Le record du monde de semi-marathon établi par Geoffrey Kamworor, en 58’01’’, a suscité des réactions contrastées, entre aficionados et sceptiques. Le Kenyan de 27 ans affiche pourtant l’un des plus gros palmarès mondiaux sur route et cross, avec cinq titres de champion du monde, mais les dérapages du dopage au Kenya ne peuvent que susciter des questionnements.
Plus jamais la performance d’un Kenyan ne pourra être admise sans aucune réserve. C’est la leçon à tirer après ce nouveau record du monde du semi-marathon, que Geoffrey Kamworor s’est adjugé à Copenhague, en 58’01’’, frôlant de très peu la barrière des 58 minutes.
Mais Geoffrey Kamworor succède sur les tablettes à Abraham Kiptum, auteur en octobre 2018 du record précédent en 58’18’’. Or depuis, Abraham Kiptum a été mis à l’index, pour des irrégularités de son passeport biologique, débarqué en avril 2019 par l’Athletics Integrity Unit, à la veille de son marathon de Londres.
Abraham Kiptum venait ainsi renforcer un bataillon de Kenyans dopés, qui s’enrichit quasiment chaque mois. Un raz de marée qui, certes, confirme que la lutte anti-dopage est maintenant prise au sérieux au Kenya, mais qui jette aussi le doute sur l’ensemble des résultats des Kenyans.
L’idée que le dopage irradie sur tous les coureurs kenyans a le don d’exaspérer l’Italien Renato Canova, entraîneur au Kenya depuis plus de 30 ans. Et la suspicion jetée sur Kamworor l’a incité à réagir, une fois de plus, sur le site de Let’s Run, pour inciter les observateurs à faire la distinction entre Abraham Kiptum et Geoffrey Kamworor.
Un palmarès très dense, à l’opposé de Kiptum
L’un devenant recordman du monde sans avoir jamais rien démontré avant, et l’autre poursuivant sur la lancée de grosses performances dès l’âge de 18 ans, champion du monde de cross juniors, auteur de 58’54’’ sur semi à 21 ans, puis trois fois champion du monde de semi-marathon (2014-2016-2018), deux fois champion du monde de cross (2015-2017).
Un point sur lequel on ne peut qu’être d’accord, comme l’est un autre entraîneur, le Français Jean Claude Vollmer, qui estime : « Son palmarès est éloquent, il fait partie des grands depuis quelques années. Spécifiquement un coureur de 10 et semi, pas sûr qu’il puisse faire moins de 2h 04. Son chrono de 27’24 aux sélections kenyanes sur 10000 m à Nairobi laissait présager la chute de ce record. » Et le tableau établi par Jean Claude Vollmer dévoile des progressions de chronos qui apparaissent cohérentes au fil des années. Avec tout de même un petit bémol, celui de savoir si le niveau de départ du Kenyan était entièrement « vrai »…
Beaucoup de contrôles anti-dopage pour Kamworor ??
Renato Canova souligne aussi une autre différence majeure, autour de leur suivi par l’anti-dopage. Selon lui, Abraham Kiptum avait évolué avant son record, sans une vraie surveillance, faute de figurer dans le groupe cible IAAF, et ce n’est qu’après son record du monde que l’IAAF aurait multiplié les contrôles pour découvrir un passeport biologique douteux. Alors que Kamworor ferait partie de ce groupe depuis 2012, et ainsi soumis à des contrôles hors compétitions réguliers, il est question de 40 (dans quel délai ?). Autant d’informations relayées par Renato Canova qu’il s’avère, en réalité, quasi-impossible de vérifier. Comme l’est également l’info que Kamworor aurait utilisé durant la course une boisson à base de cétones, comme les cyclistes du Tour de France, pour leur capacité à booster les performances, mais à ce jour, en toute légalité. Sans oublier aussi une autre interrogation autour de la transformation physique récente du Kenyan, maintenant beaucoup plus affûté qu’il ne l’était dans le passé.
Un parcours trop court ?
Autre questionnement suscité par cette performance, cette fois, autour de l’exactitude de la distance parcourue durant le semi de Copenhague. Faux a soutenu David Katz, mesureur de l’épreuve, avec Maurice Winterman, se portant garant de sa fiabilité. Or cet Américain est une référence dans le monde du mesurage, avec à son actif plus de 1000 courses depuis 40 ans, incluant quatre Jeux Olympiques, à nouveau mesureur du marathon olympique de Tokyo 2020. Mais même si Maurice Winterman était présent sur un vélo sur le parcours, pour garantir son suivi exact par les coureurs, la tête de course optimise évidemment sa foulée pour respecter les règles tout en optant pour le meilleur azimut…
Une chaussure trop rapide ?
C’est avec une Vapor Fly que Kamworor a établi ce record du monde. Comme la plupart des grosses performances établies depuis 2017, et la création de ce modèle par Nike. Le gain procuré serait de 4%. Elle sera aussi aux pieds d’Eliud Kipchoge, pour sa tentative de passer sous les 2 heures sur marathon, en octobre, à Vienne.
Les deux hommes sont partenaires d’entraînement sous la houlette de Patrick Sang. Et le record du monde de Kamworor s’inscrit parfaitement dans le projet INEOS 1.59, bâti comme une énorme opération marketing. La date du 13 septembre correspondait à l’anniversaire du record du monde du marathon d’Eliud Kipchoge et c’est exactement un mois plus tard, le 13 octobre, que Kipchoge veut s’attaquer à cette barrière des 2 heures.
Il serait ainsi le premier à la gommer. La réussite de Kamworor ne peut que conforter l’idée que la méthode Sang fonctionne et pourrait produire ce fameux 1h59’XX. Dommage tout de même que la communication construite autour de ce projet ne dévoile rien sur la politique anti-dopage respectée par Kipchoge durant sa préparation…
- Texte : Odile Baudrier –
- Photo : D.R.
- Tableau des performances établi par Jean Claude Vollmer