marathon de Tours a pris la décision ce samedi 13 octobre de : « déclasser Lazarus Too, et de supprimer la totalité des primes de classement, primes de notoriété et frais de déplacements de l’ensemble des coureurs présentés par Claude GUILLAUME au Marathon et aux 20 km de Tours 2018 ».