Dissimulation de cas de dopage, non poursuites d’irrégularités des passeports biologiques, protection d’athlètes, corruption d’agents anti-dopage, falsification de documents… L’Agence anti-dopage espagnole a multiplié les magouilles ces dernières années. L’Agence Mondiale Anti-dopage aurait fermé les yeux sur certaines dérives. Que reste-t-il encore à découvrir sur les manquements de l’anti-dopage en Espagne ??
Le scandale ne fait que débuter pour l’agence anti-dopage espagnole. La ténacité d’Alberto Yelmo a payé pour lever le voile sur des agissements frauduleux des dirigeants de la CELAD. C jeune avocat, ancien conseiller de l’agence avant le changement de Directeur, s’est acharné depuis plusieurs mois pour obtenir la confirmation des dérives qu’il présumait, utilisant inlassablement le réseau X (ex-Twitter) pour attirer l’attention des observateurs anti-dopage sur la situation délétère de l’Espagne.
C’est d’abord du côté des irrégularités des passeports biologiques qu’Alberto Yelmo a concentré ses recherches. José Luis Terreros, le patron de l’agence espagnole, avait admis à l’été 2022 auprès du journal Marca que cinq ou six cas n’avaient pas été suivis de poursuites.
Après plusieurs mois d’actions pour obtenir plus d’informations sur ces cas, et les refus répétés de l’agence anti-dopage espagnole pour lui répondre, Alberto Yelmo a obtenu gain de cause en septembre dernier grâce à la loi sur la transparence en Espagne. Et l’accès autorisé aux documents de la CELAD livrait alors des éléments incroyables sur ses malversations.
Patrick Chinedu Ike, non sanctionné en 2019
Avec tout simplement, des contrôles positifs non sanctionnés. Comme le révèle le quotidien EL DIARO, avec l’histoire du sprinter Patrick Chinedu IKE, membre de l’équipe d’Espagne, positif aux anabolisants en 2019. Cet ancien nigérian, au record de 10’’16 en 2018, sous maillot espagnol depuis 2017, était encore présent sur la piste l’année dernière, à 39 ans, et n’a jamais été suspendu. Le CELAD n’a même pas ouvert de dossier à son encontre, et une enquête a débuté seulement en novembre 2023, sur injonction du Ministère. Patrick Chinedu Ike s’est défendu, en invoquant un problème pulmonaire d’asthme qui justifierait, selon lui, la prise de nandrolone…
L’agence serait aussi coutumière de procédures trop tardives, en utilisant le stratagème de notifier les contrôles positifs quasiment à la fin du délai maximum d’intervention (1 an), et par courrier postal pour que l’athlète le reçoive trop tardivement…
Des passeports biologiques irréguliers et pas de procédures
D’autres dossiers d’irrégularité des passeports biologiques, encore anonymes, sont apparus ouverts et fermés, sans sanction, dans la même journée, au printemps 2019. Le CELAD, échaudé par la décision du Tribunal Administratif des sports, qui avait classé le passeport biologique positif du cycliste Ibai Salas, aurait opté pour une méthode plus que limite : mettre les dossiers en attente, et informer la fédération d’athlétisme pour que l’athlète ne soit plus sélectionné en Equipe Nationale. Le tout sans lancer de procédure officielle… Selon Alberto Yelma, il y aurait 2 cas ouverts/fermés, et 6 cas non sanctionnés.
Majida Maayouf, une AUT rétroactive de 18 mois, 2 records nationaux sur marathon
Autre dérive de la CELAD : la validation a posteriori d’Autorisation Thérapeutique d’Usage, une habitude également chez l’agence anti-dopage britannique. Avec un cas très étonnant, celui de la Marocaine Majida Maayouf, devenue Espagnole depuis juin 2023, que les journalistes Natali Torrente et José M. Amoros, de Revelo.com avaient dévoilé cet été. Celle-ci, qui vit au Pays Basque depuis plus de 10 ans, avait été contrôlée positive en Mars 2020 en Allemagne. Mais Jesus Munoz Guerra, le directeur des contrôles de CELAD, a bâti un dossier pour lui éviter une sanction, grâce à une AUT rétroactive de plus de 18 mois ! Entretemps, Majida Maayouf s’est muée d’une marathonienne de petit niveau (2h33’ en 2019) en top élite mondiale avec un chrono de 2h21’01’’ en décembre 22 à Valence, puis à nouveau 2h21’27’’ en décembre 23 à Valence, cette fois pour l’Espagne. Elle peut ainsi se targuer de détenir le record national du Maroc et de l’Espagne.
Quel rôle joue l’AMA dans ces dérives ??
Ces deux dossiers pointent du doigt en direction de Jesus Munoz Guerra, le patron des contrôles, qui, selon Revelo.com, se voit aussi mis en cause pour falsification de documents, avec une plainte au pénal qui pourrait lui valoir 9 ans de prison.
Pourtant Jesus Munoz Guerra et José Luis Terreros ont été désignés par l’Agence Mondiale Anti-dopage pour intégrer, le premier, la commission chargée du restesting des échantillons de RIO 2016, et l’autre, l’équipe anti-dopage des JO Paris 2024. Une agence mondiale qui se voit, elle aussi, épinglée par les journalistes de Revelo, qui soutiennent, que les cas dissimulés par la CELAD apparaissaient bien dans les bases ADAMS consultables par l’AMA…
Corruption à l’unité anti-dopage de Valence
Ces affaires dévoilent un anti-dopage espagnol inefficace. Aucun cas de dopage important n’a été révélé depuis 2016 et l’arrivée de Terreros à la tête de l’agence. Il s’y ajoute aussi la corruption constatée dans l’unité de police spécialisée anti-dopage de Valence avec deux agents interpellés pour leurs agissements, fin 2022 et fin 2023, et en conclusion, la fermeture de cette unité décidée le 26 décembre 2023. Dans le passé, il avait déjà été révélé lors d’une comparution en septembre 2013 au Congrès de Ana Munoz, ancienne directrice de l’agence anti-dopage, le manque de fiabilité des préleveurs anti-dopage, souvent liés par des relations personnelles avec des athlètes impliqués dans des opérations de dopage, et également des manquements techniques, où plusieurs centaines d’échantillons (856) n’avaient pu être exploités car les formulaires de contrôles comportaient des erreurs.
L’ensemble sonne particulièrement glauque dans une Espagne, certes faible sur le plan des résultats de son équipe nationale d’athlétisme, mais particulièrement brillante sur le plan des performances réalisées sur son territoire dans ses grandes épreuves de courses sur route. L’année 2023 s’est achevée par un nouveau record du monde établi sur sol espagnol, celui du 5 km féminin, à Barcelone, s’ajoutant à une pléthore de records mondiaux et nationaux réalisés ces trois dernières années dans les marathons de référence que sont devenus Séville et surtout Valence.
Il est urgent maintenant d’assainir la situation de l’anti-dopage espagnol, pour restaurer la confiance, au risque que même les doutes s’immiscent jusqu’à l’anti-dopage mondial.
- Analyse : Odile Baudrier
- Photos : D.R.