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L’Afrique, la bonne aubaine pour la lutte anti-dopage en athlétisme

La lutte anti-dopage menée en athlétisme par l’Athletics Integrity Unit rencontre un vrai succès, souvent salué par les spécialistes d’autres sports, frustrés de voir la distorsion entre les sanctions en athlétisme par comparaison avec celles, par exemple, du cyclisme ou du tennis. Toutefois, il est notable que cette réussite s’appuie plus que largement sur des suspensions appliquées à des athlètes issus du continent africain. En 2024, sur 71 décisions prises par l’AIU, 58 ont concerné l’Afrique, incluant 48 pour le Kenya, le mastodonte du dopage.

Les chiffres parlent tout seuls, pour livrer une situation du dopage catastrophique au Kenya, et déjà préoccupante en Ethiopie. L’année 2024 s’est achevée sur un total de 71 suspensions décidées par l’Athletics Integrity Unit. Et un rapide comptage permet de recenser 48 athlètes du Kenya, soit 67% du total ! C’est énorme, et cela témoigne parfaitement de l’utilisation endémique des produits dopants dans ce pays.

En numéro 2 sur ce podium douteux, pointe l’Ethiopie avec 5 cas. Et ensuite, entre Erythrée, Ouganda, Maroc, Soudan (ART), on arrive à un chiffre de 58 pour le continent africain, cela signifie 80% du total 2024.

Un autre bloc se distingue, celui des pays dits « de l’Est », avec 10 cas, incluant 4 pour la Russie, 2 pour l’Ouzbékistan, puis l’Ukraine, la Lituanie, le Kazakhstan, la Biélorussie. Enfin, s’égrènent les noms de 11 pays affichant un seul cas, (parmi lesquels la France) à l’exception de l’Espagne (2 cas) et du Bahrein (2 cas). A noter par un seul Américain.

En résumé, l’anti-dopage trouve son pain béni au Kenya pour afficher des chiffres très flatteurs. Très logiquement bien sûr tant la situation du Kenya est plus que préoccupante, et il est louable de stopper le maximum de tricheurs qui souillent aussi les podiums des courses sur route à travers le monde entier. Car le Kenya est le seul pays au monde qui compte le plus de coureurs d’élite capables de disputer chaque semaine, marathons, semis, 10 km sur tous les continents, et visiblement très utilisateurs de produits interdits…

Des moyens exceptionnels déployés au Kenya. Et ailleurs ??

Pour mener à bien cette lutte, l’Athletics Integrity Unit a déployé des moyens exceptionnels avec la présence au Kenya, en permanence, d’un de ses salariés, le Français Raphaël Roux, chargé de mettre en œuvre la lutte anti-dopage, par un travail de renseignement et de compilations d’informations. C’est très payant, comme en témoignent les suspensions qui tombent à un rythme impressionnant.

Avec tout de même, cette interrogation : et si d’autres pays bénéficiaient de cette méthode, quels seraient les résultats obtenus ??

Et il est notable aussi les résultats importants obtenus au Kenya découlent d’un contexte particulier : les athlètes kenyans mis en cause renoncent pour la plupart à être défendus par un avocat, et sont livrés à eux-mêmes, leurs managers se mobilisant très rarement à leurs côtés. Les suspensions sont ainsi décidées très rapidement, directement par l’AIU, avec un délai très court laissé à l’athlète pour se justifier, accepter la suspension ou refuser. Il n’est assisté par un avocat que s’il rejette la sanction proposée et exige l’arbitrage de « Sports Resolutions », l’organe d’appel pour l’athlétisme. Egalement très peu d’athlètes kenyans sont allés jusqu’à déposer un recours devant le Tribunal Arbitral du Sport, au contraire des Européens ou Américains, qui n’hésitent pas à engager les frais exigés pour tenter d’obtenir gain de cause et ainsi protéger une carrière souvent très prolixe financièrement…

Comme le constatait un acteur français de l’anti-dopage, la lutte anti-dopage en Europe et aux Etats Unis exige un travail juridique très sophistiqué pour offrir le moins possible de marges de manœuvre aux avocats des sportifs mis en cause. Et cela complique évidemment la tâche…

Analyse : Odile Baudrier

Photo : D.R.