Le club d’Alès sera bien au départ de la prochaine Coupe d’Europe des clubs de cross. La nouvelle a remobilisé les troupes pris dans la tourmente suite à l’affaire de dopage El Goumri. Présents au Ouest France, ils ont entrepris une phase de reconquête qui sera capitale pour l’avenir du club. Ces Europe puis le France vont déterminer le futur du club.
Nous sommes le 10 mars 2016. Nous sommes encore dans le souvenir d’un France de cross disputé quelques jours plus tôt et remporté par Othmane El Goumri, l’Alès AC2A arrondissant la cagnotte par un nouveau titre de champion de France par équipe.
Nous recevons un message bref mais clair. La source est fiable, le cas d’Othmane El Goumri est dans les radars de l’IAAF pour passeport biologique présentant des anomalies. Cette information est publiable à une seule condition, qu’elle soit recoupée pour valider celle-ci.
Aussitôt, l’IAAF est contactée, la fédération marocaine également, mais personne ne veut s’engager à confirmer ce cas de dopage qui entache à nouveau l’image de l’athlétisme marocain mais surtout la crédibilité d’un club, l’AC Alès déjà criblé d’affaires qui ont ruiné la réputation du club cévenol.
Hassan Lahssini est alors contacté en secret : « Peux-tu rentrer en contact avec Othmane El Goumri pour qu’il te confirme ou non si une procédure IAAF est engagée contre lui ? ». Il a compris la mise en garde «Notre information est au conditionnelle mais tu dois t’attendre à ce que l’AC Alès tombe encore dans les turbulences ». Philippe Remond, nouvellement nommé manager du club, est également contacté avec la même requête et la même mise en garde.
Finalement, le texte rédigé le 10 mars au soir ne sera finalement publié que le 2 décembre lorsque l’IAAF annonce officiellement la suspension d’Othmane El Goumri, dans un premier temps argumenté par un refus de contrôle puis le 15 décembre pour passeport biologique présentant des irrégularités.
Depuis cette date, l’Alès AC2A est sur le grill. Il ne pouvait guère en être autrement. Une lourde addition à payer qui encore aujourd’hui, quatre semaines après l’annonce officielle de ce cas de dopage, a mis le club à vif, criblé de coup de canifs par une communauté qui se fait sourde aux justifs. Les esprits sont encore chamboulés, athlètes et entraîneurs dans la déprime d’une affaire qui, passée au crible, ne donne plus guère de crédits aux dirigeants seuls signataires et dépositaires d’une histoire chaotique. Un club, épouvantail du cross français ? Il est tombé dans le piège du recrutement à haut risque pour crawler dans les eaux du haut niveau. Est-il condamné au pain sec ?
Romain Courcières, touché dans son orgueil, fut le premier à jeter une bouée de sauvetage dans le paysage nébuleux d’une toile truffée de bien et mal pensants. Recruté le premier par un club amorçant un nouveau virage dans sa politique de haut niveau, il tente de cautériser la plaie mais le passé ne s’efface jamais. Désormais encore moins lorsqu’en un clic, les photos anciennes ressurgissent pour témoigner d’une complicité, d’une fraternité avec l’impie dans la joie d’une victoire. Le crossman en porte-parole improvisé, a donc pris des coups, nullement rodé à l’exercice délicat de l’autojustification. Les mots crus ou en pot pourri n’ont pas suffi à convaincre pour s’extraire d’un tel bourbier dans lequel les Free Run dopés à l’idée de disputer la Coupe d’Europe des Clubs ont ouvert les vannes de la revanche. Sur tapis vert, au jeu du qui perd gagne, une victoire a postériori, ça vaut la postérité, Romain Courcières n’a pas digéré.
Alors quel avenir pour l’Alès AC2A dans sa formule actuelle ? Les coureurs de l’ACA ont le blues, ils ne s’en cachent pas, chacun avec leurs mots. Ils ne baissent pas la tête pour s’expliquer, pour se convaincre que rien n’est peut-être encore joué, que l’aventure peut encore durer, que l’orage se dissipera pour des printemps meilleurs. Que la saison de cross qui, finalement, ne fait que commencer sera décisive. Ils veulent sauver leur peau, ils veulent sauver leur club. Deux échéances seront donc capitales, la Coupe d’Europe des clubs, ils ont finalement été autorisés à disputer ce rendez vous et le championnat de France où l’espoir de laver l’affront est grand.
Ils ont donc pris la route du Mans pour montrer le maillot, l’équipe première, l’équipe seconde, une idée de Romain Courcières. Se prendre par la main, ne pas se cacher sous une capuche, se redresser et tenter de se disculper si besoin. Direction le Ouest France pour chasser sur les terres de Free Run et pourquoi pas faire la peau aux Free Run ? A trois semaines des Europe, la stratégie de reconquête était lancée.
De l’AC Alès, on ne connaît que les dopés et les ex dopés, ça ne s’oublie pas, une étiquette difficile à dissimuler. La venue des Romain Courcières, Freddy Guimard et plus récemment des frères Gras n’a pas effacé l’ombre des tricheurs. Et puis il y a ceux dont on ne parle que rarement. Un nom dans le Midi Libre, un visage sur une photo d’arrivée, dans l’anonymat d’un groupe qui, malgré les turbulences, n’a pas tiré le signal d’alarme.
Au Ouest France, ils ont suivi les leaders. Ils n’ont pas été au centre du monde. Ils s’y attendaient ni avant, ni pendant, ni après, avec une marge de manœuvre pour convaincre de la minceur d’une feuille de saule. Freddy Guimard de les encourager « on n’est pas là pour se cacher. On passe beaucoup de bons moments ensemble et ça, personne ne le voit. On l’a fait à St Priest, on le fait ici. C’est reparti, c’est une nouvelle dynamique ».
Christopher Berraho qui s’est livré le premier au jeu dangereux de l’autojustification
Pour retrouver cette équipe, la salle de petit déjeuner du Campanile est le lieu idéal. Les uns après les autres, les huit coureurs se sont installés à la même table, celle de gauche. « Il faut parler au chef », ils ont tous désigné Romain mais c’est finalement Christopher Berraho qui s’est livré le premier au jeu dangereux de l’autojustification.
Christopher Berraho, talentueux jeune, fut détecté alors qu’il courait les courses de village autour de la proche banlieue de Nîmes. « Un jour j’ai gagné à Marguerittes devant les militaires, je n’étais que cadet. Ca a commencé comme cela ». Avec trois sélections internationales chez les juniors dont une place de 66ème au Mondial de cross 2003 disputé cette année là à Avenches en Suisse. 2017, c’est donc sa 17ème licence au club alésien. Pour signifier qu’il connaît tout de cette histoire tumultueuse, de fastes et de chausse trappes. Il raconte : « Les belles années du club, ce sont les années avec Hassan Lahssini. C’était le club magique. Hassan, c’était The coureur. Il était disponible avec les jeunes, il nous aidait, il appelait les journalistes pour que l’on parle de nous et du club. C’est la plus belle personne que j’ai connue. Son départ, ça nous a fait mal ».
Christopher Berraho a perdu un ami, Hassan Lahssini a quitté la France pour un retour dans son pays natal. Une fuite forcée, obligée faute d’avoir trouvé l’emploi espéré. Pour autant, il se refuse de juger la direction d’un club qui n’a pas eu l’élégance d’assumer la responsabilité du recrutement de El Goumri. Il dit simplement « nous dans la vie, on travaille, on est pris entre les deux. Mais on le voit cet investissement ». Il parle de son entraîneur Sylvain Ternynck « il s’est tellement plié en quatre pour les athlètes qu’aujourd’hui, il est découragé, démotivé. Ca, ça nous fait mal ». Quant à Yves Albaladejo, le trésorier du club, lourdement chahuté dans cette nouvelle polémique, c’est ainsi qu’il le décrit sans toucher un cil de l’homme fort de l’ACA « Oui, il est sanguin, il est entier, il dit tout haut ce qu’il pense. S’il veut te dire merde, il te le dira. Mais finalement, on s’attache à lui. Il casse les barrières ».
Abdelhah Bendaya, c’est l’aîné de l’ACA, arrivé il y a sept ans déjà lorsque le club de Michel Lelut, basé à Nîmes, disparaît. Il se décrit comme un touche à tout, du cross, du trail et de la route. Ses origines, elles sont marocaines. Il évoque l’arrivée de son père, à l’âge de 17 ans, recruté par des sergents à la solde des vignerons du Languedoc pour les vendanges « il est arrivé en septembre à St Dezery, il gelait dans les vignes. Finalement, il n’est jamais rentré. Il est resté 35 ans jusqu’à sa retraite chez le même patron». Il interpelle les gars qui lui font face « Tu imagines le choc pour un jeune ». Depuis peu, il s’est rapproché de Thierry Pantel pour organiser un grand cross de fin de saison. Pour s’investir lui aussi auprès des jeunes. Pour ramener du positif dans les affaires du club. L’épreuve aura lieu le 5 mars à St Chaptes dans le cadre du challenge Pujazon.
Sur la question des risques à recruter des coureurs marocains dont on ne maîtrise rien, il affirme ainsi son point de vue «ça serait irrespectueux de douter. Si on doute, on doute de tout ». Mais il concède « L’ambiance est bonne mais je reconnais qu’à l’extérieur, l’image n’est pas bonne ». Lui aussi veut absoudre les Albaladejo et le président Pascal Daniel de toutes critiques « Ils ont été trop confiants » en reportant la responsabilité sur Philippe Rémond, le pompier de l’ACA nommé manager en décembre 2015 « C’était bien, mais ça n’a servi à rien. On ne l’a pas vu comme au France de cross où il n’arrive qu’à la fin. Hassan aurait dû reprendre cette fonction, mais il est parti ».
Le bénévole, dirigeant patrimonial d’un club qui a voué sa vie à la bonne marche d’une structure
Il est de bon ton de ne pas tirer sur le bénévole, dirigeant patrimonial d’un club qui a voué sa vie à la bonne marche d’une structure. Les Albaladejo sont de ceux là, des êtres entiers, corsés, avec un maternalisme et un paternalisme que personne n’irait dénoncer dans l’enceinte même du club. On respecte le boulot fourni, les heures passées, les emmerdes assumées, leurs ambitions personnelles, leurs coups de gueule et tout le reste. Ils disent tous « chapeau ». Vincent Boucena formé au Bagnols Marcoules Athlé est de ceux là. Junior talentueux lui aussi, sélectionné à un Mondial de cross en 2009, il aurait pu choisir un destin du côté d’Aix les Bains, c’est finalement à Alès qu’il signe en 2005 « Pour côtoyer le haut niveau ». Aujourd’hui jeune entrepreneur, il est gérant d’un magasin running, il avoue avoir pris de plein fouet l’affaire Goumri «c’est le revers de la médaille de l’ancienne politique. Dommage car le club s’est tourné vers des jeunes Français en devenir ». Quant aux Albaladejo, pas touche, l’équipe est soudée pour ne rien dénigrer. Il fait corps pour s’exprimer ainsi « j’ai vécu pleinement de ma passion grâce à leur politique de haut niveau. Ils nous ont beaucoup aidés. Et c’est qu’en même à la base du bénévolat ».
Voilà le mot est encore lâché. Le bénévolat, une carapace, un écran dans lequel rien ne transpire, rien ne filtre. Sacrosainte effusion de l’associatif à la française. Julien Mendez a un petit côté Romain Courcières. De loin, les deux hommes ont la même allure, la même barbe. Foulée dans foulée, on pourrait croire à deux frangins. Originaire de Metz, ce brillant étudiant, ancien membre du pôle espoir chez les judokas a rejoint Alès après avoir réussi le concours d’entrée à l’Ecole des Mines. Autour de la table, on le chambre « t’es l’intello ». C’est peut-être pour cela que l’affaire Goumri lui est passée au-dessus comme un partiel raté et déjà oublié « Je reconnais que pour mes partenaires de club, c’est dur, mais je suis resté à ma place, loin de tout cela ». 14’53’’ sur 5000 m, l’élève ingénieur entraîné par Nicolas Naizot, s’est pris au jeu du haut niveau avec l’espoir de rentrer en équipe Une.
L’affaire El Goumri tombé pour dopage le 2 décembre dernier, sera-t-elle le dernier avatar d’une histoire chaotique ? Au bord du Gardon, les corbeaux noirs se sont noyés un à un. Mais l’ardoise ne s’effacera pas d’un simple revers de manche. L’AC Alès doit vivre et apprendre à vivre avec cela encore longtemps. Jusqu’à quand ? Les frères Gras très discrets sur cette affaire, c’est leur nature, ne se sont jamais mis en avant pour exprimer leur colère. Autistes d’une histoire qui n’a pas eu de prise sur les convictions du futur médecin du sport et du futur chirurgien, guère anxieux sur les conséquences financières si le club venait à rétrograder dans la hiérarchie du demi-fond français. Ils disent simplement «La politique va dans le bon sens. Nous avons été convaincus. On va faire la Coupe d’Europe ». La phrase est dite comme une fin de non recevoir. Ils ajoutent : «tout de même, partir ensemble dans un box, c’est quelque chose ».
> Texte et photos Gilles Bertrand