A quelques jours des JO d’hiver, Hajo Seppelt avait levé le voile sur les analyses sanguines douteuses présentées par les meilleurs skieurs de fond mondiaux, dans les années 2001-2010, parmi lesquelles 18 Français. Toutefois ces taux anormaux seraient consécutifs à un gène particulier, le gène HFE. De quoi s’agit-il ??
Par Odile Baudrier avec Pierre Sallet
A quelques jours du début des Jeux Olympiques de Peyong Chang, le journaliste allemand Hajo Seppelt avait jeté un nouveau pavé dans la mare, avec l’annonce de valeurs sanguines anormales chez des centaines de skieurs de fond. C’est à partir de l’analyse d’une base de 10.000 tests sanguins, issus de 2000 skieurs, transmise à la chaîne allemande ARD et au journal britannique The Sunday Times, que ces conclusions très alarmistes avaient été dressées par un panel d’experts. Avec des chiffres très inquiétants, surtout celui que 1/3 des médailles, incluant 91 médailles d’or, remportées aux Jeux Olympiques et Championnats du Monde depuis 2001, étaient revenues à des skieurs dont les résultats apparaissent suspicieux. Et plusieurs pays se voyaient pointés du doigt, la Russie, la Norvège, la Suède, l’Autriche, l’Allemagne, et aussi la France, avec le chiffre annoncé de 18 skieurs de fond « douteux ».
Face à de telles accusations, Fabien Saguez, le DTN du ski français, avait riposté, en alléguant que les taux d’hématocrite élevés constatés chez les fondeurs correspondaient en réalité à une anomalie génétique, avec la présence du gène HFE, qui serait présent chez 10% des sportifs de haut niveau. Et de préciser que sur la période 2001-2010, ce sont 32 sportifs qui possédaient ce gène HFE et qui avaient obtenu une dérogation pour pratiquer. C’est par exemple le cas de Martin Fourcade, qui dès 2013, avait expliqué qu’il possédait ce gène HFE.
Une étude à analyser avec précautions
De quoi s’agit-il ? Pierre Sallet, spécialiste de l’anti-dopage, analyse les éléments autour de ces informations. En indiquant tout d’abord, les précautions à prendre pour interpréter les analyses reçues par l’équipe des journalistes allemand et britannique.
Avec un premier point très important, la nécessité de travailler avec des prélèvements suffisamment rapprochés pour pouvoir être interprétés : «Plusieurs études réalisées sur les suivis annuels hématologique de sportifs démontrent des variations annuelles possible jusqu’à 10% de l’hématocrite voire au-delà en cas de séjours en altitude; chiffres que nous vérifions régulièrement dans nos propres recherches». De ce fait, si un sportif présente une valeur de l’hématocrite de 45%, puis trois mois plus tard, de 51%, il n’est pas aisé d’affirmer que cette variation est liée à du dopage. On constate notamment pour les pratiquants des sports d’endurance ou d’ultra-endurance, que la concentration en hémoglobine remonte énormément après une période de désentraînement. Il existe également des variations naturelles des profils hématologiques, en fonction de l’entraînement, de la fatigue, de l’alimentation, de la déshydratation, de pathologies éventuelles et de la présence ou non en altitude. L’interprétation est vraiment fiable dans le cas d’analyses effectuées sur une période très courte, et idéalement avec des conditions analytiques stables.
Pour ma part, j’estime qu’il est vraiment possible d’interpréter les résultats dans le cas où les échantillons sont séparés de moins de 15 jours, et en toute connaissance du contexte général et en particulier de la localisation de l’athlète, à savoir s’il vit ou a effectué un stage en altitude. Or cette base de données n’est pas complète, elle n’indique pas la localisation des athlètes, leurs entraînements. C’est donc très difficile à traiter.
Malgré tout, j’ai pu constater moi-même des variations de taux chez des sportifs très connus, sur une durée de temps très courte. Et on ne peut que se demander comment ces personnes ont été autorisées à partir en compétition. Je pense qu’il faut adopter une grande prudence sur ces analyses, mais des choses choquent, avec des profils très variables sur une très courte période, qui ne peuvent s’expliquer par une simple exposition à l’altitude. Cela ne peut que faire penser à du dopage, et notamment à de la transfusion sanguine. »
Le gène HFE et l’hématocrite
Pourquoi évoquer le gène HFE pour justifier des valeurs d’hématocrite élevées ? Pierre Sallet analyse : « Deux publications peuvent l’expliquer. La première est celle de Hermine et al. en 2015 «Eighty percent of French sport winners in Olympic, World and Europeans competitions have mutations in the hemochromatosis HFE gene». La seconde a été publiée en 2016 par Grealy et al., à partir d’éléments constatés sur 196 triathlètes participant à l’Ironman d’Hawaï en 2008, et s’est consacrée à l’analyse de nombreux gènes notamment ACE, ACTN3, AMPD1…et HFE.
Dans les deux cas, les hypothèses de travail consistent à déterminer s’il existe un facteur génétique de prédisposition à la performance. En effet, depuis quelques années, avec la description du génome, on cherche à identifier des séquences de gènes, susceptibles de prédisposer un individu à la performance sportive, par exemple dans les sports d’endurance.
Qu’est-ce que le gène HFE ? : « Le gène HFE encode une protéine responsable de l’équilibre en fer dans l’organisme. Le fer est l’un des constituants des globules rouges. Par exemple, le fait par de supplémenter en fer par voie d’injections aura une influence sur une augmentation de l’hémoglobine et donc de l’hématocrite. La présence de certaines mutations naturelles de ce gène HFE pourrait engendrer de manière naturelle un profil spécifique avec des valeurs plus élevées pour l’hémoglobine favorables à la performance en endurance.»
Toutefois aucune étude scientifique ne montre que ce gène aurait un effet direct sur une variation très rapide des valeurs d’hémoglobine et d’hématocrite. Un profil élevé est une chose une variation du profil hématologique sur une période très courte en est une autre… Alors qu’à l’opposé, beaucoup d’études démontrent que la prise d’EPO et plus encore les transfusions sanguines, ont un effet direct sur l’hématocrite, et provoquent des variations sur des périodes très courtes.
La lecture critique d’une de ces deux études met en avant un biais important dans la comparaison entre un groupe contrôle qui vit mécaniquement plutôt en plaine (ce sont des gens qui fréquentaient les centres de l’Etablissement Français du Sang plutôt situés dans des grandes villes) et des sportifs de haut niveau comme des skieurs de fond exposés très régulièrement à l’altitude. Cela pourrait suffire à expliquer les variations d’hémoglobine qui sont constatées. Comme l’explique Pierre Sallet «si la comparaison avait été faite entre des populations toutes deux exposées à l’altitude, comme par exemple des moniteurs de ski versus des sportifs de haut-niveau en ski de fond et que des différences dans les profils hématologiques avaient pu être établies, là l’hypothèse de la présence d’une mutation du gène HFE spécifique aux skieurs de fond aurait pu être un élément explicatif; mais ce n’est pas le cas. Pour moi, ces remarques extérieures de prétendre que les mutations de ce gène expliquent les variations constatées dans les profils hématologiques ne font que brouiller de manière erronée les informations vers le grand public…»
Les médicaments contre l’asthme des Norvégiens
L’autre point litigieux durant ces Jeux Olympiques a été celui des quantités très importantes de médicaments contre l’asthme transportées par l’équipe de Norvège. Pierre Sallet a sa petite idée sur cette pratique : « En fait, dans le dopage, il existe trois niveaux. Le premier niveau est l’hyper-médicamentation: le sportif utilise toutes les substances qui ne figurent pas sur la liste des interdictions de l’AMA, mais qui présentent un effet ergogénique. Or nous avons identifié une trentaine de substances non inscrites sur la liste, mais améliorant la performance. On parle aujourd’hui beaucoup du Tramadol mais il y en a beaucoup d’autres… Dans une démarche de dopage, on commence donc par prendre ces substances. Ensuite, on détourne les AUT notamment pour obtenir l’usage de glucorticoïdes, en présentant une fausse pathologie ce qui est un jeu d’enfant. Ces deux premiers niveaux s’inscrivent encore dans les règles de l’anti-dopage à savoir que l’athlète n’a donc à ce stade commis aucune infraction par rapport à la réglementation existante. Et en 3ème niveau, on rentre vraiment dans le dopage, avec facteurs croissance, EPO, auto-transfusion… Mais chaque étage de la fusée améliore la performance. Toutefois, il est bien réel que l’exposition au froid et le besoin de ventiler de gros débits d’air peut provoquer des phénomènes bronchiques et/ou allergiques. C’est une réalité. Mais il est important de se poser la bonne question. De mon point de vue, en cas de crise d’asthme sévère, même s’il s’agit de la finale des JO en ski de fond, le sportif doit se soigner et ne pas prendre le départ; c’est ce que nous faisons d’ailleurs dans le cas du programme QUARTZ».
«J’ai pu constater par moi-même sur certains profils de sportifs une grande quantité de médicaments pris avec des effets ergogéniques réels, des AUT nombreuses, et ensuite ces personnes deviennent champion olympique ! Avec l’expérience malheureusement ça ne m’étonne plus, mais ça reste toujours incompréhensible. C’est clairement une stratégie de dopage déguisée. Les gens utilisent les règles, et celles-ci sont théoriquement faites pour que toutes les substances efficaces ne figurent pas sur la liste des interdictions et que les AUT ne puissent être détournées. Or la gestion des AUT étant actuellement confiée aux fédérations internationales ou finalement indirectement «à un pays», tout est justifiable, et il s’avère très facile de monter des dossiers pour obtenir des AUT de complaisance. Pour éviter cette dérive, il faudrait une autorité tierce indépendante qui gère ces dossiers de manière autonome et indépendante ou tout simplement supprimer les AUT…»
> Odile Baudrier avec Pierre Sallet