Début des années 80, l’athlétisme tchèque est à son firmament avec quelques « monstres » dont Jarmila Kratochvilova qui fut recordwoman du monde du 400 mètres et reste à ce jour détentrice du record du monde du 800 mètres. Une énigme.
Les RP, ce n’est pas la tasse de thé de Jarmila Kratochvilova. Aux côtés de Helena Fibingerova, qui fut un monstre du poids, aujourd’hui mamie enjouée, radieuse, choucroutée et pétillante, celle que l’on surnomme Kratoch s’emmerde. La bouche fermée, les lèvres pincées, le regard sombre, deux petits yeux enfoncés qui évitent tous les regards de crainte d’établir un contact. Son visage s’est creusé, durci, ses cheveux noirs corbeau n’arrangent rien. Pour tout dire, elle est revêche, le genre de grand-mère qui surveille du coin de l’œil la miette de pain oubliée sur la toile cirée.
Jarmila Kratochvilova ne porte pas le clinquant lié à son statut. Rien ne la distingue des curieux qui gambadent dans ce hall dédié à l’histoire de l’athlétisme tchèque. Un petit bout de femme, de noir vêtu, sans la moindre brillance, tripotant dans ses doigts noueux une paire de lunettes comme pour éviter d’avoir les bras ballants.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, Jarmila Kratochvilova reste à ce jour la détentrice du record du monde du 800 mètres. 1’53 »28 réalisé le 26 juillet 1983 à Munich, un record scellé dans le béton, vieux vestige indéboulonnable d’un athlétisme d’autrefois où le bloc de l’Est jouait à faire peur avec ces petits soldats de sang et sueur. Un record vieux de 32 ans, le plus ancien de l’histoire de l’athlé que personne n’a réussi à démolir. Pas même les chinoises en 1993, pas même les africaines, Pamela Jelimo s’est bloquée à 1’54»01, pas même les grosses cylindrées de type Quirot et Mutola bloquée à 1’54»44 et 1’55»19. Pas même Caster Semenya, énigme génétique, auteur d’un 1’55 »45. Le record de Kratoch est une citadelle inviolée.
La petite histoire de ce record, elle est connue. Version officielle qui s’est patinée avec le temps. Jarmila Kratochvilova de peur de se blesser suite à une douleur à la cuisse renonce à courir un 200 mètres pour s’aligner sur du long. Plus long, plus lent, plus cool. Les très sulfureux 1’53 »43 de la russe Nadezhda Olizarenko réalisés à Moscou en 1980 sont effacés, Kratoch est statufiée.
Fruits maudits d’un système centralisé reposant sur le dopage d’Etat
Au bilan tout temps, sur les 20 meilleures mondiales, 13 athlètes de l’Est restent encore accrochées au balcon du 800 mètres avec des performances réalisées il y a plus de 30 ans. Un furoncle qui a été percé à jour, mais s’en que l’on puisse effacer ces résultats, fruits maudits d’un système centralisé reposant sur le dopage d’Etat.
Depuis plus de 30 ans, Jarmila Kratochvilova appartient à ce bataillon d’athlètes de l’Est qui ont à leur façon servi fidèlement leur nation. Kratoch fut un bon petit soldat aux ordres d’un entraîneur, Miroslav Kvac réputé pour sa discipline militaire. C’est d’ailleurs ce qu’elle évoque pour expliquer de telles performances, se réfugiant derrière son petit doigt et cette main de fer imprimant de grosses charges et une préparation hormonale qui aujourd’hui ne fait aucun doute.
Eté 1983, Helsinki s’apprête à accueillir les premiers championnats du Monde. Une ère nouvelle s’annonce. Le business arrive dans ce sport « amateur » mais le bloc de l’Est résiste et tient encore bien son empire. Jarmila Kratochvilova, deux semaines après son 800 « historique », retrouve sa vraie distance, le 400. Elle remporte le titre mondial en 47 »99, nouveau record du monde devant sa compatriote Tatana Kocembova. Les pays de l’Est y déployent la grande armée remportant 58 médailles, 22 pour la RDA, 23 pour l’Union Soviétique et 9 pour la Tchécoslovaquie, dont 35 uniquement par des femmes. Grandes dames de l’athlé ou usurpatrices ?
> Texte et photo Gilles Bertrand