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La résurrection du groupe Jama Aden à Lausanne

 

Le meeting de Lausanne a été le cadre de très bonnes performances de Genzebe Dibaba et Aleyman Souleiman, s’imposant aisément sur le 3000 m et 1000 m. L’Ethiopienne et le Djiboutien reviennent aux avant postes après des Jeux Olympiques en demi-teintes, l’argent pour la recordwoman du monde du 1500 m, et une 4ème place pour le recordman du monde du 600 mètres. Le duo s’est illustré sous les yeux de leur entraîneur Jama Aden, que la Justice espagnole a autorisé à quitter le pays, après que l’enquête en cours à son encontre pour des faits de dopage lui ait interdit d’assister aux JO de RIO. Mais il semble qu’en réalité, le tribunal lui ait rendu son passeport, mais que l’IAAF l’aurait menacé de le suspendre s’il se rendait à Rio comme coach.

Aleyman Souleiman
Aleyman Souleiman

La résurrection par Jama Aden. C’est ce qu’ont connu à Lausanne les deux leaders du groupe de l’entraîneur somalien. Sous les yeux de son entraîneur, Genzebe Dibaba a brillé la première, l’Ethiopienne éclipse ses rivales pour un 3000 mètres bouclé en 8’31’’84. Aleyman Souleiman a parachevé la démonstration, le Djboutien supplante nettement ses adversaires pour finir son 1000 mètres en 2’13’’49, Record personnel battu de 2 secondes, nouveau record de Djibouti et d’Afrique, et 5ème performance de tous les temps.

Le plateau du 1000 mètres rassemblait pourtant les meilleurs demi-fondeurs mondiaux, autour de  Matt Centrowitz, le champion olympique de Rio, et Asbel Kiprop, triple champion du monde. Tous se voient dominés par Aleyman Souleiman, pourtant très en demi-teintes à Rio. Il s’était fait sortir en demi-finale du 800 mètres, et n’avait terminé que 4ème sur le 1500 mètres.

Un record du monde en février, et pas de médailles aux JO pour Souleiman

Deux résultats peu en rapport avec son standing, il avait conquis le record du monde du 1000 mètres en salle en février, et était devenu champion du monde en salle. Aleyman Souleiman n’a pas brillé sur ces JO. Et pas beaucoup plus sa partenaire d’entraînement, Genzebe Dibaba, confinée à une médaille d’argent sur le 1500 mètres, bien en deçà des espoirs attendus pour celle qui peut se targuer d’un record du monde stratosphérique, avec 3’50’’07.

Jama Aden, présent à Lausanne

A Rio, le duo évoluait sans son coach. Jama Aden se voyait retenu en Espagne sur une décision de la justice espagnole après la découverte en juin dans son hôtel de Sabadell de produits dopants. Le Tribunal avait refusé de lui restituer ses passeports pour qu’il voyage jusqu’à Rio (**).  Genzebe Dibaba, Aleyman Souleiman, et tous les autres athlètes du groupe Aden évoluaient seuls au Brésil.

A peine les Jeux achevés, que Jama Aden retrouvait sa liberté de mouvement, et mettait le cap sur Lausanne. C’est ainsi qu’on le retrouvait sur le terrain d’échauffement à superviser l’entraînement de ses deux protégés. Ce n’est pas vraiment que Genzebe Dibaba ait besoin que quiconque lui donne des consignes. Elle enchaîne avec application les tours menés à allure rapide, les lignes droites, les éducatifs. Constamment toute seule, au contraire de ses rivales kenyanes qui fonctionnent, elles, en groupe.

Genzebe Dibaba
Genzebe Dibaba

L’Ethiopienne se prépare pour la victoire. Après l’arrivée, elle ne s’en dissimule pas. Elle venait ici pour gagner, sans esprit de revanche. Car pour elle, la médaille d’argent de Rio n’est pas une déception. C’est du moins le discours bien rôdé qu’elle s’évertue à répéter : « J’ai été blessée longtemps. Je suis contente avec l’argent olympique. Pendant longtemps je n’ai pas pu faire de compétition, pas de Diamond League, pas de petits meetings. Alors, je suis heureuse avec l’argent. »

Sur cette piste de Lausanne, Genzebe Dibaba a retrouvé le finish qu’on lui connaît, avec un dernier tour bouclé en 57’’53, et un certain dédain à l’encontre de ses adversaires, y compris Hellen Obiri, pourtant vice-championne olympique du 5000 m. Elle n’hésite pas à asséner tranquillement : « La compétition a été très facile. J’étais confiante dans ma vitesse. Je me moquais de savoir qui menait la course. C’était facile. J’ai gagné. »

Son visage fermé ne s’éclaire qu’en évoquant son entraîneur. Elle commence par refuser de commenter la situation de Jama Aden, répétant là aussi un argumentaire bien huilé, mais un immense sourire apparaît lorsqu’elle révèle qu’après s’être entraîné seule pendant les JO, elle a maintenant retrouvé son coach : « Il est libre. Je vais retourner avec lui en Espagne. »

Souleiman, en difficulté à RIO à cause de la lenteur de la course ?

Aleyman Souleiman lui aussi confirmera ensuite qu’il mettra à nouveau le cap sur Sabadell, immédiatement après le Meeting de Paris. Sa démonstration de Lausanne a été plus que convaincante, et son attitude vindicative à l’arrivée veut signifier qu’il est de retour au plus haut niveau. Le Djiboutien n’a pas, lui, de véritable explication à ses JO ratés. Il se borne à pointer du doigt l’allure lente du 1500 m et à expliquer : « Les courses tactiques sont très différentes des courses relevées. Les JO ont été une course lente. Elle se gagne en 3’50’’ ! Dans une course « propre », je suis bien concentré. Aux JO dans le dernier tour, j’étais mal placé, j’étais à l’intérieur. Aujourd’hui, c’est une course relevée. Je suis le vainqueur ! »

Le groupe Jama Aden très terne à Rio

Mais ces Jeux décevants n’ont pas concerné que le duo leader du groupe Aden. L’ensemble des athlètes entraînés par le coach somalien évoluant pour le Qatar a connu des performances en-dedans. Les Qataris en particulier ont payé la note, avec Haroun, auteur du record du monde du 500 m en salle en février, et sorti à Rio en demi-finale du 400 m, Abdallah, qui valait 1’45’’766 et est éliminé dès les séries. Sans oublier bien sûr, Mustapha Balla, absent de ces JO après avoir été mis en cause par la police espagnole pour la découverte dans sa chambre d’hôtel de Sabadell d’EPO. Sa compagne de vie, Bethlem Desalegn, ancienne Ethiopienne évoluant pour l’Arabie Saoudite, pointée en 4’03’’ cette saison, était également absente à RIO.

Côté Djibouti, les trois autres athlètes conseillés par Jama Aden n’ont pas dépassé le stade des séries, avec Ismail Ibrahim, sur le steeple, arrivé avec une marque à 8’23’’, Abdi Mouhyadin, sur le 1500 m malgré un record à 3’34’55, alors que Kadra Dembil réussit, elle, une performance correcte avec un record personnel en série du 1500 m en 4’42’’.

Quel sera l’avenir de tous ces athlètes et du groupe Aden ? A observer l’accueil fait au coach à son retour à l’hôtel officiel du meeting par les divers acteurs de l’athlétisme mondial, il apparaît probable que tout ce petit monde n’a qu’une envie, oublier ces soubresauts. A moins que la justice espagnole n’ait pas tout à fait donné son dernier mot…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : Gilles Bertrand

(**) On pensait que le Tribunal avait refusé de lui restituer ses passeports pour qu’il voyage jusqu’à Rio, mais selon les informations publiées dans « El Pais », ils lui ont été rendus, et une caution de 50.000 euros lui a été demandée pour garantir qu’il revienne en Espagne pour la suite de l’affaire. Ce serait l’IAAF qui aurait fait savoir à Jama Aden qu’il était personna non grata à Rio…, et qu’il venait en qualité de coach, il serait suspendu.