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L’agence Rosa, un monstre sacré déchu au Kenya

La Fédération d’athlétisme du Kenya a pris une décision radicale en suspendant pendant six mois les deux sociétés de management, Rosa   et Associati et Volare Sports. Un coup d’éclat à l’encontre en particulier de l’Italien Federico Rosa, devenu manager après son père, le Docteur Gabrielle Rosa, impliqué au Kenya depuis le début des années 1990.

 

Le Docteur Gabriele Rosa
Le Docteur Gabriele Rosa

Le message est clair et précis. Il n’y a plus de chasse gardée au Kenya. Isaiah Kiplagat a choisi de marquer d’une manière forte la fin de sa présidence de la Fédération d’athlétisme du Kenya après 23 années passées à la diriger. Officiellement, Isaiah Kiplagat marque une pause de trois mois, le temps de travailler à sa candidature comme vice-président de l’IAAF. Mais il semble certain que, élu ou pas, il ne retrouvera pas son poste à la tête de l’AK. Un tour de passe passe pour débloquer ainsi la grave crise apparue en ce début d’année autour de la Fédération très contestée entre dopage et corruption.

Et comme par une sorte de symbole, Isaiah Kiplagat a torpillé au passage un autre « ancien » de l’athlétisme national, l’Italien Rosa, avec cette suspension de six mois prononcée à l’encontre de sa société de management. Elle se retrouve ainsi mise à l’index au même titre que l’Hollandais Gerard van der Veen, au motif que des deux sociétés seraient responsables de la montée en charge du dopage parmi les athlètes kenyans. La marathonienne Ripta Jeptoo, suspendue deux ans en janvier suite à l’usage d’EPO, relevait ainsi du groupe Rosa, comme Mathew Kisorio, le premier Kenyan déclaré positif en 2012.

Que contiennent les dossiers de la Fédération du Kenya à l’encontre des managers ? L’avenir nous le dira (peut-être). Mais il est probable que quelques informations sulfureuses y figurent, vu les liens très privilégiés existant entre le Kenya et le Docteur Gabrielle Rosa, depuis un demi-siècle.

Gabrielle Rosa, un précurseur au Kenya

Gabrielle Rosa a découvert le géant de l’Afrique de l’Est en 1991, dans la mouvance de Moses Tanui que le coach, ancien conseiller de l’Italien Poli, a amené au titre de champion du monde de 10.000 mètres à Tokyo. Il deviendra ensuite l’entraîneur de très grands noms au Kenya, Eric Kimayo, Moses Tanui, Paul Tergat, Martin Lel, Sammy Wanjiru, Sammy Korir, Nancy Langat, Margaret Okayo, Janet Jepkosgei Busienei. Il les supervise au Kenya, et sa ville de Brescia en Italie leur sert de tête de pont lors de leurs déplacements sur l’Europe. C’est là que ce médecin a installé sa clinique du sport, qui a contribué à alimenter des rumeurs d’actions douteuses à l’encontre des athlètes de son groupe, même s’il faut admettre à sa décharge que le docteur Rosa n’a jamais été mis en cause dans les différentes affaires de dopage découvertes en Italie.

Depuis cette époque, nous avions croisé Gabrielle Rosa à moult reprises, comme en 2005, à Eldoret, dans le cadre du Discovery Challenge, il était revenu alors sur sa découverte du Kenya, avec le double constat de l’énormité du réservoir de jeunes talents et de l’extrême dénuement régnant alors dans l’athlétisme.

Un choc tel qu’il allait transformer sa vie, il devenait un aficionado du pays où il allait être le premier, avec le regretté Kim Mc Donald, à bâtir ces camps d’entraînement qui se transformaient au fil du temps en usines à performances et qui se multipliaient à mesure que les sommes financières en jeu dans les marathons à travers la planète augmentaient.

Avec la montée en charge des enjeux financiers, le groupe du Docteur Rosa essaimait autour d’Eldoret, avec la construction d’un grand centre d’entraînement financé par Nike, à Kaptagat, à 16 kilomètres à l’Est d’Eldoret, et animé par Claudio Berardelli, devenu le coach de référence pour le groupe Rosa.

Claudio Berardelli, coach au quotidien au Kenya

Nous l’avions rencontré au printemps 2009, et il avait expliqué son parcours qui avait amené cet ancien cycliste et étudiant en sports à s’installer au Kenya à partir de 2004, pour s’y transformer en éminence grise de son mentor. Il n’avait alors que 24 ans, mais avait fait le choix de vivre en immersion à Eldoret huit à neuf mois par an pour y superviser l’entraînement et la vie quotidienne des ouailles du groupe Rosa. Sous sa houlette, les succès se succèdent pour le groupe, médailles aux JO, au Mondial, victoires sur les grands marathons mondiaux.

Claudio Berardelli s’est immergé dans cette vie à la Kenyane, levé très tôt le matin pour suivre ses athlètes à la trace à l’entraînement, pour constamment adapter les séances, et il a ainsi vécu de l’intérieur ce qu’on a appelé la révolution du marathon, avec une explosion incroyable des performances dès les années 2008-2009, où en une semaine, 13 Kenyans courent entre 2h04’ et 2h09’.

Dans la foulée, les questionnements autour du jeune entraîneur n’ont pas manqué, mais Claudio réfutait alors toute idée de tromperie, clamant à tout va : « les Kenyans n’ont pas besoin de dopage ». Et il appuyait son argumentaire sur le talent naturel des athlètes et sur le problème de l’argent à trouver pour les produits.

Claudio Berardelli
Claudio Berardelli

Federico Rosa, le nouveau manager

Cinq ans plus tard, le ton a complètement changé du côté du troisième larron du groupe Rosa, Federico, le fils de Gabrielle, qui a repris le flambeau de son père, âgé maintenant de 73 ans. A l’automne 2014, la nouvelle du contrôle positif de Rita Jeptoo vient de tomber en boomerang, en plein marathon de New York, et le manager se voit évidemment mis en cause, ainsi que Claudio Berardelli, la marathonienne ayant passé trois années dans leur giron.

Interrogé par le site « Competitor.com », Federico Rosa prend de suite de la distance avec Rita Jeptoo, arguant qu’elle lui aurait déclaré avoir souffert de la malaria, et qu’un médecin lui aurait effectué une injection. Le manager se prétend surpris qu’elle n’ait pas plutôt consulté le médecin italien de Nairobi avec lequel le groupe Rosa collabore depuis 20 ans.

Il insiste aussi sur le sentiment que ce mauvais épisode pourrait provoquer une prise de conscience pour que les choses changent au Kenya. Car il l’avoue très clairement : « Il y a un vrai problème de dopage dans le pays ». Et de pointer du doigt que la situation se serait dégradée à partir de 2007, à la faveur des sommes élevées distribuées dans de nombreux marathons, incitant les athlètes à franchir la ligne rouge.

Mais Federico Rosa réfute toute responsabilité dans cette situation, et dès janvier, alors que huit autres marathoniens viennent d’être bannis au Kenya, il décide d’introduire à Eldoret une machine pour tester le sang des coureurs de son groupe.

Dan la foulée, fin janvier, le Docteur Rosa, sorti de sa retraite pour le traditionnel Discovery Cross, tient des propos offensifs pour déclarer au journaliste Elias Makori : « Nous sommes prêts à nous battre. Nous sommes prêts à supporter le Kenya ».

Par cette attitude offensive, le groupe Rosa veut se démarquer des dizaines de managers et coaches intervenant maintenant dans le pays, à la recherche des pépites d’or que sont les coureurs kenyans, capables de rafler les podiums de tous les marathons de la planète.

Un temps, il semble que cette stratégie soit payante. Fin février, la fédération kenyane crée la surprise en défendant le renouvellement du permis de travail de Claudio Berardelli, arguant justement qu’il est préférable d’avoir un entraîneur identifié avec des papiers en règle plutôt que des dizaines d’étrangers évoluant dans l’illégalité.

Une plainte et un témoignage de Jeptoo ??

Mais la situation se retourne brutalement en cette mi avril, et le groupe Rosa se voit mis à l’index. Probablement à la suite du rapport réalisé sur l’affaire Jeptoo, qui pourrait mettre en cause le coach et le manager de la marathonienne.

Immédiatement, Federico Rosa a contre-attaqué, annonçant à la Gazetta qu’il porterait cette interdiction en justice dès sa notification officielle. Avec dans les témoignages en sa faveur, celui de Rita Jeptoo elle-même. Car comme le souligne la jeune journaliste Evelyn Matta, lors de son audition auprès la Fédération du Kenya, la marathonienne aurait dédouané de toute responsabilité dans son dopage son entraîneur et son manager, soutenant avoir agi à leur insu.

Dans les cas de dopage, la thèse de la surprise est la plus adoptée par les entraîneurs, soucieux de se dédouaner à bon compte. Mais elle paraît difficile à accepter de la part de techniciens de l’entraînement, se présentant comme de très grands connaisseurs des performances, et des méthodes.

Cette stratégie de l’ignorance suffira-t-elle à sauver Rosa Associati, et à remettre sur pied ce monstre sacré au Kenya ????

    Texte : Odile Baudrier
> Photo : Gilles Bertrand