Il aura fallu plus de deux ans pour que Ruth Jebet reçoive sa suspension de quatre ans suite à son contrôle positif à l’EPO fin 2017. Malgré les éléments démontrant une utilisation répétée d’EPO, l’ex-kenyane conserve son titre olympique et son record du monde du steeple obtenus durant l’été 2016 sous les couleurs du Bahrein, son nouveau pays qui l’a complètement lâchée durant la procédure, de même que son mari, son entraîneur et son manager…
Son mari-compagnon, Nicholas Togom, envolé. Son entraîneur, Saad Shaddad, disparu. Son manager, Marc Corstjens, pareil. Sa fédération, la Bahrein Athletics Federation, aux abonnés absents.
C’est seule que Ruth Jebet a dû affronter la tourmente suite à son contrôle positif à l’EPO du 1er décembre 2017. L’athlète était pourtant très entourée et convoitée depuis qu’à 16 ans seulement, elle avait opté pour la nationalité du Bahrein. Son retour à Manama après les Jeux Olympiques de Rio l’avait mise à l’honneur devant le Roi Hamad bin Isa Al Khalifa, et le pays se réjouissait de cette médaille olympique, chargée de faire oublier au passage l’épisode Rachid Ramzi, suspendu pour EPO après avoir conquis l’or aux JO de Pékin 2008 et au Mondial 2005.
Mais l’insolence déployée par Ruth Jebet durant cet été 2016, où infatigable, elle conquiert en deux semaines le titre olympique à Rio, puis le record du monde du steeple à Paris, ne pouvait qu’interpeller, surtout après une saison 2015 très sombre.
Ce n’est qu’à la fin 2017 qu’un échantillon la trahit pour révéler une utilisation d’EPO. L’affaire est si délicate compte tenu de sa nationalité Bahrein que les experts de l’Athletics Integrity Unit se rendent spécialement en février 2018 au Kenya pour l’en informer.
Un scénario rocambolesque pour se justifier
L’histoire va alors adopter une tournure rocambolesque, comme souvent lors de contrôles positifs au Kenya, où les justifications ne manquent pas d’étonner. Cette fois, dans un premier temps, Ruth Jebet soutient avoir reçu de la part de Nicholos Togom, son compagnon-mari, des comprimés et injections de médicaments, présentés comme efficaces pour la récupération.
Mais les donnes vont changer après que la Fédération d’Athlétisme du Bahrein ait contacté le cabinet britannique « Morgan Sports Law », réputé pour sa capacité à obtenir les annulations de sanctions pour dopage. Les juristes de Morgans vont alors présenter un scénario très surprenant, qui met en cause le physiothérapiste marocain, M. Noussair, qui aurait remis en juin 2017 un paquet contenant des médicaments à Ruth Jebet, à charge de le transporter de Baku vers le Kenya, après les Baku Games. Ce serait dans ce stock que son mari aurait pioché en novembre 2017 pour lui effectuer une injection dans la jambe en raison d’une douleur, sur le conseil du kiné marocain. Et ce serait donc à cette occasion que l’EPO aurait été introduite dans son corps, à son insu.
Et l’argumentaire des avocats soutient qu’il s’agit en fait d’un complot mené par le kiné Noussair contre son entraîneur Saad Shaddad : à la suite d’une dispute entre les deux hommes, Noussair aurait voulu « punir » Saad en la rendant positive et qu’il soit ainsi accusé.
La fédération du Bahrein ne veut plus payer ses avocats
Une théorie farfelue, et difficile à étayer. Et c’est justement la recherche de preuves par ses conseillers de Morgan Law Sport qui a considérablement ralenti le processus de sanction, jusqu’à qu’en juillet 2019 et après de multiples réunions avec les enquêteurs de l’AIU, le cabinet d’avocat annonce tout bonnement, qu’il stoppait sa défense !
Pourquoi un tel retournement de situation ? Car la Fédération du Bahrein refusait de continuer à payer les très coûteux frais de défense de ce cabinet réputé.
L’élément déclencheur de cette rétractation se situe très certainement du côté de l’expertise menée en juin 2019 par le Professeur d’Onofrio, et qui dévoile des valeurs anormales dans le passeport biologique de Ruth Jebet. Le rapport produit par d’Onofrio se révèle sans ambiguïté : Ruth Jebet a eu recours à plusieurs reprises à des injections d’EPO…
Une information remettant évidemment complètement en cause le scénario d’un complot et affaiblissant tellement sa défense que Ruth Jebet se voyait abandonnée par tous, puisque dans le même temps, Tomgo, son compagnon, Saad, son entraîneur de sinistre réputation, refusaient de témoigner.
Le sort de Ruth Jebet se voyait ainsi scellé, débouchant sur une suspension de quatre ans. Parfaitement logique avec les règles anti-dopage, mais complètement choquante sur le plan sportif. Car cette sanction qui débute le 4 février 2018 ne balaye aucune performance antérieure à cette date, et surtout par son titre olympique et son record du monde.
L’EPO utilisée plusieurs fois
Une injustice criante pour toutes ses concurrentes, qui voient ainsi les principales références de Ruth Jebet être conservées sur les tablettes. Pourtant, l’expertise menée par le professeur d’Onofrio confirme au moins deux échantillons témoignant de l’usage d’EPO, fin novembre 2017, puis mi-décembre 2017, alors que les éléments disponibles sur 2016 manquent pour conclure sur cette période-là. Or qui peut croire qu’elle passe à l’EPO en pleine saison hivernale 2017, sans réels objectifs, hormis quelques cross, et qu’elle n’a pas franchi la ligne rouge lorsqu’il s’est agi d’être préparée pour une médaille d’or olympique et un record du monde ???
Après sa réussite estivale 2016, son manager belge Marc Corstjens n’avait pas hésité à annoncer qu’il avait bâti son entraînement hivernal autour de ce double objectif. Deux performances synonymes d’énormes primes au Bahrein, avec 500.000 dollars accordés par le Roi pour le titre olympique et 500.000 dollars pour le record du monde, qui demeurent évidemment la propriété du pays.
Quelle somme a vraiment touché Ruth Jebet ??? Le mystère règne. Elle-même a soutenu ne pas pouvoir financer l’analyse de son échantillon B, et a demandé à ce que sa défense soit assurée gratuitement par une avocate britannique. Pour autant ces dollars sont-ils perdus pour tout ce staff qui entourait cette petite gamine si facile à manipuler pour la transformer en marionnette du steeple ???
- Texte : Odile Baudrier- Photo : Gilles Bertrand