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Le Lévothyrox, médicament, détourné par les dopeurs

Le Lévothyrox sous sa nouvelle formule a fait les gros titres de la presse cet automne par ses disfonctionnements frappant les patients atteints le plus souvent d’hypothyroïdie. Ce médicament est aussi un produit très prisé des sportifs à la recherche d’une amélioration artificielle de leurs performances, qui ne prennent aucun risque puisqu’il ne figure par sur la liste des produits dopants… Combien d’athlètes présents au Championnat d’Europe de Berlin, y compris chez les Français, en sont-ils des utilisateurs ????

Sujet réalisé par Odile Baudrier avec Pierre Sallet

 

ESSAI 3 DOPAGE a

La thyroxine, une hormone secrétée par la thyroïde, est une substance que de nombreux spécialistes de la lutte anti-dopage voudraient voir ajouter sur la liste des produits interdits. Pierre Sallet, fondateur de l’Association  « Athletes for Transparency », est favorable à ce changement. Cette molécule, très puissante, présente en effet de grands dangers pour la santé des sportifs sans pathologie qui détournent son usage dans une recherche d’amélioration des performances.

Son constat est sévère: le Lévothyrox, sur la base de révélations de sportifs de haut-niveau, est un médicament malheureusement très utilisé par les tricheurs. Pierre Sallet recense au moins 30 substances qui ne figurent pas sur la liste des interdictions de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) et qui présentent pourtant des effets ergogéniques. Parmi eux, sous leur nom de médicament, le Meldonium qui a depuis intégré la liste, mais aussi le désormais célèbre Tramadol et bien sûr le Lévothyrox. Pour lui, la panoplie du dopage peut être présentée comme une fusée à trois étages :

  • Le sportif utilise d’abord les produits qui devraient être sur la liste des interdits et qui n’y figurent pas. Soit environ 30 substances, incluant le Lévothyrox
  • Ensuite, il détourne les AUT, notamment les corticoïdes
  • Enfin, dernière étape, il utilise les produits interdits en enfreignant la législation

A quoi sert le Lévothyrox ?

Le Lévothyrox est un médicament chargé de freiner la sécrétion de la TSH (Thyroid Stimulating Hormone) ou de compenser les hypothyroïdies. La thyroïde peut être présentée de manière simplifiée comme l’accélérateur et le frein de l’organisme: c’est une glande stimulée par une hormone, la TSH, qui produit deux autres hormones, qui sont T3 et T4; T4 étant le précurseur actif de T3. Les dérèglements de la thyroïde entraînent de nombreuses conséquences sur la santé. Côté sport, en cas d’hyperthyroïdie, le rythme cardiaque est accéléré, le patient sera plutôt « speedé ». En cas d’hypothyroïdie, la situation est inverse, la personne est fatiguée et apparaît souvent une prise de poids.

Le Lévothyrox est une molécule qui a été très vite identifiée par les dopeurs comme potentiellement utilisable pour améliorer la performance notamment dans les sports d’endurance. Avec un argument de taille : il apparaît très souvent une baisse de T3 induite par l’effort physique prolongée qui est tout à fait normale et très documentée dans la littérature scientifique. Les dopeurs présentent donc la prise de Lévothyrox, comme nécessaire pour un rééquilibrage hormonal. Et la question se pose de savoir combien d’athlètes présents au récent Championnat d’Europe de Berlin en sont des adeptes ? Y compris chez le médaillés français…

Quel est l’impact du Levothyrox sur la performance sportive ?

La molécule du Lévothyrox permet une amélioration de la performance selon trois axes : une perte de la masse grasse, un effet important dans les sports d’endurance – une stimulation de l’organisme-une potentielle action anabolisante.

Ce triple effet, stimulant–amaigrissant-anabolisant est très intéressant dans de nombreuses disciplines. Le sportif pourra effectuer des séances à meilleure intensité, et en bénéficiera aussi pendant la compétition.

Quelle quantité de Levothyrox ?

Le Lévothyrox chez un sujet sain est un accélérateur de l’organisme. C’est un médicament au dosage très sensible. Pour les patients, qu’ils soient en hypothyroïdie ou avec une ablation complète de la thyroïde, le médicament sert à compenser les productions hormonales de la thyroïde. Chez ces malades, un délai long d’adaptation s’avère souvent nécessaire pour trouver le bon dosage.

Chez le sportif, c’est également une molécule compliquée à doser. Comme l’explique Pierre Sallet, elle se distingue complètement par exemple de l’EPO, pour laquelle la question du dosage ne se pose pas vraiment. En résumé, on pourrait dire que pour l’EPO, plus on en prend, plus l’effet est important jusqu’à une certaine limite très lointaine.

Par contre, pour le Lévothyrox, il est nécessaire de prendre en compte la notion de boucle de régulation, de rétro-contrôle. D’où l’obligation d’évoluer progressivement, pour doper un athlète (même si on vous l’accorde le terme « dopé » est inadapté car on vous le rappelle la substance est légalement autorisée) car comme pour les corticoïdes, peuvent apparaître des « effets bloquants ». C’est une molécule qui nécessite une certaine expertise, a contrario de l’EPO, qui peut s’injecter très facilement.

levothyrox

Quels taux suivre ?

En France, un dosage des hormones thyroïdiennes est réalisé dans le cadre du suivi longitudinal mais par exemple ces marqueurs ne sont pas suivis dans les modules hématologiques ou stéroïdiens du passeport biologique.

Un traitement au Levothyrox par un sportif peut être justifié par un médecin impliqué, qui fixe la bonne stratégie. Mais en réalité, les hypothyroïdies, voire les ablations complètes de la thyroïde, sont très rares chez les sportifs de haut-niveau:

Quels sont les taux normaux chez l’Homme adulte dans l’âge des sportifs de haut-niveau?

T4 totale: entre 60 et 110 µg /l

T3 totale: entre 05 et 2 µg /l

TSH: 0.2 à 4 mUI/l

Il existe un lien entre les 3 hormones TSH – T4- T3 : il faut donc doser en parallèle ce triptyque, et non pas sur une seule hormone cible.

Un interdiction de compétition en cas de taux anormaux ?

Dans le cas de taux anormaux apparaissant dans un suivi biologique, il est envisageable de décider d’une incapacité sportive. Dans le cadre par exemple du programme « QUARTZ », suivi de santé qui s’applique essentiellement aux pratiquants du trail, plusieurs cas ont déjà été constatés, avec la décision d’un « No Start » : l’état de santé ne permet pas de laisser le coureur prendre le départ de la compétition, la prise en charge par un endocrinologue est exigée et le retour s’effectue après qu’un profil normal soit constaté. Une prise de Levothyrox de manière « libre et autonome » peut donc engendrer un profil anormal.

Dans le cadre des contrôles anti-dopage, il n’existe aucune détection du Levothyrox puisque la substance n’est pas interdite. Comme pour l’EPO, il serait toujours complexe de dissocier la thyroxyne produite de manière endogène et donc naturelle et la thyroxyne absorbée de manière exogène par voie orale.

Un dosage en fonction des sensations

La thyroïde fluctue énormément, d’où la nécessité d’effectuer de nombreux dosages pour trouver le bon équilibre. C’est à l’opposé par exemple des valeurs de l’hémoglobine qui présentent, elle, beaucoup d’inertie en dehors d’une hémorragie ou d’une transfusion.. Une mesure tous les 15 jours de l’hémoglobine permet d’appréhender assez efficacement si le sportif a eu recours à l’EPO ou à la transfusion sanguine. Par contre, pour d’autres hormones des dosages, parfois quotidiens, sont nécessaires pour obtenir une vraie cinétique de l’hormone.

C’est un sujet très technique et complexe. Pour les utilisateurs à des fins de dopage, qui ne souffrent pas de problèmes de thyroïde, et qui recherchent à booster l’organisme, il existe cette notion de tâtonnement pour trouver le bon équilibre: un dosage tous les trois jours? un toutes les semaines?

Un dosage à raison de deux fois par an, comme celui effectué pour le suivi longitudinal, n’est pas suffisant pour détecter un usage détourné mais satisfaisant pour dépister une éventuelle pathologie bien réelle. Dans la réalité du dopage, souvent les athlètes ne fonctionnent pas sur la biologie, ils fonctionnent aux essais : ils essaient de trouver le bon compromis dans l’usage. Ils mettent en place leur propre stratégie basée sur le ressenti plutôt que sur un contrôle de doses, par exemple une dose tous les trois jours pour faciliter les grosses séances. Un médecin qui conseille un athlète se basera lui plutôt sur les dosages. Ce sont deux stratégies différentes : l’athlète oriente sur le ressenti, le couple athlète-médecin se base sur un suivi biologique.

Quels sont les signes physiques extérieurs d’une utilisation de Lévothyrox ?

Ils sont peu nombreux exception de l’amaigrissement et du changement d’humeur parfois. Mais ceci est commun à beaucoup de substances : les stimulants, d’autres hormones. Ce n’est pas visible comme les corticoïdes, où une prise massive produit l’effet hamster, avec des sportifs très amaigris et une masse graisseuse au niveau des joues toujours présente ou pour l’hormone de croissance, l’apparition de « maxillaires carrés », qu’on a pu à nouveau constater durant le Championnat d’Europe de Berlin.

Quels sont les risques d’une utilisation du Levothyrox pour dopage ?

C’est une hormone qui accélère ou ralentit l’organisme. Un apport exogène d’une hormone limite la capacité des glandes à produire cette hormone. C’est le même risque que pour l’EPO, où un excès d’EPO, l’erythroblastopénie, conduit l’organisme à ne plus être capable de produire de l’EPO. Pour la thyroïde, un traitement sur plusieurs mois ou années chez un sujet sain présente un vrai risque, une fois le traitement arrêté, de présenter un dérèglement thyroïdien. Et pour les hormones, il n’est pas possible d’occulter les dérives sur les cellules et sur les tissus, avec des risques pouvant aller jusqu’au cancer.

Les risques pris avec les prises d’hormones, en-dehors des pathologiques avérées, sont énormes. L’hormone de croissance est dangereuse, car sa fonction anabolisante induit des renouvellements cellulaires avec des risques de cancer. C’est identique pour la testostérone, l’EPO, les hormones thyroïdiennes qui ont indirectement une fonction anabolisant. Il existe donc un danger très sérieux d’utiliser ces médicaments en-dehors d’un cadre thérapeutique pour une vraie pathologie…