Au Championnat du Monde, la victoire sur le marathon de l’Erythréen Ghirmay Ghebreslassie a marqué une très grande surprise. Le titre mondial revient à ce tout jeune coureur de 19 ans, quasi-néophyte sur la distance, et totalement méconnu. Comme lors des JO de Londres où l’Ougandais Stephen Kiprotich s’était déjoué de tous les pronostics. Derrière ces deux victoires, le même chef d’orchestre, le manager hollandais, Jos Hermens.
Il arpente les stades et les grands marathons internationaux à travers le monde entier depuis plus de trois décades. Jos Hermens a parfaitement organisé sa reconversion d’athlète de bon niveau vers son activité de management. Le Hollandais compte parmi les plus importants managers mondiaux, avec dans son portefeuilles quelques-uns des plus grands stars de l’athlétisme et du marathon.
Il s’affirme aussi comme un grand détecteur de talents. Il avait ainsi été l’homme d’orchestre de la victoire de Stephen Kiprotich aux Jeux Olympiques de Londres. Il a joué le même rôle avec Ghirmay Ghebreslassie pour ce Mondial de Beijing. Pour les amener tous les deux à la victoire dans un évènement majeur, en y arrivant quasiment sans palmarès, complètement méconnu, pour se jouer de tous les favoris et aller chercher une médaille d’or très exceptionnelle dans leur pays respectif.
Des tests pour détecter leurs qualités
Pour tous les deux, Jos Hermens a appliqué la même méthode qu’il explicite en toute simplicité : d’abord la détection de leur potentiel de marathonien avec quelques tests. Stephen Kiprotich avait bien terminé 24ème au Mondial de cross juniors, mais il n’était qu’un steepler de petit niveau jusqu’à ce Joos Hermens s’intéresse à lui pour le booster vers la distance olympique, les tests dévoilant ses qualités d’endurance.
Ghirmay Ghebreslassie pouvait se prévaloir d’un gros talent, en témoigne sa 7ème place au Mondial juniors de cross en 2013. Le talent n’était point secret, encore fallait-il le convaincre de passer aussi jeune sur marathon… Là encore, le background de Jos Hermens fut décisif, avec à son actif les carrières d’Haile Gebreselassie et Kenenisa Bekele, et le jeune homme s’attaquait à l’entraînement sur le très long, avec d’abord une incursion sur semi conclue par une bonne 7ème place au Mondial 2014.
Un marathon comme lièvre
Puis vient la 2ème étape, la « recette maison » bâtie par Joos Hermens : un premier marathon disputé en qualité de lièvre. Une technique que le Hollandais estime déterminante dans la réussite : « Quand vous êtes capable de tenir jusqu’au 30ème kilomètre au côté des top athlètes, cela vous donne confiance. Vous savez qu’il ne vous resterait plus que 12 kilomètres à tenir. »
Mais souvent, dans ces scénarios, des débordements se produisent, et le lièvre s’accroche pour franchir la ligne d’arrivée. Stephen Kiprotich avait ainsi terminé son marathon d’Enschede en 2011 en 2h07’20’’. Quelques mois plus tard, il devenait Champion Olympique.
Ghirmay Ghebreslassie, lui, a débuté au marathon de Chicago en octobre dernier comme pacer, mais il a finalement poursuivi jusqu’à la fin pour finir en 2h09’’08, il était encore junior. Pour son 2ème marathon, ce printemps, il courait à Hambourg, qu’il bouclait à la 2ème position et en 2h07’47’’…
32ème performer mondial 2015 avec 2h07’47’’
Une belle performance, et pourtant un tel chrono ne le plaçait avant ce Mondial qu’en 32ème position au bilan 2015, avec des prétendants à la victoire mondiale affichant bien d’autres arguments, comme les 2h02’57 du recordman du monde Dennis Kimetto, ou les 2h03’’23 de Wilson Kipsang.
Pourtant Ghirmay Ghebreslassie supplante tous ses rivaux, pour s’imposer en 2h12’28. Cette première place provoque un véritable séisme à voir ainsi les favoris balayés par cet inconnu. Et le comble est que la surprise s’avère également totale pour Jos Hermens, qui avouait après coup escompter simplement une place dans le TOP 5 pour son nouveau protégé… Un sentiment semblable à celui ressenti par le manager à l’arrivée de Londres, face à la victoire de Stephen Kiprotich, où là aussi, il avait convenu de son si grand étonnement !
Des médailles inédites en Erythrée, comme en Ouganda
Ultime point commun entre les parcours de ces deux marathoniens, leur médaille d’or amène sur le devant de la scène des pays poids très légers de l’athlétisme. L’Ouganda n’avait connu qu’une seule médaille d’or olympique, celle de John Aki Bua en 1964 sur le 400 mètres haies.
L’Erythrée, elle, n’avait jamais vu son drapeau se lever dans le ciel lors d’un Championnat du monde. Zersenay Tadese avait été son seul ressortissant à remporter une médaille lors des 14 précédents Mondiaux, avec l’argent sur 10.000 mètres en 2009.
Mais un certain Jos Hermens est passé par là, pour qu’Erythrée comme Ouganda brille en or, et que des inconnus brouillent tant de repères…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : IAAF /Getty Images