On ne présente plus Brother Colm, devenu une légende à travers le monde entier, avec son parcours de missionnaire irlandais muant en entraîneur de stars de l’athlétisme, parmi lesquels Wilson Kipketer, Japhet Kimutaï, et actuellement David Rudisha. Le problème du dopage régnant actuellement au Kenya a provoqué une grande stupeur chez Brother Colm, surpris par cette dérive qu’il veut absolument combattre.
. Vous avez été l’un des rares entraîneurs du Kenya à réagir sur le fait que la Fédération du Kenya n’a pas souhaité communiquer sur les personnes qui seraient à l’origine du dopage de Rita Jeptoo. Pourquoi avez-vous pris cette position ?
– Je pense que le dopage devrait concerner toute personne impliquée dans le sport car l’image du Kenya a été ternie par les récents cas de dopage, particulièrement le haut niveau. Les gens peuvent en venir à douter des athlètes, particulièrement sur la route et le marathon. Je pense qu’il y a un besoin pour le pays et les jeunes athlètes d’être avertis des problèmes du dopage, les jeunes sont ceux qui doivent extirper tout trafic du pays. Et nous devons être capables de réaliser que nous avons un problème, et que nous devons chercher des solutions. Pendant des années, nous avons dormi tranquilles, nous pensions que le dopage n’existait pas ici. Peut-être que nous avons trop cru que nous n’avions pas besoin de nous inquiéter de ça au Kenya. Pour nous, le pays était clean. Maintenant, nous réalisons que ce n’est pas le cas. Et il y a une grande inquiétude dans le pays. Il faut absolument assainir la situation, mais bien sûr, ce sera long et difficile. Il le faut absolument pour restaurer la réputation du Kenya. Or la réputation du Kenya est très haute. Les gens commencent à questionner les athlètes kenyans, et à s’interroger sur les performances kenyanes. Peut-être est-ce aussi parce que nous avons ignoré le problème. Maintenant nous le connaissons et nous devons nous y opposer.
. Aviez-vous déjà des informations vous permettant de penser que ce problème existait ?
– Non, pas du tout, personne ne m’a jamais parlé de ça. Peut-être que j’étais comme les autres, je me disais ce sont des athlètes kenyans, comment ils auraient accès à de telles drogues ? Ils vivent tous dans le pays, où la disponibilité et la compétence pour administrer de telles drogues n’existent pas. Et bien sûr, on découvre que ce n’est pas le cas. C’est un choc !
. Selon vous, les personnes à l’origine du dopage seraient les managers, les entraîneurs, les médecins, les pharmaciens ?
– Nous sommes encore laissés dans le noir sur ce point. Où se situe exactement la source ? Est-ce l’athlète ? Ou bien comme vous le dites, est-ce le manager, l’agent, l’entraîneur ? Où est le vrai problème ? Nous, nous voulons savoir. Quand vous n’identifiez pas spécifiquement l’origine, alors, dans un sens, tout le monde devient le suspect. Si on ne sait pas de qui il s’agit, on blâme tout le monde. C’est le problème que nous avons actuellement, nous avons besoin de savoir. S’il y a plus d’informations, nous devons les connaître en tant que coach. Les athlètes d’élite également devraient être informés pour savoir qui ne pas croire !
. Y a-t-il beaucoup de contrôles ici au Kenya ? Par exemple dans le cas de David Rudisha, est-il souvent testé ?
– Oui, il est continuellement testé. Je suis sûr que c’est pareil pour les autres athlètes d’élite. Particulièrement dans la période récente. Pour David, cela a toujours été le cas, il fait partie du très haut niveau depuis longtemps. Pour lui, sa conception est que toute performance doit être atteinte en étant propre et de manière équitable. Je ne veux pas la moindre once de suspicion, ou la moindre possibilité que quelqu’un puisse pointer du doigt. Il a été très conscient de cela très tôt. Même sur le plan de l’alimentation, il est toujours vigilant, et aussi pour les médicaments, il fait attention à ce qui lui est prescrit soit légal.
. Cela signifie qu’il supporte des contrôles hors compétition à Iten même ?
– Oui, très souvent. Par l’anti-dopage de l’IAAF. Ils viennent à Iten, ils font les tests, l’urine, le sang. Ce sont des contrôles à l’improviste. David est vigilant à ce que les contrôleurs sachent où il est. Il est vraiment vigilant pour tout ce qui concerne le dopage.
. Pour ce que vous en savez, est-ce la même chose pour tous les athlètes ? Sont-ils également aussi consciencieux ?
– J’aimerais le penser ! Mais il est évident que dans ces dernières années, quelque part, dans le processus, il y a des gens qui ont fermé les yeux. Nous ne connaissons pas les statistiques. Mais pour moi, je pense que la majorité des athlètes d’élite ont été propres, et ont certainement suivi les mêmes méthodes que David. Il y a aussi un autre point à souligner, c’est que les athlètes qui ont été contrôlés positifs ces dernières années étaient tous des coureurs sur route. Les athlètes de la piste semblent avoir été plus consciencieux pour tout ce qui concerne le dopage.
. Concernant la performance de David à Londres, où il bat le record du monde avec le titre olympique, pensez-vous que des personnes peuvent être suspicieuses ?
– Non. Je n’ai jamais entendu parler de suspicion à l’égard de David. Vous pouvez toujours avoir quelques cyniques, qui vont douter des performances de n’importe qui, de tout record du monde établi dans une discipline. Mais je n’ai jamais entendu aucun écho négatif sur sa performance de Londres.
. Est-ce que David Rudisha parle avec vous de ce problème du dopage ?
– On en parle surtout pour l’alimentation, pour lui rappeler d’être sûr, d’être conseillé par des gens qui comprennent ce qu’est le dopage, ainsi que sur le plan médical. De lui rappeler aussi d’être très méfiant de toute personne qui lui propose quelque chose. David est dans l’athlétisme depuis longtemps, il connaît bien toutes ces règles maintenant.
. Pour les autres entraîneurs du Kenya, pensez-vous qu’il s’agisse aussi d’un nouveau phénomène ?
– Oui. Je dirais que pour tous, c’est arrivé comme une grande surprise. Quand c’est apparu il y a 4-5 ans, la majorité des entraîneurs a été très étonnée. Ils ne s’y attendaient pas. Comme moi, ils croyaient que tous les Kenyans étaient propres, que tout était OK. Mais nous devons aussi nous rappeler, que vu le nombre d’athlètes ici au Kenya, le nombre de cas positifs est absolument minimal. C’est vraiment très peu. Pour moi, ce sont surtout des athlètes qui veulent atteindre le meilleur et qui n’y ont pas réussi. Ce ne sont pas des débutants. Ce sont des gens d’un niveau intermédiaire. Mais même si le problème est sérieux et que nous devons en être conscients, je pense que la proportion des athlètes concernés demeure très petite.
. Etes vous d’accord avec la sanction prise par la Fédération contre les managers Rosa et Volare ?
– Non. Et ce cas n’est pas du tout terminé. Bien sûr, il y a la suspension. Mais il y a une enquête de l’IAAF, et de l’association internationale des managers pour s’assurer que la Fédération du Kenya suive une procédure correcte. Donner la possibilité aux agents de se défendre eux-mêmes. S’assurer que tous les éléments ont bien été présentés. Vérifier que cette décision était bien celle à prendre. Je pense que le scénario est encore en suspens. Les deux agents concernés se sont plaints, et même si je respecte la Fédération du Kenya, je pense que cette affaire n’a pas été bien menée.
. Avez-vous été informé des faits qui leur sont vraiment reprochés ?
– Non. Une nouvelle fois, aucune information ne nous a été donnée dans le sens de savoir exactement pourquoi ces deux hommes sont suspendus. Aucune information n’a été divulguée, que ce soit aux athlètes, aux coachs, et aussi à la presse.
. Les faits devraient donc apparaître plus tard ?
– Probablement si l’IAAF s’implique et cherche à connaître les raisons des suspensions, par des investigations.
. Est-ce pour donner un signal fort aux autres managers, aux athlètes, aux coachs ?
– Oui, cela peut être un signal d’alarme pour avertir les autres managers, qu’attention, c’est ce qui vous arrivera aussi si vous êtes impliqué. Pour les deux agents concernés, le point important qu’a utilisé la Fédération est que quelques athlètes de leur groupe ont été positifs. Mais premièrement, était-ce la seule raison ? Deuxièmement, est-ce que les agents ont quelque chose à voir avec ça ? Ont-ils franchi la ligne rouge ??? Donc je pense que ce cas n’est pas terminé.
Interview réalisée par Odile Baudrier
Photo : Gilles Bertrand