Les deux épreuves majeures de trail en France, UTMB et Templiers, n’avaient enregistré aucun contrôle anti-dopage en 2022. Un paradoxe à considérer à la fois la portée médiatique beaucoup plus forte de la discipline du trail, avec en corollaire des retombées financières plus importantes pour les trailers, et également le déclassement pour dopage des deux vainqueurs de Sierre Zinal. Mais les donnes ont changé cette année avec le retour des contrôles à l’UTMB et aux Templiers.
16 contrôles pour le récent Festival des Templiers. C’est un gros chiffre, avec 6 contrôles le vendredi sur le Marathon du Larzac et 10 le dimanche sur le Grand Trail des Templiers, épreuve dotée de primes financières pour un total de 30.000 euros.
Un nombre de contrôles élevé, mais que le Festival des Templiers avait déjà connu, en 2017 ! Car l’analyse des données dévoile que ce n’est que ces deux dernières années, 2021 et 2022, que l’AFLD n’avait pas diligenté de contrôles sur cette épreuve.
Christophe Bassons, observateur privilégié du trail
En réalité, les contrôles aux Templiers remontent très loin en arrière, dès 1997. Cette année-là, l’épreuve organise un colloque anti-dopage avec en intervenant majeur, Christophe Bassons, ancien cycliste, spécialiste de ce thème.
Christophe Bassons découvrira à cette occasion le Trail, et cette discipline demeurera constamment présente dans ses radars dans sa fonction de CIRAD au sein de l’AFLD. C’est ainsi que les contrôles se sont poursuivis aux Templiers à travers les années, d’autant que l’épreuve introduit les primes financières en 2011, à hauteur de 2000 euros au vainqueur (14.000 au total), puis 4000 euros en 2015 (20.000 au total), et 7000 euros en 2017, pour un total de 41.700 euros depuis 2022 (Grand Trail des Templiers et Endurance Trail).
Deux trailers suspendus à Sierre Zinal
Toutefois, ces deux dernières années, 2021 et 2022, avaient été marquées par l’absence des préleveurs AFLD, tant aux Templiers qu’à l’UTMB en 2022. Une situation mal vécue par les acteurs du trail, et en particulier par les traileurs d’élite. Surtout que l’épreuve de Sierre Zinal, une référence depuis près de 50 ans, avait été souillée par le déclassement de ses deux vainqueurs 2022 pour dopage. Mark Kangogo avait été contrôlé positif à l’issue de la course. Et il avait été découvert très tardivement qu’Esther Chesang l’avait emporté alors qu’elle était suspendue depuis plusieurs mois.
Le monde du trail s’insurge, et il apparaît alors que la discipline n’est pas suffisamment encadrée par les instances anti-dopage. Ce point se distingue immédiatement comme majeur dans le projet du syndicat des pro-trail runners créé en février 2023 à l’initiative de Kilian Jornet. Les 120 signataires, trailers d’élite, exigent des contrôles par les instances officielles.
Les contrats marques à 5 chiffres
En l’occurrence pour la France, l’AFLD. En parallèle, l’agence n’a évidemment pas manqué de noter la montée en charge médiatique de la discipline du trail, avec de longs articles et sujets télés consacrés à ses pratiquants phares, jusque dans les médias les plus renommés.
Moi-même, j’avais utilisé ma double « casquette », de journaliste spécialisée dans l’anti-dopage, et organisatrice du Festival des Templiers, à l’occasion des interviews de Jérémy Roubin, le secrétaire général de l’AFLD, et d’Antoine Marcelaud, pour les sensibiliser à l’importance grandissante de la discipline, et à ses aspects financiers.
Car les contrats de marques à 5 chiffres ne sont pas rares maintenant dans le trail, alors que dans le même temps, le champion de France de marathon, doit se contenter d’un simple contrat matériel ! Selon Frédéric Bousseau, fin connaisseur du business du trail, quelques trailers bénéficient même de contrats à 6 chiffres, et ils recevraient aussi des bonus à 5 chiffres en cas de victoire prestigieuse. Côté primes de course, ce sont 10.000 euros pour les vainqueurs de l’UTMB, 7000 euros aux Templiers. Aux Etats-Unis, « Run Rabbit Run », l’une des rares épreuves américaines dotées en financier, distribue 15.000 dollars aux vainqueurs, la Montée du Pikes Peak, 3000 dollars. Côté circuit, ce sont 15.000 dollars qui reviennent aux vainqueurs des Golden Trail Series de Salomon. Sans oublier qu’aux Championnats du Monde de Montagne et Trail Running, les vainqueurs reçoivent 4000 Dollars.
Les Français sur les listes Elite, pas dans le groupe Cible
Les résultats des trailers français lors des grands rendez-vous internationaux, championnat du monde et d’Europe, démontrent aussi leur haut niveau de performance. Les listes établies chaque année par le Ministère des Sports intègrent d’ailleurs plusieurs trailers de renom. Sur la liste « élite », qui recense 13 athlètes, figurent Marion Delespierre, Blandine Lhirondel, Audrey Tanguy. Sur la liste « seniors », qui compte 73 athlètes, apparaissent 10 spécialistes de trail, avec CACHARD Sylvain, CARDIN Thomas, DEWALLE Christel, GARRIVIER Thibaut, MARTIN Nicolas, MATHOU Paul, RANCON Julien, MARTIN Adeline, SAGNES Mathilde, VERMEULEN Kevin.
Autant d’athlètes qui pourraient ainsi se voir intégrer dans le groupe Cible de l’AFLD, qui contraint les sportifs à se localiser chaque jour pendant une heure pour être disponible pour accueillir un préleveur anti-dopage.
Mais en réalité, à date, aucun trailer ne figure sur cette liste qui compte 268 noms, dont 46 issus de l’athlétisme, seulement piste et route. Un peu comme si le trail n’était pas une branche de l’athlétisme !
Un vide que l’AFLD ne pourra que combler très rapidement pour éviter les critiques sur le manque de contrôles. Cela permettra alors la réalisation de contrôles hors compétition, essentiels pour garantir l’intégrité du sport, que l’AFLD a déjà commencé à mettre en place cet été dans la période pré-UTMB.
Les contrôles en compétition encore efficaces
Sans oublier tout de même que les contrôles en compétition demeurent efficaces. Le cas de Didier Zago, positif à l’EPO lors d’un championnat de France de course de montagne, le confirme à nouveau. Dans le passé, les Templiers ont connu deux cas positifs, l’UTMB et Sierre Zinal un cas. Plusieurs épreuves de trail ont également dévoilé la tricherie de certains participants, comme dans le passé, la 6000 D, la Run Albius, le Trail de la Côte Chatillonaise…
Autant d’éléments confirmant que l’usage de produits interdits est une réalité dans le trail, discipline très exigeante sur le plan physique. Il est acquis que toutes les disciplines d’endurance sont particulièrement propices aux dérives, surtout que des produits comme l’EPO, l’hormone de croissance sont adaptés pour améliorer les capacités physiques et favoriser la récupération. Les corticoïdes et anti-douleurs, comme le tramadol, (interdit à partir de janvier 2024) peuvent également permettre de contrer la douleur qui apparaît durant les efforts longs.
Le dynamisme du trail, avec une multiplication des épreuves de longue et très longue distance, peut aussi favoriser les tentations pour pouvoir enchaîner plus de compétitions. Les calendriers de certains trailers ne peuvent ainsi qu’interpeller à considérer que sur marathon, peu de coureurs dépassent 3 marathons par an.
Avec ce retour des contrôles dans les épreuves majeures de trail, un signal fort est ainsi envoyé aux boulimiques de kilomètres et dénivelés, qui pourraient être tentés de se faire épauler par des produits illicites…
Analyse : Odile Baudrier
Photos : D.R.
Les contrôles positifs en trail en France
En 2018 – Trail de la côte chatillonnaise : en mars 2018 refus de se soumettre au contrôle et en octobre 2019 refus de se soumettre au contrôle à son domicile : SEBASTIEN GARCIA PALAU – suspendu 8 ans jusqu’en 2027
En 2017 – Run Albius – Ultra Run de La Réunion à la Réunion : bétaméthasone – 1 an de suspension
En 2017 – 6000 D – acétazolamide – 1 an de suspension
En 2016 – Championnat du Monde de Sky Running – heptaminol – 4 mois de suspension
En 2015 – Grand Trail des Templiers – corticoïdes – relaxe après production du dossier médical
En 2015 – UTMB – EPO – 2 ans de suspension
En 2005 – Euskal Endurance : prednisolone + prednisone – 1 an de suspension
En 2006 – Grand Trail des Templiers : amphétamines – 2 ans de suspension
En 2005 –La Mondorienne : fuite lors du contrôle – suspension à vie
Les noms des trailers concernés ne sont pas révélés, car toutes les sanctions prononcées sont achevées. Excepté pour Sébastien Garcia Palau, suspendu jusqu’en 2027