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Le sprint américain, entre performances et dopage

Le sprint américain connaît une période étonnante, mêlant grosses performances et problématiques de dopage. Le spécialiste de 400 m, Michael Norman a créé une énorme surprise en bouclant le 100 mètres en 9’’86. En parallèle, trois grands noms, Christian Coleman, Deajah Stevens, Gabrielle Thomas, ont été éclaboussés par des manquements aux règles anti-dopage…

Un meeting très très étonnant. C’est celui qu’ont vécu ce dimanche les athlètes rassemblés à Fort Worth au Texas. Dans une Amérique meurtrie par les décès et maladies consécutifs au Covid 19, ce rassemblement constituait l’un des tous premiers organisés dans tous les Etats-Unis. Et c’est de tous les Etats, y compris ceux frappés par la crise sanitaire, qu’ont débarqué les sprinters, pour s’aligner sur un programme plus qu’étonnant.

Car en-dehors du classique 100 mètres, le MTX Timing offrait quatre distances de sprint très inhabituelles, 60 m, 150 m, 250 m, 350 m. Et encore plus surprenant, la plupart des sprinters présents se sont essayés aux cinq distances, qu’ils ont courues dans des chronos d’une sérieuse lenteur.

Ainsi, Michael Norman ne s’est pas contenté de boucler son 100 mètres en 9’’86, alors que Justin Gatlin courait, lui, en 10’’83. On retrouve les deux hommes sur tous les autres résultats, mais là, le tempo est pour le moins ralenti, comme pour Michael Norman, en 7’’96 sur le 60 m, 18’’89 sur le 150 m, 34’’82 sur le 250 m, 44’’90 sur le 350 m.

10 résultats ou bien le contrat Nike est rompu

Alors que se cachait-il derrière cet inhabituel meeting ? Le journaliste Jonathan Gault de Lets’run allait vite lever le voile pour révéler que les athlètes présents étaient en réalité à la recherche de chronos, afin de respecter les termes de leur contrat avec leur partenaire. Tout simplement Nike qui exige chaque année 10 résultats.

Une contrainte difficile à atteindre dans cette année COVID marquée par la suppression de l’ensemble des rendez-vous athlétiques aux Etats-Unis, y compris le Championnat US d’athlétisme, qui vient d’être annulé et ne sera pas organisé pour la première fois en 150 ans !  Mais peu importe, les règles imposées par Nike n’ont pas évolué, d’où cet engouement pour ce meeting de Fort Worth, réservé à une poignée de coureurs invités, quasiment tous sous contrat Nike.

Autre particularité de cet évènement : l’absence totale du public, et c’est ainsi qu’une poignée de personnes seulement a pu assister à cette course impressionnante de Michael Norman, qui avec ce chrono sur 100 mètres, s’impose au 3ème rang mondial pour le cumul 100-200-400, avec un total de 3811, juste derrière Usain Bolt et Michal Johson ! Il devient aussi le deuxième sprinter mondial, derrière le Sud Africain Van Niekerk à descendre sous les 10 secondes sur 100 m, 20 secondes sur 200 m, 44 secondes sur 400 m, et le premier sous les 10’’ sur 100 et 44’ sous 400 m.

Michael Norman n’avait pas couru sur 100 m depuis 2016 !

Pour autant faut-il douter de sa régularité ? Les questionnements sur le calibrage du chrono et de l’anénomètre ont de suite été soulevés, mais à noter que l’organisation de Fort Worth reposait sur MXT Timing, une société spécialisée dans le chronométrage.

Même si comme le souligne Pierre Jean Vazel, les chronos sur 200 m de Michael Norman dévoilaient déjà une capacité à courir très vite dans son 2ème 100 mètres, l’entraîneur évalue ainsi à 9’’69 le temps effectué à Paris en 2018 par le Californien lorsqu’il avait réalisé 19’’84.

Quincy Watts

Mais face à cet énorme bond en avant du jeune Californien de 22 ans, d’autres interrogations n’ont pas manqué d’émerger, autour de sa capacité à effectuer aussi rapidement une telle transition du 400 au 100 m, (il n’avait plus couru sur 100 m depuis 2016), et pour y atteindre un tel niveau que peu de sprinters bien plus rôdés n’ont même jamais effleuré, et alors qu’il évolue sous le coaching de Quincy Watts, surdoué du 400 m, où il a été sacré champion olympique en 1992, mais pas vraiment spécialiste du 100 mètres (record à 10’’30). La surprise a aussi été provoquée par l’absence totale de palmarès du sprinter, certes champion du monde junior en 2016 sur 400 m, et champion NCAA 2018, mais qui n’a jamais concrétisé par un titre national, ou dans un grand championnat, avec un Mondial 2019 raté, éliminé en demi-finale, alors qu’il venait de remporter la Diamond League.

3 contrôles ratés en 10 mois pour Stevens

D’autant qu’il est notable que le sprint américain de top niveau se voit frappé par une vague de suspensions consécutives à des no shows, et absences lors de contrôles. Même si la surdouée Gabrielle Thomas a réussi, elle, à se disculper pour faire annuler sa 3ème absence, deux gros calibres ont payé pour ces dérives, trop longtemps négligées par les instances anti-dopage.

Christian Coleman demeure dans l’attente de sa suspension définitive, mais l’affaire apparaît mal engagée pour le champion du monde 2019. Deajah Stevens, 7ème aux JO 2016, 5ème au Mondial 2017, a reçu une suspension de quatre années faute d’avoir réussi à contrer l’accusation de son absence lors de la visite des contrôleurs anti-dopage à trois reprises en dix mois seulement, entre février et novembre 2019. A jouer avec le feu, on finit par se brûler…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.