En 2000, Jérôme Chiotti crée la stupeur en choisissant d’avouer son utilisation de produits dopants durant sa période au sein de l’Equipe Festina, et alors même qu’il n’a jamais été contrôlé positif. Plus de 20 ans plus tard, il demeure le seul sportif en activité à avoir eu cette démarche courageuse, qu’il a payé au prix fort, avec la perte rétroactive de son titre de champion du monde de VTT conquis en 1996, et des conséquences financières, avec le licenciement par son équipe. Mais Jérôme Chiotti ne regrette qu’une seule chose : ses aveux n’ont servi à rien. Il le dit crûment : « La mascarade continue », comme ce dernier tour de France lui en a fourni une démonstration impressionnante. Malgré cette déception, et après des années difficiles sur le plan psychique, l’ancien cycliste professionnel vit maintenant une relation plus apaisée au sport. Après de bonnes performances sur marathon, le quinquagénaire s’attaque au triathlon longue distance, avec Embrun en ligne de mire.
Tu as été très actif à un moment par rapport au thème de l’anti-dopage suite à ta confession sur l’utilisation de produits dopants durant ta carrière de cycliste. Tu es moins présent maintenant dans l’anti-dopage. Pour quelle raison ?
La lassitude. C’est un combat que j’ai mené pendant des années après la sortie du livre. Quand on est au front tout le temps et qu’on prend les coups tout seul, au bout d’un moment, on commence à s’essoufler. Contrairement à ce que certains pensaient, je n’en faisais pas un commerce, je faisais des émissions de télé pour la promotion du livre, « De mon plein gré », c’est tout. Je n’ai jamais gagné le moindre euro pour avoir dénoncé quoi que ce soit. C’était juste une histoire personnelle : montrer aux instances et au grand public que la mascarade continuait à l’époque, et malheureusement, elle continue encore.
Comme tu le dis, tu étais bien seul à l’époque, car tu n’as pas reçu de soutien de qui que ce soit.
Aucun soutien. En tout cas, dans les instances, dans le milieu pro, je n’ai jamais eu le moindre soutien. Et pourtant Dieu sait que certains coureurs s’annonçaient propre. Je pense par exemple à Grégory Vollet, qui était toujours à fanfaronner pour dire que nous étions des « chaudières », terme utilisé pour les coureurs qui se dopaient. Et puis, le jour où j’ai fait une révélation, il n’a pas dit un mot, n’est pas venu à mon soutien. Et cerise sur le gâteau, il se fait contrôler positif quelques années plus tard. C’est vrai que j’ai longtemps tenu ce combat, avec mon entraîneur Antoine Vayer, qui, lui, continue encore aujourd’hui de manière très assidue. Moi, au bout d’un moment, j’ai trouvé compliqué de prendre les coups tout seul.
Il faut rappeler qu’à l’époque, ton témoignage avait été accueilli avec hostilité.
Oui. L’interview accordée à Vélo Vert avait provoqué un gros tollé. J’avais dit que je préparais les Jeux, et que si rien ne changeait, j’allais recommencer à me doper. C’était un discours ambigu. Je voulais montrer qu’il n’y avait qu’une seule porte de sortie pour être médaillé olympique, c’était de prendre quelque chose. Heureusement l’affaire est sortie et cela m’a évité de penser à recommencer (*). Mais à l’époque, c’est vrai que j’étais partagé entre l’envie de dénoncer tout ça et l’envie d’être médaillé un jour aux JO, puisque j’avais été champion du monde quelques années avant. Comme je l’ai dit, ces révélations ont été salvatrices, cela m’a évité de tomber au fond du gouffre.
Tu évoques Antoine Vayer, qui est devenu une référence dans l’anti-dopage avec ses analyses sur les performances des cyclistes. Celui-ci a donc été ton entraîneur personnel pendant sept ans. Pendant la période où tu te dopais ou après ?
Dès 1994, quand je suis passé pro. On s’est connus parce qu’il devait être Directeur Sportif de Corbeil Essonnes, et puis les frères Madiot sont venus s’ajouter dans l’équipe 10 jours avant le début de saison. Les frères Madiot étaient originaires de Mayenne, comme lui, et ils ne le supportaient pas. Du coup, il n’a jamais été Directeur Sportif de l’équipe de Corbeil Essonnes. Je l’avais côtoyé lorsqu’il m’avait amené de Nantes jusqu’à l’étoile de Bessèges, ma première course en pro. Nous avions sympathisé, et son discours était tellement convaincant que j’ai voulu qu’il soit mon entraîneur. C’était en 1994, et je payais déjà moi-même un entraîneur. Ensuite, on ne s’est pas quittés avec Antoine. Au début, j’avais du mal à lui dire que j’avais ses plans et aussi mon programme personnel médical. Surtout que c’est lui qui m’a fait rentrer chez Festina, quand j’ai eu des soucis avec le Groupement, qui s’est arrêté. Il connaissait très bien Bruno Roussel, il m’a fait rentrer chez Festina. Après que j’ai été champion du monde, Bruno Roussel l’a fait rentrer comme entraîneur de toute l’équipe Festina. Il m’a aidé à rentrer et je l’ai aidé à rentrer ! Il était tout de même assez naïf, il ne se rendait pas compte qu’il y avait beaucoup de produits chez Festina.
Comme tu le dis, il était naïf. Est-ce que ce n’est pas le cas de beaucoup d’entraîneurs ?
Au départ, oui. Car on parle d’une époque qui a trente ans ! L’EPO était vraiment méconnue. Cela pouvait se comprendre pour Antoine. Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible pour un entraîneur de dire qu’il ne savait pas. Il y a des transformations physiques, il y a des chronos qui s’envolent.
Cette année, tu as suivi de près le Tour de France. Qu’en as-tu pensé ?
J’avais du temps libre, j’ai quasiment suivi toutes les étapes. Je me suis rendu compte qu’on pouvait encore aller très loin dans les dérives. Pas seulement au niveau des coureurs, et c’est ça le problème. Au niveau des commentateurs, de la société du Tour, d’ASO. Je me rends compte que pour garder la poule aux œufs d’or, on est capable de beaucoup de choses, d’une omerta qui est revenue assez incroyable. C’est triste à dire, même si je n’ai aucune preuve. C’est aussi pour cela qu’on s’essoufle, je disais les choses et elles arrivaient quelques années plus tard, mais à ce moment-là, on ne se rappelle plus ce qui a été dit. Quand je disais qu’Amstrong, c’était impossible, on me regardait avec de grands yeux, surtout à la télé, comme dans l’émission « Les Yeux d’Olivier », je le dénonçais, mais je n’avais pas de preuve. Mais qui revient plus tard pour dire On est désolés, tu avais raison. Personne !
Qu’est-ce qui t’a choqué cette année ?
Cette année, la domination de Jumbo m’a choqué. Quand ils disent qu’ils s’entraînent mieux que les autres, c’était déjà le discours de l’époque. On le connaît par cœur ce discours, on l’entendait déjà chez nous chez Festina. On avait un nutritionniste, des kinés, un ostéopathe, un entraîneur. C’est la phrase obligée de dire On s’entraîne mieux que les autres, on est très pointilleux. Cela fait 20 ans que ce discours existe ! Jumbo Visma, ils peuvent avoir le meilleur matériel du monde, les meilleurs mécanos, kinés, médecins, de toute façon, les performances sont stratosphériques. Personne n’y croit ! Il suffit d’aller sur les forums pour le voir. A part un petit noyau d’abrutis, qui ne comprennent rien au sport, et veulent croire dans des idoles, tous les autres n’y croient pas. Ils regardent le Tour, comme je le fais, car c’est un spectacle. Van Art est capable de tout faire. C’est la première fois dans l’histoire du cyclisme qu’un gars est capable de gagner une étape contre la montre, une étape en montagne, un sprint massif. Vingegaard, il vient d’où ? Et il est capable de développer 500 watts pendant 30 minutes, malgré son gabarit. Moi, j’ai su le faire, mais avec l’EPO, l’hormone de croissance, la testostérone ! Aujourd’hui, on sait que ça ne peut pas être ces produits, car ils sont décelables, mais il y a quelque chose de nouveau. Quand Festina a débarqué et a commencé à tout gagner dans les années 90, toutes les autres équipes disaient Ce n’est pas possible, que fait Festina ? Je peux en parler, j’étais à l’époque dans l’équipe du Groupement. Ensuite quand ils ont embauché Luc Leblanc, on a su que c’était de l’EPO, de l’hormone de croissance, de la testostérone. Dans 10 ans, ou j’espère avant, on saura qu’il y a un nouveau produit qui circule. Moi, je ne sais pas, je ne suis plus dans les confidences, on ne va pas venir me voir pour m’en parler !
Sur les signes physiques que tu remarques sur les cyclistes de l’équipe Jumbo Visma, est-ce cela te semble correspondre à l’utilisation du cocktail des trois produits ?
Je pense qu’il y a quelque chose de nouveau. C’est compliqué de les utiliser maintenant. Même si l’hormone de croissance est rarement détectée. Et pour ce produit, à mon avis, ils s’en donnent à cœur joie. Après, il y a les ordonnances de complaisance. A l’époque, Verbruggen avait beau dire que les corticoïdes n’aident pas, on se rend bien compte que tous les coureurs les utilisent. La façon de pédaler a changé aussi. Vingegaard ne mouline pas comme Froome à l’époque. En général, quand on commence à tirer les gros braquets, on est sous corticoïdes. Cela donne beaucoup de forces, cela enlève la douleur, et du coup, on emmène des braquets plus importants. L’EPO permettait d’oxygéner, ce sont les années Froome et Amstrong. Je pense que les médicaments ont évolué, mais le problème est qu’il y a une telle omerta, une telle peur du gendarme. Avec l’OCLAESP qui traîne au milieu, et qui a mis un grand coup de frein à la Bahrein, car Mohorit qui faisait chut chut sur la ligne d’arrivée l’année dernière, il a été très très silencieux cette année !
Ce qui est terrible, c’est qu’une équipe est torpillée et c‘est une autre équipe qui perf.
Difficile d’être sur tous les fronts. J’ai collaboré un peu avec l’Oclaesp. Ce n’est pas une très grosse unité. Ils vont là où ils ont des renseignements. Ils n’ont pas trop le droit de se tromper. On l’a vu quand ils ont fait des descentes où ils sont revenus bredouilles. C’est délicat pour eux. Mais on voit que quand ils ont des renseignements sûrs, et qu’ils frappent, cela a un impact. Pour la Bahrein cette année. Astana n’existe plus. Deux-trois équipes sortent du lot Quick UAE. On a vu l’Américain Sepp Kuss, qui était au fond du trou, et qu’on a retapé en 24 heures. C’était impressionnant. C’était tellement énorme que même les commentateurs de la télé ont été obligés de se poser la question « Mais comment a-t-il pu revenir si vite ? »
A ton époque, as-tu connu les contrôles hors compétition ?
J’en ai connu. Mais tard, une fois que j’avais raccroché. Cela m’a bien arrangé d’ailleurs !! Après 98, quand j’avais arrêté, j’ai été contrôlé une fois aux Etats Unis et une fois en Coupe du Monde. Aux Etats Unis, j’étais vraiment étonné. C’était entre deux Coupes du Monde, dans un chalet. J’avais beaucoup d’espoirs dans les contrôles hors compétition, mais on se rend compte que ça n’a rien changé !
Chez Festina, y avait-il des méthodes pour éviter les contrôles positifs en compétition ?
Oui, il y avait des protocoles. C’est le docteur Ryckaert qui les faisait. Chez Festina, ils avaient même des contrôles internes pour arriver à savoir quand la testostérone disparaissait des urines. C’est ainsi qu’on a su qu’on pouvait utiliser la testostérone jusqu’à 48 heures avant une épreuve, sans être positif. A l’époque, on prenait en comprimés. J’ai entendu que c’est beaucoup plus compliqué à contrôler actuellement, car ils utilisent les patchs. C’est une diffusion fine, l’effet est constant, mais il n’y a pas de positivité. C’est l’une des évolutions des dernières années, que je n’ai pas connue. Comme la transfusion sanguine, que je n’ai pas connue. En fait, cela n’a jamais été évoqué chez Festina dans la mesure où on avait accès à tous les autres produits. Par contre, quand j’ai quitté le peloton, on commençait sérieusement à en parler. Moi, je n’étais plus pro qu’en VTT, on bricolait en VTT, mais ça n’était pas autant que dans les équipes pro. On entendait parler des transfusions sanguines, et ça faisait froid dans le dos. C’est quelque chose que j’aurais refusé. Moi, dans ma carrière, j’ai refusé les anabolisants. Comment expliquer ? C’était par rapport à mon intégrité d’homme. On parlait tellement d’impuissance. On me l’a proposé chez Festina, j’ai été l’un des rares coureurs à dire non. En VTT, il fallait être fin, je n’avais pas de raison d’utiliser ce produit. Mais c’était avant tout pour ne pas prendre de risque pour mon intégrité. Pour la transfusion, je ne pouvais pas imaginer de sortir du sang, le mettre dans une poche, ne pas savoir où il va rester. Il y a eu tellement d’incidents. C’est vieux. Je me rappelle l’année où l’équipe PDM n’était pas repartie, car ils étaient tous malades.
Y avait-il d’autres repères pour éviter de détecter l’EPO ?
A l’époque, l’EPO n’était pas décelable. La détection des corticoïdes est arrivée sur la fin. Mais on avait tous des ordonnances de complaisance. Pareil pour la ventoline. Sur la fin de carrière, elle était quantifiable, et tout le monde avait son ordonnance. Nous avions tous une insuffisance respiratoire ! Et pourtant, quand on est malade, on ne fait pas du sport de haut niveau. Mais on se rend compte que c’est une méthode très utilisée dans le cyclisme, mais aussi dans l’athlétisme, que j’ai aussi pratiquée, et ne parlons pas du triathlon ! Et dans ce sport, il n’y a pas beaucoup de contrôles.
Quand l’affaire Festina a explosé, je crois que tu n’étais plus membre de l’équipe.
Non, j’étais parti l’année d’avant. Et étrangement, sur les 27 membres de l’Equipe Festina, je suis le seul qui n’a pas été convoqué à la police. Tous les autres ont été convoqués, même Patrice Algra, Christophe Bassons, aussi il me semble. Moi, pourtant, j’avais 20 doses d’EPO sur le carnet de Willy Voet mais je n’ai jamais été entendu par la police. Je n’ai jamais compris pourquoi. Comme quoi, c’est bizarre le destin. Pourtant, cela ne m’aurait posé aucun problème de raconter ce qui se passait chez Festina.
As-tu ressenti une frustration d’être resté si seul dans ta dénonciation du dopage ?
Non, j’ai fait ce que j’avais à faire. C’est pour cela que je suis allé à fond, au bout de ce que je pouvais donner, dire, dénoncer. Ce n’est pas une frustration mais je le vis comme un échec. Car en fait, rien n’a changé. Il n’y a pas de frustration car s’ils ont envie de se déglinguer la santé, qu’ils se la déglinguent. Moi, j’aurais apporté ma petite contribution pour essayer d’en sauver quelques-uns. Mais je le vis comme un échec. Oui, à l’époque, j’ai eu quelques parents qui sont venus me remercier et me dire qu’ils faisaient attention pour leur enfant au club. J’en aurais sauvé quelques-uns, mais c‘est une maigre consolation.
C’est un petit résultat par rapport à ce que ça t’a coûté ?
Oui, en énergie. Pas tellement en argent parce que sur le moment, j’ai pas mal morflé, mais j’ai bien rebondi derrière. Cela n’avait plus rien à voir, mais j’ai pu continuer à exercer mon métier. C’était vraiment une victoire car sur le moment, j’ai cru que ma carrière était terminée. Alors que quand je dénonçais tout ça, j’étais à mille lieux d’imaginer que ma carrière allait s’arrêter à cause de mes aveux. Quand j’ai vu l’énergie que mettait la Fédé à me scalper, l’UCI encore plus, mon équipe qui me lâche.
Cela a été un choc ?
Oui, très grand. Mais je suis d’une grande naïveté. Je n’ai pas réfléchi. Cela a été tellement spontané que je ne me suis pas demandé quelles conséquences cela pouvait amener.
Ta contribution à l’anti-dopage, est-ce aussi par souci de ta santé ?
Il y avait plusieurs raisons. La première est que ma fille allait naître. Et quand je voyais le ventre de ma femme grossir, je trouvais que la vie était extraordinaire. Je n’avais jamais pensé à ça ! La deuxième est que j’en avais marre d’entendre les instances dire qu’on a un sport propre, qu’on a fait tout ce qu’il fallait, qu’il y aura un suivi longitudinal. Je voulais vraiment les mettre le nez dans la mouise. Il y avait aussi la peur du gendarme. Et après, la santé. Mais si la santé avait été la priorité, je ne me serais jamais dopé. Si on pense que ça peut faire du mal, on n’y touche pas. Mais quand on a 20 ans, on n’y pense pas du tout. En plus, dans le milieu, tout est fait pour dire que de toute façon, il n’y a pas de danger. C’est le médecin, les coureurs entre eux. C’est regarder Garrido passer, et dire qu’il a 80 ans, et qu’il est en bonne santé. Mais on oublie tous les autres, ceux qui sont partis à 40 ans d’un cancer.
Justement, est-ce que ces produits t’ont provoqué des dégâts de santé ?
Santé physique non. Santé psychique, cela a été un ravage. Je ne l’ai pas caché, j’ai dû aller en hôpital psychiatrique. J’avais des bas. Pour moi, cela provient d’avoir fait le « yoyo » avec les corticoïdes. Un coup, on euphorise, un coup, on redescend. Aussi, même sans parler de produits, le sport de haut niveau n’est pas très sain : on a des phases d’euphorie, parfois, on ne marche plus, on ne sait pas pourquoi. Le jour où tout s’arrête, c’est dur. Si on n’a pas la reconversion souhaitée, c’est vraiment difficile. Les produits aident beaucoup à descendre dans le mauvais sens. Surtout les cortico. Moi, chaque fois que je prenais des corti, cela me mettait dans un état euphorique incroyable. J’ai touché à la cocaïne 3-4 fois dans ma vie, à titre festif, même pas en compétition. Les amphétamines, cela a été rare, mais certains coureurs les utilisaient beaucoup, même en festif. C’est le fameux pot belge. Je ne sais pas si ça a changé ou pas ?
En utilisant l’EPO, avais-tu l’obligation de faire du home trainer la nuit, ou du footing le matin de bonne heure, comme on sait que certains cyclistes le font actuellement ?
Moi, non, car je suis arrivé après la période où ils la prenaient en quantité industrielle. Du coup, ils savaient la doser.
Et la testostérone, a-t-elle agi sur ta santé ?
Sur le moment, oui, ça donnait de la force et un appétit sexuel énorme. Mais après, ce n’était plus pareil… Plus ça allait, moins j’avais envie d’en prendre. Car après, il y a des périodes où il n’y a plus rien, la libido tombe à plat. C’est perturbant.
Tu voyais des transformations physiques avec les produits. Cela affecte-t-il aussi le mental ?
Oh oui, on se sent surhumain. Je l’ai raconté dans le bouquin. C’est peut-être la chose qui m’a le plus manqué, c’est de ne plus avoir ces repères. Une fois que j’ai tout dénoncé, que je ne me dopais plus, il y avait un manque quand j’arrivais sur les courses. Je me demandais Sans ça, comment tu vas faire ? C’est dire l’emprise psychologique des produits dopants. Cela donne une confiance en soi énorme. On part et on sait qu’on est prêt.
Justement lorsqu’on s’implique dans l’anti-dopage, l’un des signes qu’on repère chez les athlètes dopés, c’est cette confiance excessive. En règle générale, le sportif est fragile, il est dans le doute. Quand quelqu’un démontre, comme on l’a vu récemment dans l’Equipe de France d’athlétisme, une confiance énorme, et plein de certitudes, cela donne un signal fort. Cet excès de confiance suggère l’utilisation d’un produit exogène. Qu’en penses-tu ?
Oui, moi aussi, je suis d’accord. Van Art par exemple arrive sur les courses sûr de lui. Quand un journaliste ose lui poser la question sur le dopage, il ose répondre C’est quoi cette question de merde ? Mais le journaliste a le droit de s’interroger. J’ai trouvé ça énorme.
Est-ce qu’il ne manque pas une réaction des instances, ASO, UCI, Fédération Française, en soutien au journaliste ?
Oui, tout à fait. Mais ils veulent surtout qu’il n’y ait pas de vagues !
Cela fait 20 ans que tu as fait tes aveux. Après ta carrière professionnelle, tu n’as en fait jamais arrêté le sport. On t’a retrouvé dans l’athlétisme, en cross, sur marathon (**), sur 100 km. Et maintenant sur le triathlon longue durée.
J’ai arrêté pendant 8 ans, j’étais devenu restaurateur. Je ne voulais plus entendre parler d’effort physique. Après, je m’y suis remis. Et peut-être plus appliqué que quand j’étais Pro. C’était un peu obligé car je n’avais pas les produits pour m’aider ! Et l’âge passe ! J’essayais d’être plus pointilleux. Même encore aujourd’hui, je m’inflige beaucoup pour préparer le Triathlon d’Embrun. En réalité, j’aime le sport. Longtemps, j’ai dit qu’à la fin de ma carrière pro, j’arrêterai le sport. Mais en fait, j’y reviens sans cesse. Il y a eu le COVID, et cette déception de ne pas pouvoir faire Embrun, annulé 15 jours avant, alors que j’avais fait une préparation de 6 mois. Je ne voulais plus y revenir, mais finalement, j’ai repris la préparation. Et maintenant, je préfère la course à pied, plutôt que le vélo.
Tous ces problèmes ont peut-être modifié ton attrait pour le vélo ?
En fait, je me demande si j’ai vraiment aimé le vélo. Je crois plutôt que j’y ai vu une opportunité professionnelle. J’ai compris que je pourrai gagner rapidement ma vie avec le vélo. A la limite, j’aurais été très bon en marathon et ça aurait payé comme le vélo, j’aurais peut-être eu plus de plaisir à faire du marathon ! Mais j’étais très doué en vélo et ça payait bien. L’athlétisme, ça ne payait pas et ça ne paie pas plus maintenant… C’est vrai aussi que j’aime tout de même le vélo. Aujourd’hui, je me suis infligé 170 km à 50 ans. Il faut bien l’aimer !
Interview réalisée par Odile Baudrier
Millau – le 30 juillet
(*) A la suite de ses aveux, Jérôme Chiotti avait été supprimé de la sélection pour les JO de Sydney
(**) 2h28’9 au marathon en 2015 – 7h33’15 sur 100 km en 2014