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Laurane Picoche, plein cadre dans les Vosges

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Laurane Picoche a choisi de vivre en immersion au cœur des Vosges, près de son village natal, dans une ferme ancienne qu’elle a entièrement rénovée avec son compagnon Jack Simard. Le couple y  cultive un style de vie atypique, entre l’athlétisme de haut niveau pour Laurane, également psychologue auprès de personnes âgées, et la musique pour Jack, rôdé aux concerts dans tout l’Est de la France.  Dans cet antre, Laurane s’apaise et tente de retrouver l’équilibre d’une pratique sportive perturbée par la fatigue chronique qu’elle connaît depuis plusieurs années, et qui l’entrave pour renouer avec les performances brillantes de sa jeunesse.

 

Il faut dépasser Plombières les Bains, pleurant son faste d’antan, et emprunter à droite après la station thermale, la petite route vers le Marbre, qui s’élève au milieu des bois. Le premier lieu dit affiche bien « Le Marbre », mais ce n’est pas le bon. Il faut poursuivre un peu plus loin, pour atteindre « Marbre », suivre cette route se muant en chemin et serpentant à travers les champs pour rejoindre une grande ferme isolée posée en pleine nature. Sur la gauche, deux chèvres nous assomment de leurs bêlements. Au milieu derrière une grande baie vitrée, un grand chien blanc s’agite et alerte sa maîtresse. Laurane Picoche sort tout sourire pour nous introduire dans son antre, une ancienne ferme lorraine qu’elle a découverte par hasard il y a sept ans.

L’ancienne propriétaire, Céline, avait quitté un an plus tôt cette maison où elle avait passé 96 ans de sa vie dans des conditions rudes, habitant dans une seule pièce, avec l’eau à aller chercher à la fontaine dans la cour. Laurane et Jack, son compagnon, sont séduits par la grande bâtisse et son histoire. A la belle époque, avant la Révolution, cette exploitation comptait 25 hectares de terres, deux écuries, un four à pain pour tous les environs, un espace pour affiner les fromages, et le cagibi de l’entrée servait d’école pour les enfants du hameau.

Ils ont beau n’avoir alors tous les deux que 24 ans, ils ont cette envie chevillée au corps de vivre dans une vieille bâtisse au cœur de leurs Vosges Natales. Un banquier se fait compréhensif, et un prêt leur est accordé, en dépit de leurs statuts particuliers, Laurane encore étudiante et Jack musicien intermittent du spectacle.

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Ils attaquent alors sept années de travaux. Toutes les rénovations, à l’exception de l’électricité et la plomberie, passent par leurs mains. Une besogne ardue qu’ils assument sans ciller, pour bâtir ce lieu devenu magique par son esthétisme soigné, et son grand raffinement. Le grand espace de vie chauffé par un poêle bois se structure autour d’un énorme plan de travail, mêle meubles en bois massif, plantes grasses disséminées, fauteuils anciens recouverts par Laurane, douée aussi du talent de tapissière.

Laurane et son compagnon se sont lancés à corps perdus dans cette aventure. Elle sourit en racontant les soirées passées jusqu’à minuit sur l’escabeau pour finir l’enduit d’un mur. Et Jack confie : « On ne se rendait pas compte que ce serait aussi difficile. C’est l’insouciance de la jeunesse. Il ne faut pas savoir ce qui t’attend. C’est un peu comme un marathon ! »

Près d’une décade a passé, le couple, 31 ans tous les deux, s’est aussi bâti en parallèle une vie atypique. Laurane souligne : « On fait chacun ce qu’on aime. » Elle l’athlétisme de haut niveau, en parallèle de son métier de psychologue. Jack, la musique, avec déjà 5 albums à son actif, et des concerts à foison. Une dualité étonnante mêlant deux univers que tout semble opposé. Et Jack de confirmer : « C’est compliqué quand mes musiciens sont là. Dans le monde de la musique, on se couche tard, et on picole pas mal. Mais ils savent ce que fait Laurane, et font très attention à ne pas la déranger… »

Total respect pour cette jeune femme lumineuse, qui n’est pas la dernière à aimer faire la fête, mais qui a appris à reléguer ses envies pour respecter le rythme de vie qu’impose le sport de haut niveau : « C’est très égoïste. On a l’impression de toujours dire non. » Jack s’y est habitué, il a aussi appris à courir pour accompagner sa bien aimée dans les footings. Elle arpente en général les forêts aux alentours de leur maison, et s’arrête aussi parfois au retour de son travail à Corniemont près de la Bresse pour découvrir d’autres parcours. Au gré de ses humeurs du jour.

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Laurane évolue seule et sans entraîneur. Un choix qui s’est imposé à elle, justifie-t-elle : « C’est compliqué d’avoir un entraîneur à distance. Et aussi car je fais au jour le jour en fonction de mon état de fatigue. » Une situation de fatigue chronique qu’elle connaît depuis 2009, et qui pèse largement sur sa carrière : « Avant, je pouvais prédire mes temps en compétition à partir de l’entraînement. Maintenant, sur la ligne de départ, je ne suis pas sûre que je vais bien courir. »

Son quotidien est marqué par cette fatigue qui la submerge parfois au point de l’empêcher de courir plus de 40 minutes, et qui, à d’autres moments, s’atténue pour lui laisser la possibilité de très belles séances. Elle se régule toute seule depuis 2013 et l’arrêt de sa collaboration avec Nicolas Jeudy, l’entraîneur de ses débuts. Ellet s’appuie maintenant sur les conseils d’interlocuteurs variés, en priorité ceux de Christelle Bardelle, qu’elle accompagne souvent en stage, comme l’année dernière à Flagstaff. Cet hiver, sur le conseil de Rachid Esmouni, ancien manager, elle s’est aussi tournée vers Christopher Morrissey, coach de quelques athlètes.

Mais comme toujours, elle a dû bouleverser les choses, pour gérer le paramètre fatigue, et elle s’en justifie : « Je ne peux rien prévoir. Ce n’est pas une absence de construction. C’est indépendant de ma volonté. » La situation lui pèse de plus en plus, et elle avoue : « Il n’y a plus trop de périodes agréables actuellement. Ce n’est pas apaisant comme la course à pied a pu l’être. »

Sa jeunesse au club de Remiremont demeure pleine de si beaux souvenirs, avec ces titres qu’elle avale avec gourmandise. Championne de France junior du 3000 m et vice-championne de France de cross en 2004. Championne de France espoir du 5000 m en 2005, du 1500 m et du cross en 2007. Les choses sont alors si faciles : « Dans les petites structures, on ne nous met pas la pression. C’était une bonne insouciance ! » Laurane est alors persuadée qu’elle stoppera tout après ses années juniors. Son départ à la faculté de Nancy puis Montpellier crée une rupture, elle ne court plus de façon régulière. Et elle souligne : « Si on m’avait mis trop de cadre, j’aurais arrêté. Je préférais profiter de ma vie d’étudiante. » Elle marque ainsi le pas, et son retour pour le Championnat de France de cross en 2012 crée une immense surprise avec ce nouveau titre qu’elle s’adjuge. Avec l’or à nouveau conquis à l’été 2013, sur 1500 mètres, ce seront ses derniers faits de gloire.

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L’été dernier, Laurane a fêté ses 30 ans, et elle l’avoue, cet anniversaire lui a fait mal : « Je vois que toutes mes meilleures performances remontent maintenant à plus de 3 ans. » Elle égrène son record sur 1500 m, ses 4’11’’ qui demeurent d’actualité depuis 2009. Son temps sur marathon, ses 2h39’ à Paris en 2014, qu’elle considérait comme simple étape. Son projet de marathon de Francfort de l’automne dernier a été torpillé par les blessures, et à Hambourg, ce printemps, elle a préféré abandonner, se sentant hors du rythme exigé pour les 2h30’ qu’elle espérait. Cet échec l’a convaincue de reconstruire son avenir différemment. Elle ne veut plus  maintenant s’attaquer à un marathon sans avoir repoussé ses records sur 5000 m, 10 km route et semi-marathon, pour s’appuyer sur de meilleures bases.

Dans cette optique, elle a retrouvé la piste, qu’elle avait délaissée depuis près d’un an et demi, gênée par une blessure au talon : « J’ai été négligente. Mais j’en ai besoin pour ma foulée. » Elle a ainsi renoué quelques jours plus tôt avec Héricourt, aux côtés de quelques copains du HAAC, et elle mettra aussi le cap sur le stade de Wagney, petite ville située à proximité de son travail.

C’est peut-être dans son EHPAD de Corniemont que Laurane s’épanouit le mieux actuellement, avec cet engagement aux côtés de personnes âgées, qu’elle épaule psychologiquement, ainsi que leur entourage, ou encore le personnel soignant pour lequel elle a créé des groupes de travail. Laurane, seule psychologue de l’établissement, sent qu’elle joue ici un vrai rôle. A son grand étonnement car étudiante, elle se destinait avant tout à collaborer avec des enfants, elle a ainsi longtemps travaillé dans une structure réservée aux polyhandicapés. A terme, elle rêve de pouvoir exercer la thérapie familiale, son projet initial, mais elle veut aussi que son travail n’absorbe pas tout son temps. Et elle évoque à nouveau son refus d’être enfermée dans un cadre trop rigide.

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Jack n’a pas fait d’autre choix. A la fin de son master de commerce international, il décide de tourner le dos à l’avenir professionnel qu’il envisageait. Il préfère prendre le risque d’une vie d’artiste, enchaînant disques et concerts.

En cette fin de journée pluvieuse, Jack vient de garer le camion rouge devant sa maison. Il arrive de la prison de Vesoul où il a animé des ateliers d’écriture, une nouvelle expérience pour enrichir aussi ses créations.

Il nous trouve dans le bureau-salon où Laurane nous a installés pour nous raconter son parcours. C’est là avec son piano et ses guitares que le chanteur compose ses textes et crée ses musiques que son arrangeur Yannick Villenave tonifie ensuite à coups de cuivres.  « Du bruit pour rien», son dernier album sorti à l’automne reflète un univers un tantinet sombre, mais il en émerge une belle énergie portée par des paroles poétiques. Laurane, sa muse, est aussi le premier juge de ses nouvelles créations. Jack accueille avec respect ses remarques. En dix ans de vie commune, il a appris que si elle commente d’un « C’est pas mal », cela signifie en fait « C’est bien ». Un excellent repère pour un artiste toujours inquiet de sa créativité. Quelques textes forment une superbe ode à son aimée. On la devine dans « Il me restera toi », et on la retrouve citée dans le magnifique morceau « Du mouvement », avec cet aveu explicite : « « Mon cœur qui bat pour toi, ma Laurane. ». Laurane en mouvement, ce n’est pas du bruit pour rien !

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photos : Gilles Bertrand