L’AFLD est en pleine mutation, suite à la mise en conformité de la loi française avec le code mondial anti-dopage. Les contrôles anti-dopage seront désormais organisés par sport, et non plus par les CIRAD, ces conseillers interrégionaux. Un changement radical qui devra être parfaitement géré pour que la lutte anti-dopage ne soit pas pénalisée. D’autant qu’il s’ajoute à la contestation des préleveurs, et des problèmes autour du déménagement du laboratoire de Châtenay Malabry.
4 conseillers en 2019. 11 en 2018. Le dispositif de la lutte anti-dopage s’est brutalement étiolé à la date du 1er mars 2019. A l’origine de ce petit séisme, une mutation radicale impulsée par l’Agence Anti-Dopage Française, dans la foulée d’une nouvelle loi du sport plus en accord avec les règles du code mondial anti-dopage.
Exit donc la fonction de CIRAD, Conseillers Interrégionaux Anti-Dopage, créée en 2015, avec la charge de programmer les contrôles à la demande de l’AFLD, de diligenter les préleveurs sur le terrain, ou encore de travailler dans le domaine du trafic des produits dopants.
Un système bien huilé, mais remis en cause par l’audit réalisé au printemps 2018, par l’Agence Mondiale Anti-Dopage, qui voit d’un mauvais œil que ces conseillers soient en réalité tous des fonctionnaires d’Etat, mis à disposition de l’AFLD par le Ministère des Sports. Avec la crainte que l’Etat puisse ainsi peser sur la lutte anti-dopage, comme on a pu le voir en Russie.
Le virage à opérer est radical. Des fonctionnaires Jeunesse et Sports ne peuvent tout à coup devenir des salariés de l’AFLD… Les péripéties se succèdent jusqu’à ce début mars, où la situation se clarifie enfin pour faire apparaître un dispositif plus que dépouillé, avec un nombre de conseillers divisé par trois. Mais également remanié à 100%, avec des contrôles désormais organisés par sport, et non plus au niveau interrégional.
Pourquoi les CIRAD ont-ils déserté ? Certains ne souhaitaient pas poursuivre la collaboration avec une équipe de direction de l’AFLD, qui apparaît très décriée pour ses difficultés à dialoguer. D’autres ont été rebutés par la nouvelle organisation des contrôles qui les a incités à refuser de poursuivre.
Un délai trop court pour changer de méthode ?
Exemple avec Jean Maurice Dradem, le Conseiller Ile de France, qui, mi-février, était d’accord sur le principe de poursuivre sa fonction jusqu’à la fin 2019, « au nom du service public », pour éviter toute interruption des contrôles. Mais l’annonce du découpage par discipline l’a poussé à renoncer : « Le travail à effectuer pour tout rebâtir est énorme ». D’autant que l’information de cette nouvelle méthode ne lui a été communiquée par Damien Ressiot, le Directeur des Contrôles à l’AFLD, qu’autour du 22-23 février. Sur le principe, Jean-Maurice Dradem admet que la découpe par sport lui apparaît parfaitement pertinente. Mais le projet lui semble mis en place trop rapidement. D’où son refus : «Du jour au lendemain, je dois prendre la responsabilité d’une discipline. Et je dois diligenter des contrôles partout en France. Je ne me sentais pas capable, et je n’ai pas envie. Je ne veux pas signer un chèque en blanc, où j’ai la responsabilité d’une discipline. Je ne veux pas accepter une mission sans être sûr de pouvoir la mener à bien. » L’AFLD a tenté de faire revenir sur sa décision ce CIRAD très efficace, mais sans succès.
Avec surtout, une inquiétude majeure, celle de l’interaction avec les préleveurs. Car Jean-Maurice Dradem l’avoue, il avait atteint une vraie osmose avec « ses » préleveurs, qui lui permettait de monter en catastrophe, si besoin, des contrôles, et d’assumer en parallèle plusieurs contrôles. Comme en février, où dans la même journée, 4 compétitions en Ile de France ont reçu la visite de préleveurs, pour atteindre en un mois, un total de 130 quotas. Le fait de devoir maintenant s’appuyer sur des préleveurs situés dans toute la France lui apparaît très contraignant.
Surtout que la grogne des préleveurs ne s’est pas encore achevée, avec selon les zones, plus ou moins de préleveurs refusant de prendre des missions, pour protester contre une nouvelle grille de rémunérations, moins intéressante qu’auparavant.
Le problème autour des préleveurs constitue aussi un gros point d’interrogation pour Christophe Bassons, qui est l’un des quatre fonctionnaires, avec Guillaume Zekri, Fabrice Dubois, Christophe Evano, à avoir accepté de poursuivre sa mission, sous la nouvelle casquette de Coordinateur Anti-Dopage, jusqu’à la fin de l’année 2019, le statut d’agent de l’Etat mis à disposition de l’Agence Anti-Dopage ne pouvant se poursuivre à partir de 2020.
Christophe Bassons veut vivre la réforme de l’intérieur
Christophe Bassons, comme Jean-Maurice Dradem, avait bâti une relation de proximité avec les préleveurs de sa région Nouvelle Aquitaine. Il sait que ce contact personnel ne sera plus de mise dans la nouvelle organisation, avec un fonctionnement s’appuyant simplement sur un logiciel pour connaître les disponibilités des préleveurs sur une zone.
Malgré tout, l’ancien cycliste a souhaité poursuivre l’aventure de l’anti-dopage, même dans ce cadre remanié. Ce combat fait partie de sa vie depuis ses années vélo et son opposition à ces pratiques. Même s’il affirme avoir pris le temps de la réflexion, il n’a pas voulu interrompre sa fonction. Pour lui aussi, la spécialisation devrait permettre à chaque correspondant de mieux maîtriser son sujet, pour planifier des contrôles sur toute la France. Bien qu’il admette que la charge de travail pour rebâtir un nouveau système sera très importante, la passion l’a emporté : « Je suis curieux de voir de l’intérieur le nouveau dispositif. Cela m’en dira long sur la campagne de contrôles qui sera mise en place d’ici les JO. Quelle place aura l’AFLD par rapport à l’AMA ? Cela m’aurait embêté de ne plus y être pour le voir. »
Christophe Bassons se veut résolument positif. Et il en faudra de l’optimisme à ce quatuor de coordinateurs pour absorber la charge de travail assumée précédemment par 11 CIRAD, dans un contexte de forte tension avec les préleveurs.
La lutte anti-dopage pourrait-elle en pâtir ? Tous les interlocuteurs se récrient d’une seule voix, pour espérer que la prise de risques soit la plus faible possible. D’autant que l’AFLD doit aussi faire face à un problème imprévu autour du transfert du laboratoire de Châtenay Malabry. Le choix de l’installation à Orsay ne satisfait pas Valérie Pécresse, la présidente de la Région Ile de France, qui veut qu’il déménage au Génépole d’Evry Courcouronne. Et qui exige aussi que le laboratoire libère les locaux qui lui sont loués par la région dès la fin 2019, soit trois ans avant le déménagement officiel programmé pour 2023.
La pièce maîtresse du contrôle anti-dopage, son laboratoire, se retrouve, ainsi, elle aussi, sous pression…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.